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WEROC II (Waroch) ET LE VIGNE.


Le roi vannetais Weroc II, qui a régné entre 577 et 594, aimait à faire des incursions dans le Vignoble Nantais, c'est une excellente habitude, j'aime moi aussi faire des incursions dans le sud Bretagne, et goûter les produits locaux...


Les "Decem libros historiarum" (Dix livres d'histoire) rebaptisés "Historia francorum" (Histoire des Francs) du gallo-romain auvergnat Georgius Florentius Gregorius (538-594) dit Gregorius Turonensis (Grégoire, évêque de Tours) sont la source textuelle la plus ancienne concernant la présence de vignes en Bretagne (très haut Moyen Âge : VIe siècle.). Il y a donc bien longtemps que les Bretons sont attirés par la vigne et le vin. Le roi breton Weroc II (Waroch est une mauvaise graphie), qui avait débarrassé le Pays Vannetais des Francs, est cité à plusieurs reprise dans l'oeuvre de Grégoire de Tours, dont trois fois où il fait des incursions à la fin du VIe siècle dans le Vignoble Nantais pour se servir en raisin et en vin.


Cela rappelle l'histoire bien plus ancienne d'un autre Celte. Brennos, roi du peuple des Senons, est connu pour avoir vaincu les Romains à la bataille de l'Allia, puis attaqué et pris Rome vers 390 av. notre ère. Cette défaite fut un énorme traumatisme pour les Romains, et la célèbre formule de Brennos : "Vae victis !" (Malheurs aux vaincus !) se retournera plus tard contre les peuples de la future Gaule et de l'île de Bretagne, dont la belle civilisation celtique sera anéanti par les Romains. L'historien romain Titus Livius explique que c'est par amour du vin que les Celtes sont venus en Italie, dans ses "Ab Vrbe condita libri" (Les livres depuis la fondation de Rome) il dit (livre V, chapitre 33) : « Eam gentem traditur fama, dulcedine frugum maximeque vini, nova tum voluptate, captam, Alpes transisse, agrosque ab Etruscis ante cultos possedisse ; et invexisse in Galliam vinum » (On raconte que cette nation, par attrait des productions et surtout du vin, un plaisir tout nouveau à cette époque, avait franchi les Alpes et s’était emparée des terres cultivées auparavant par les Etrusques, et emporté du vin en Gaule).


Les historiens s'appuient dans leurs études sur les traductions existantes de l' "Histoire des Francs" de Grégoire de Tours, mais en regardant de plus près les passages concernant le roi vannetais Weroc II et le Vignoble Nantais, on s’aperçoit que les traductions sont assez systématiquement à charge contre les Bretons, un ton à charge repris d'une traduction à l'autre et décrivant les Bretons comme de simples pillards saccageant tout.


Grégoire de Tours était au service des vainqueurs de la Gaule romaine (mis à part l'ouest de l'Armorique), il fait la propagande des Francs, on comprend donc très bien que son texte ne soit pas très favorable aux Bretons, d'autant plus que Weroc avait réussi à chasser les Francs du Pays Vannetais. Il nourrit même à l'encontre des Bretons un ressentiment qui transparaît fréquemment (Christophe Camby, Limites politiques oubliées : Armorique et Bretagne - Critique de sources, in Mémoire de la société archéologique et historique de Bretagne - 2008, LXXXVI, pp. 89-105).


Mon latin est lointain, mais il me semble que les traductions dépassent ce qui est dit dans le texte latin ; je ne suis pas vraiment certain que l'on soit obligé de choisir pour la traduction un vocabulaire qui exagère inutilement la barbarie supposée des Bretons. Les Francs voulaient envahir l'ensemble de l'Armorique, et on peut aisément comprendre que les Bretons ne se soient pas soumis sans se défendre. On peut revoir la traduction pour qu'elle soit plus neutre et sans parti pris, et réinterpréter le texte.


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Le texte de Grégoire de Tours.


Passages repris de :


"Histoire des Francs" de Grégoire de Tours publié par Henri Omont (Livres I-VI : texte du manuscrit de Corbie. Bibliothèque nationale, ms. lat. 17655 ; éd. A. Picard, 1886 ; Page 176 / Fol. 73r), extrait du Liber quintus, caput XXXI :


« Brittani eo anno valde infesti circa urbem fuere Namneticam atque Redonicam. Qui inmensam auferentes praedam, agros pervadunt, vineas a fructibus vacuant… »


Histoire des Francs de Grégoire de Tours publié par Gaston Collon (Livres VII-X : texte du manuscrit de Bruxelles, Bibliothèque royale de Bruxelles, ms. 9403 ; éd. A. Picard et fils, 1893 ; page 109 / Fol. 269r), extrait du Liber nonus, caput XVIII :


« Warocus… vineas Namneticorum abstulit et vindimiam colligens, vinum in Vinitico transtulit. »


Histoire des Francs de Grégoire de Tours publié par Gaston Collon (Livres VII-X : texte du manuscrit de Bruxelles, Bibliothèque royale de Bruxelles, ms. 9403 ; éd. A. Picard et fils, 1893 ; page 120 / Fol. 279r), extrait du Liber nonus, caput XXIV :


« Brittani eo anno graviter terraturium Namneticum Redonicumque praedae subiecerunt, vindimiantes vineas, culturas devastantes... »


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Traduction de Robert Latouche reprise de :


Grégoire de Tours, Histoire des Francs ( Collection : Les Classiques de l'histoire de France au Moyen âge, 27-28 ; éd. Les Belles Lettres, 1963-1965), édition récente et la plus courante (sans le texte latin) :


Livre V, chapitre 31 :

« Pendant cette année, les Bretons firent d'importants ravages dans les alentours de la ville de Nantes et de celle de Rennes. Ils emportent un immense butin, dévastent les champs, dépouillent les vignes de leurs fruits... »


Livre IX chapitre 18 :

« Quant à Weroc... il dévasta les vignes des Nantais et, cueillant la vendange, transporta le vin dans le pays vannetais. »


Livre IX, chapitre 24 :

« Cette même année, les Bretons soumirent les territoires de Nantes et de Rennes à un sévère pillage ; ils vendangèrent les vignes, dévastèrent les cultures... »


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Ma traduction de ces trois passages (sans les explications et les notes) :


- « Les Bretons, durant cette année, firent beaucoup d'incursions dans les alentours de la ville de Nantes et même de Rennes. Ils emportent un immense butin, s'introduisent dans les domaines agricoles, dépouillent les vignes de leurs fruits... »


- « Quant à Weroc... il s'empara des vignes des Nantais et, rassemblant la vendange, transporta le vin dans le pays vannetais... »


- « Cette même année, les Bretons soumirent les territoires de Nantes et de Rennes par la force, vendangeant les vignes, pillant les cultures... »


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On peut faire le parallèle avec ce que dit le 4ème continuateur (752-768) de la Chronique de Frégédaire sur le Franc Pépin le Bref :


« Passant ensuite la Loire, il entra en Aquitaine, s’avança jusqu’à Limoges, dévasta toute la contrée et fit surtout incendier les domaines de Waïfer. Beaucoup de monastères furent dépeuplés par ses ravages. Marchant de là sur Issoudun, le roi prit et ravagea la partie de l’Aquitaine où il y avait le plus de vignes. Ainsi le pays d’où l’Aquitaine toute entière, les monastères comme les églises, et les pauvres comme les riches, avaient coutume de tirer du vin, fut occupé et pillé par les Francs. » (traduction de François Guizot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de la France - Chronique de Frégédaire, éd. J.-L. Brière, 1823 ; tome II, page 260).


Cela donne une idée de ce que les Bretons et les Armoricains ont dû subir eux aussi dès le début de l'invasion des Francs jusqu'à la fin des Carolingiens.


Les Bretons et les Francs se disputèrent longtemps le contrôle de l’Armorique et notamment de ce qui allait devenir la Haute-Bretagne. On ne voit pas pourquoi un peuple germanique aurait été plus légitime que les Bretons dans cette partie convoitée de l'Armorique, et notamment dans le pays Namnètes (nantais). Comme les Armoricains, les Bretons avaient été citoyens romains, et l'on revendiqué très tardivement (Jean-Christophe Cassard, "Sur le passé romain des anciens Bretons", in Kreiz (Etudes sur la Bretagne et les Pays celtiques), 1996, pp.1-33.) ; Armoricains et Bretons parlaient à l'origine la même langue (gallo-brittonique), et il est probable que les populations de l'ouest de l'Armorique et les populations rurales reculées de l'est parlaient encore cette langue à l'arrivée des Bretons ; de même, après des siècles d'occupation romaine, l'élite bretonne parlait aussi le latin comme les gallo-romains ; on ne donc pas dire que les Bretons étaient des étrangers en Armorique.


Weroc n'était pas un simple pillard, il ne venait pas pour voler le vin du vignoble nantais, il y avait d'ailleurs du vin dans la région qu'il contrôlait (le Bro Ereg), puisqu'un pressoir à vin du IIe et le IVe siècle a été retrouvé à Piriac dans le Pays de Guérande (Voir : Marie-Laure Hervé-Monteil, Dagmar Lukas, Martial Monteil, Marie-France Dietsch-Sellami, Antoine Archer, et al.. La viticulture dans l’ouest de la Gaule Lyonnaise : les pressoirs de Parville (Eure) et de Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique). Gallia - Archéologie de la France antique, CNRS Éditions, 2011). En chassant les Francs, Weroc a probablement rétabli à son profit l'ancien territoire des Vénètes, et il avait établit une cour (lez) à Piriac. C'était une guerre pour le contrôle de l'Armorique, et l'un des objectifs était de priver l'ennemi de ressources locales, de l'empêcher de prendre possession et de contrôler les sources locales de richesses.

C'est d'ailleurs conforme aux pratiques guerrières des Francs, chez qui la prédation – pillages, prises de captifs et prélèvements tributaires – est un aspect important. L'appropriation de biens par la guerre est déterminante dans la capacité des grands à mobiliser des combattants, qui bénéficient d'une part de ces richesses. On peut lire à ce sujet la thèse de Rodolphe Keller : "Les profits de la guerre Prédation et pouvoir dans le monde franc (VIe ­Xe siècle)" Université Paris ­Est Marne-­la- Vallée, 2013. Il est donc probable que Weroc se soit inspiré des pratiques que les Francs ont fait subir aux Vannetais.


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"Waroch" (ou pire : "Waroc'h") est une orthographe fautive pour le vieux breton "Weroc". Le territoire contrôlé par Weroc est devenu le "Bro Ereg" ("Brouuerec" dans le cartulaire de Redon, Fol. 161v ; pour "Bro Uuerec", "Bro Erec" par fausse coupe). On retrouve ce nom dans le premier roman arthurien : le "Erec" de Chrétien de Troyes, l'auteur fait dire à Erec : "Erec m’apelent li Breton" : "les Bretons me nomment Erec" (Les Romans de Chrétien de Troyes édités d’après la copie de Guiot [Bibl. nat., fr. 794], "Erec et Enide", éd. Mario Roques, Paris, Champion, 1955, rééd. 1990, v. 652.) ; on n'en sait pas beaucoup plus sur l'origine du personnage, mais son couronnement a lieu à "Nantes en Bretaigne" (Ibid., v. 6495.). Le nom est "Gwereg" en breton moderne.

Ci-dessous un manuscrit d' "Erec et Enide".




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