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L'AJONC, PLANTE-EMBLÈME DE LA BRETAGNE : "ETHIN / LANN".

Dernière mise à jour : 21 juil. 2024


« Hardd blodau eithin, eithr yn mhlith drain llymion y tyfant. »

« Belles les fleurs d’ajoncs, bien qu'elles poussent au milieu d’épines acérées. »


('Welsh Botanology ; part the first. A Systematic Catalogue of the Native Plants of the Isle of Anglesey' de Hugh Davies, éd. W. Marchant / E. Williams, 1813 ; page 187 sous « eithinen »).


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L'ajonc d'Europe (Ulex europaeus) est un arbuste épineux, qui se plaît dans un climat océanique (climat océanique franc = "climat breton"), et qui aime les sols acides pauvres (comme ceux du Massif armoricain) où il prélève l’azote de l’air, car c'est une légumineuse. L'ajonc appartient en effet à la famille des Fabacées comme le haricot ou le pois, les fruits de l'ajonc sont aussi des gousses, de couleur brune, et qui explosent à maturité. C'est une plante intimement liée au terroir breton, et donc aux cinq départements de la Bretagne réelle.


L'ajonc se dit « lann » en breton moderne, mais « lann » désigne d'abord la lande (terre inculte résultant à l'origine de la dégradation de la forêt / déforestation, ou lande naturelle littorale), en particulier la lande à ajonc. C'est un mot qui est issu du celtique « *landā », qu'on retrouve dans le vieil-irlandais « land », et le français « lande » (héritage celtique en gallo-roman). Ce mot celtique a été emprunté en germanique : « land » (terre) en anglais et « land » (pays) en allemand, s'il n'y a pas vraiment de mot dans ces langues pour rendre le français « terroir », ce « land » germanique s'en rapproche. Et l'ajonc symbolise parfaitement le terroir breton, de la Pointe de Pern à Ouessant (Finistère) jusqu'à la Rue des Ajoncs à Clisson (Loire-Atlantique).


Le nom originel de l'ajonc en breton a été remplacé par le mot « lann », qui a donc supplanté le vieux-breton « ethin » (ajonc) ; on peut y voir deux raisons : l'ajonc est la plante la plus remarquable de la lande, celle qu'on remarque en premier, et ce que l'on sait moins, c'est que l'ajonc était une plante fourragère cultivée importante (un champ d'ajonc cultivé est aussi une lande).



Cela peut parraître étonnant de nos jours, mais l'ajonc était cultivé à grande échelle, c'est une plante très nourrissante, dont raffolaient les races animales bretonnes (mouton des landes de Bretagne, petite vache bretonne des landes, bidet breton), des races adaptées au système agraire breton traditionnel (d'avant la Révolution agricole du XIXe siècle). L'ajonc était donc semé, puis on le coupait et le pilait (pour broyer les épines) pour en nourrir le bétail et les chevaux, qui en raffolaient. Dans les landes, les bêtes mangeaient surtout les nouvelles pousses (encore tendres), ce qui en limitait la croissance. L'ajonc était donc au coeur de l'ancienne agriculture bretonne (dans l'ensemble de la Bretagne). Et je m'étonne qu'aucun agriculteur breton bio n'ait tenté de le cultiver à nouveau, étant donné ses qualités nutritives (culture bien doccumentée dans la littérature agricole du XIXe siècle) et la facilité de sa culture en Bretagne (adaptation parfaite aux conditions locales).


Ce système agraire était basé sur le tranfert de fertilité des terres froides (landes ouvertes pâturées / saltus-outfield) vers les terres chaudes (champs clos cultivés formant le bocage breton / ager-infield), et la proportion des unes par rapport aux autres - selon les lieux - dépendait de la qualité de la terre et de la possibilité d'apports en intrants marins (maerl, algues). Les terres de l'Armor (Arvor = étroite bande littorale) étaient plus riches et plus peuplées que les terres de l'Argoat (Argoed-Argoad = bocage de l'intérieur des terres), et les vastes landes de l'intérieur étaient décrites comme de sinistres déserts par les voyageurs étrangers et les agronomes de salon de passage en Bretagne, puisqu'ils ne comprenaient strictement rien à ce système et donc à l'attachement des paysans bretons à leurs landes communes (indispensables avant l'arrivée des engrais chimiques dans le seconde moitié du XIXe siècle ; comme le "noir animal" au départ en Bretagne, un sous-produit des raffineries nantaises de sucre de canne des Antilles). Les landes n'étaient pas des terres abandonnées, ou délaissées par des paysants ignares et fainéants ("routiniers"), elles étaient même entretenues. Entretenues d'abord par le pâturage, mais aussi par écobuage. Une certaine proportion des landes, les zones où la végétation commençait à trop se développer, était écobuée régulièrement (défrichement + brûlage dirigé), c'était aussi une technique de préparation d'un espace avant sa mise en culture temporaire, et avant retour à la lande (après épuisement de la terre). L'objectif était de maintenir la lande à l'état de lande, pour qu'elle serve de pâturage (autrement il y aurait retour inéluctable à la forêt). Le transfert de fertilité était assuré de deux manières : par le fumier des étables (les bêtes étaient rentrées la nuit, il y avait des loups), et par collecte de végétation (des landes, des haies) qui était mis à fermenter dans les cours de ferme et les chemins creux (par l'humidité et le piétinement). L'agronome Adrien de Gasparin (aussi ministre de l'agriculture) est l'un des rares au XIXe siè-cle à avoir compris ce système agraire, il parlait de « système celtique ».


Le mot "ethin" est attesté dans une glose d’un manuscrit de la seconde moitié du IXe siècle contenant des œuvres de Virgile dans une écriture continentale avec des abréviations insulaires ; le mot glose le latin « rusco » (fragon : un arbrisseau épineux originaire des maquis du bassin méditerranéen).

Le vieux-breton "ethin" correspond au singulatif vieux-cornique "eythinen", au gallois "eithin" et au vieil-irlandais « aittiun » (qui glose aussi le latin « rusco »), issus du celtique commun "*actīnos". Mot formé sur une racine indo-européenne "*ak-" (pointe, piquant).

Le mot « ethin » est conservé aussi dans les toponymes « Pleheneg » (Plouhinec, en Pays Vannetais) et « Ploeneg » (Plouhinec, en Cornouaille). Pour le Pleheneg vannetais, on trouve les formes anciennes : « Plebe Ithinuc » (1058), « Ploeyzineuc » (1320), « Ploezinec » (1387), « Ploehinec » (1516). Pour le Ploeneg cornouaillais, on trouve « Ploezinec » (1368), « Plouzinec » (1426), « Plouynec » (1630). Les sources sont dans le 'Traité de toponymie historique de la Bretagne' (Erwan Vallerie, 'Diazezoù studi istorel an anvioù-parrez - Corpus', éd. An Here, 1995 ; page 153). Le suffixe « -oc » évoluant en « -euc » puis « -ec / -eg » indique la caractéristique du lieu : un lieu couvert d’ajonc. Le mot "ethinoc" correspond au gallois "eithinawc" (lieu abandant en ajoncs).

On trouve le mot dans les patois gallo-romans du Cotentin et du Bas-Maine : « édin / hédin » (ajonc), venant directement du gallo-brittonique continentale et pas du breton (le celtique gallo-brittonique était un continuum dialectal parlé du sud de l'Écosse au nord de l'Italie, dit - par abus de language - « gaulois » en France).

____________ Ci-dessous la glose :

Vergilius : Bucolica, Georgica, Aeneis / Scholia Bernensia ; parchemin, 214 ff. de 32 x 23.5 cm, conservé à Berne, Burgerbibliothek, Cod. 167 ; Fol. 15v, milieu col. a.



Etant donné son importance dans l'économie bretonne traditionnelle, l’ajonc est porteur d’une puissante symbolique : il sait se défendre grâce à ses épines (sauf des races animales domestiques de Bretagne !), et il sait charmer par ses nombreuses fleurs et son parfum. L'ajonc est devenue l'un des symboles de la Bretagne, la plante-emblème, à côté de l'hermine. Il appartient au patrimoine naturel, historique et culturel de la Bretagne, de toute la Bretagne, évidemment... L’Écosse a le chardon, l’Irlande le trèfle, le Pays de Galles le poireau et la Bretagne a maintenant l’ajonc.


On trouve bien sûr de l'ajonc partout sur les landes littorales de la Bretagne, ici sur la côte du Pays de Retz (Loire-Atlantique) : la côte sauvage, typiquement bretonne, entre la pointe de Saint-Gildas (un saint breton) et Pornic. On se trouve bien ici dans le Massif armoricain, sous un climat océanique franc dit "climat breton", et en Bretagne historique, tout ce qui constitue un terroir, le terroir breton. L'ajonc d'Europe est donc surtout le symbole d'un terroir unique, d'une typicité : la Bretagne !



Christophe M. Josso


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