A. INTRODUCTION.
1) Le nom verbal (forme infinitive du verbe) :
On distingue deux catégories d’infinitifs des verbes réguliers :
- ceux qui sont composés du radical et de diverses désinences (il arrive que le nom verbal soit syncopé et perde sa terminaison, le radical peut aussi être altéré dans quelques cas par l’influence phonétique de la terminaison). L’une d’entre elles, « -et », est identique à la désinence du participe, ainsi qu’à la désinence de la 2ème personne du pluriel en breton vannetais classique.
- ceux qui sont composés du radical seul (ils ne présentent donc sans aucune terminaison d’infinitif).
2) La base verbale :
La basse verbale est le radical du verbe sur lequel se greffe les désinences, la racine du verbe. Le paradigme est l’ensemble des différentes formes que prend le verbe dans la conjugaison (flexion). Pour la première catégorie d’infinitif, on supprime la désinence pour obtenir le radical du verbe ; pour la seconde catégorie, on a déjà le radical nu dans le nom verbal.
3) Syntaxe du verbe conjugué :
L’énoncé breton présente une contrainte formelle qui oblige le locuteur à hiérarchiser les informations de son énoncé en fonction des besoins de communication. La forme conjuguée (verbe ou son auxiliaire) joue le rôle de pivot entre un élément singularisé à l’initiale et les autres constituants de l’énoncé, sa place est fixe en deuxième position (sauf exceptions, des archaïsmes). On part historiquement du type celtique à verbe initial, mais avec un élément de l’énoncé « privilégié » et antéposé au verbe, il y a focalisation sur ce premier élément, une mise en relief. Cela a des conséquences sur la conjugaison des verbes.
4) La « conjugaison personnelle » vs « conjugaison impersonnelle » :
Il est bien connu que le breton articule trois types de conjugaison : synthétique, analytique et périphrastique. Mais on oppose d’abord la « conjugaison personnelle » (synthétique) et la « conjugaison impersonnelle » (analytique) en fonction de la place du sujet, le sujet est soit focalisé dans l’amorce, soit incorporé au verbe sous une forme flexionnelle (Didier Bottineau, « Les temps du verbe breton : Temps, aspect, modalité, interlocution, cognition - des faits empiriques aux orientations théoriques. », in C. Douay (dir.), ‘Système et chronologie’, éd. Presses Universitaires de Rennes, 2010 ; page 131).
Dans la conjugaison personnelle (ou synthétique), la terminaison indique – outre le temps – la marque de personne, le sujet est donc représenté par une désinence verbale, la marque de personne (le sujet) est en effet incorporée dans la désinence. Morphologiquement, la conjugaison personnelle se présente donc sous la forme « base + flexion ». La conjugaison personnelle est la forme neutre sans mise en relief du sujet.
Dans la conjugaison impersonnelle (ou analytique), le verbe ne porte que la marque du temps, le sujet du verbe est alors exprimé par un pronom placé avant le verbe (avec effet de mise en relief du sujet / effet de focus / focalisation), avec cette situation en tête d’énoncé le sujet est donc ‘focalisé’.
Afin de mettre en relief le procès exprimé (par le verbe), on emploi aussi la forme périphrastique, où l’on commence l’énoncé par le nom verbal (qui n’est donc pas conjugué) suivi du verbe auxiliaire « (g)ober » conjugué qui est alors le pivot et porte les marques de temps et de personne. Ce verbe auxiliaire (verbe irrégulier) présente les mêmes désinences que les verbes réguliers.
B. LA CONJUGAISON AU PRÉSENT (conjugaison personnelle).
1) FORMES EN VANNETAIS CLASSIQUE :
Exemple avec le verbe « EVET », qui a l’avantage pour l’explication de ne pas subir de mutation consonantique, la désinence « -et » a elle l'inconvénient d'être identique à la deuxième personne du pluriel.
Nom verbal : « EVET », base verbale (radical) : « EV- », désinence « -ET ».
Laezh a evan / evañ. (Je bois du lait)
Laezh a evez. (Tu bois du lait)
Laezh a ev ø / eva. (Il ou elle boit du lait)
Laezh a evamp. (Nous buvons du lait)
Laezh a evet / evit. (Vous buvez du lait)
Laezh a evant. (Ils ou elles boivent du lait)
Laezh a ever / evir. (On boit du lait)
'Grammaire française-bretonne - pour apprendre la langue bretonne de l'idiome de Vannes', de Joachim Guillome, éd. J.-M. Galles, 1836.
Remarques :
- 1ère pers. du sing. :
Exemples pris dans ‘Voyage misterius de inis er vertu’ (éd. J.M. Galles, s.d.) de Jean Marion (1759-1824) :
« ne ouian quet petra en dès mirét doheign ag er havouét » (je ne sais pas ce qui m’a empêché de la trouver, p. 29), « ne gredan quet é cleuai… er péh e larên » (je ne crois pas qu’il entendais ce que je disais, p. 58), « ne ouzan petra e zou caus d’em glahar » (je ne sais pas ce qui est la cause de mon chagrin, p. 103), « ne gredan quet é taibre é oalh a vouid » (je ne crois pas qu’il mangeait son soûl de nourriture, p. 135), « é han d’hou ç’ambrug beèd er porh » (je vais vous accompagner jusqu’au port, p. 155).
La forme « -añ » (avec tilde) de la 1ère pers. du sing. est proposée par Loig Cheveau (‘Nouvelle grammaire bretonne du dialecte de Vannes – Vannetais standard’, éd. Laben in, 2017 ; page 199), car elle est plus conforme à l’étymologie (voir infra) et à la prononciation majoritaire (voir : A.L.B.B. :
carte 236 « quand je sais » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-236.jpg,
carte 261 « si je fais » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-261.jpg,
carte 347 « quand je chante » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-347.jpg,
et carte 475 « quand je vais » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-475.jpg).
On la prononce [ɑ͂ː] (Maxime-Morvan Crahé, 'Le breton de Languidic : étude phonétique, morphologique et syntaxique d’un sous-dialecte du breton vannetais', thèse, Université Rennes 2, 2013 ; page 216). On trouve en bas-vannetais (au tempo lent) la forme archaïsante [ɑ͂w] (Loïc Cheveau, « Morfologiezh ar verboù e Gwidel hag en Ignel (Bro Gwened Izel) », in 'Hor yezh', n° 256, déc. 2008), qui est restée plus proche du moyen-breton « -aff » (voir infra).
- 2ème pers. du sing. :
Exemples pris dans ‘Kado roué er mor’ (éd. É. Mahéo, 1924) de l'écrivain Joseph Le Bayon (1876-1935) :
« peger pèl é selles ! » (comme tu regardes loin ! p. 8), « en hani e gares » (celui que tu aimes, 22), « petra e vennes-té laret ? » (que veux-tu dire ? 24), « goab é e hres ? (tu te moques ? 28), « mar hoarhes kement-sé, lar aoèl eit petra ! » (si tu ris autant, dis au moins pourquoi ! 31)
La prononciation est plutôt [εs] et donc similaire à ce que l’on trouve en breton dit K.L.T. (voir : A.L.B.B. :
carte 237 « quand tu sais » http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-237.jpg,
carte 262 « si tu fais » http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-262.jpg,
carte 348 « quand tu chantes » http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-348.jpg).
Mais la voyelle peut se fermer jusqu'à [i] comme à Locqueltas (point 69 de l'A.L.B.B.).
Ce / s / final n’est pas étymologique (voir infra).
- 3ème pers. du sing. :
- Désinence zéro ø. Exemples pris dans ‘Œuvres de Pierre Le Goff (1860-1941) - Proverbes bretons du haut-vannetais’ (éd. Institut Culturel de Bretagne, 1986) :
« ne chom ø ket tam arlerh » (il ne reste rien après, p.54), « kir é koust ø en tam » (le morceau coûte cher, p. 77), « pe cher ø un nor, é tigor ø diù » (quand une porte ferme, il y en a deux qui s’ouvrent, p. 83), « ne huél ø ket de bé tu é ha » (il ne voit pas dans quel sens il va, p. 104), « e Kervelean ne vank ø ket trouz na chikan » (à Kervelean il ne manque ni dispute ni querelle, p. 156).
Et « pep unan e laka ø en tu lardet doh é veg » (chacun met le côté beurré à sa bouche, p. 87), où le « -a » de « laka » appartient au radical (« laka-at »).
L’absence de terminaison à la 3ème pers. du sing. (terminaison zéro notée « ø » ci-dessus) est majoritaire en breton vannetais, ce qui correspond à ce que l’on trouve aussi en breton dit K.L.T..
- Désinence « -a ». Exemple pris dans ‘Ewan Pier er C’horr’ de Loeiz Bevan, éd. Dastum 1988 (Komz n° 4) :
« me ‘greda ‘ma an arnev-se àrnomp » (Je crois que cet orage est sur nous, p. 7), « petra ‘wela ? ma c’heizh tud ! » (que voit-il ? mes pauvres gens ! p. 12), « O ! ‘lara ar mestr, un c’hwibedenn ? » (oh ! dit le maître, un moustique ? p. 24), « m’en kleva » (je l’entends, p. 27), « me ‘ouia ‘walc’h… met pff ! » (je sais bien… mais pff ! p. 28).
C’est la forme usuel en bas-vannetais : son emploi est quasi systématique dans le Pays Pourlet (bas-vannetais intérieur) et courant à l’est de la Haute-Cornouaille (F. Favereau, ‘Grammaire du breton comtemporain’, éd. Skol Vreizh, 1997 ; page 194) ; Loïc Cheveau donne aussi pour le pays de Lorient (bas-vannetais maritime) la désinence « -a » (‘Approche phonologique, morphologique et syntaxique du breton du Grand Lorient (bas-vannetais)’, thèse, université de Rennes 2, 2007 ; page 187). Pour le breton de Guéméné-sur-Scorff, Malachy McKenna indique : « I have no examples of the 3 sg. zero ending » (‘A Handbook of Modern Spoken Breton’, éd. Max Niemeyer Verlag, 1988 ; page 105), et il semble bien en effet que ce soit la forme systématique en bas-vannetais. On a deux exemples dans l’A.L.B.B., avec le verbe « savoir » (carte 238 « quand il sait »), où on trouve la forme « ouia » en bas-vannetais et « oara » haut-cornouaillais : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-238.jpg,
et avec le verbe « chanter » (carte 349 « quand il chante »), avec la forme « gana » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-349.jpg.
Le verbe dont le radical se termine par un / a /, comme « laka(at) » ou « pesketa » ont dû contribuer au maintien d’une ancienne désinence « -a » (voir infra). Le « -a » final de pesketa » (et des autres noms verbaux en « -a ») n’est pas une désinence d’infinitif, « pesketa » appartient à la catégorie des noms verbaux sans désinence (voir infra).
- 1ère pers. du plur. :
Exemples pris dans ‘Guirionéeu ag er religion ha devérieu ur hrechén’ (éd. Y.-M. Galles, 1856) de François-Maie Bellec (1799-1878) :
« ne hellamb rein carg de hanni aral d’hi gobér eid omb. » (nous ne pouvons charger personne d’autre de la faire pour nous, p. 12), « n’hum glemmamb quet enta ag en trebilleu e zégas… d’emb » (nous ne nous plaignons donc pas des soucis qu’il nous amène, p. 99), « ne gâramb meit omb hun hunan » (nous n’aimons que nous même, p. 189), « liès e coéhamb abarh » (nous tombons souvent dedans, p. 221), « ni e vihue guet-hou él guet unan n’hanauamb quet » (nous vivons avec lui comme avec quelqu’un que nous ne connaissons pas, p. 236).
Le « -b » final de ces exemples indique une prononciation faible. Mais l’amuïssement laisse une trace en liaison (sandhi), comme à Inguiniel où on dit par exemple / dam tɔ͂ ke ːʁ / (damp d’hon kêr / retournons à notre hameau) d’après Loïc Cheveau (« Morfologiezh ar verboù e Gwidel hag en Ignel (Bro Gwened Izel) », in ‘Hor yezh’, n° 256, déc. 2008).
On trouve généralement soit [ãm] soit [ãmp] en haut-vannetais selon l’A.L.B.B. :
carte 239 « quand nous savons » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-239.jpg,
carte 264 « si nous faisons » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-264.jpg,
carte 349 « quand nous chantons » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-349.jpg).
On trouve la forme [amp], avec voyelle dénasalisée, à l'île de Groix (Elmar Ternes, 'Grammaire structurale du breton de l'île de Groix (dialecte occidentale', éd. Carl Winter - Universitätsverlag, 1970 ; pages 269-274), et on entend aussi [am] (Loïc Cheveau, ‘Approche phonologique, morphologique et syntaxique du breton du Grand Lorient (bas-vannetais)’, thèse, université de Rennes 2, 2007 ; page 187. + Maxime-Morvan Crahé, 'Le breton de Languidic : étude phonétique, morphologique et syntaxique d’un sous-dialecte du breton vannetais', thèse, Université Rennes 2, 2013 ; page 216).
Dans le breton de Batz en Guérande (Émile Ernault, « Dialecte breton de la presqu’île de Batz », éd. L. Prud'homme, 1883 ; page 23), on trouve encore cette désinence à l'impératif comme dans les exemples "choukamp" (asseyons-nous) ou "konzamp" (parlons), mais l'A.L.B.B. donne à l'impératif (carte 267 pour "faisons", point 90) une prononciation [ãm]. (Liens : https://archive.org/details/DialecteBretonBatz/page/n49/mode/2up. et :
La terminaison « -amp » est attestée en moyen-breton vannetais (1ère moitié du XVIIe siècle) dans ‘Chrismas Hymns in the Vannes dialect of breton’ (publié par R. Hemon, éd. Dublin Institute for Advanced Studies, 1982), par exemple au vers 1554 : « Rac cé quemeramp poen, pa gafuamp en amzer » (Prenons donc soin pendant que nous avons le temps).
- 2ème pers. du plur. :
Exemples pris dans ‘Magasin spirituel er beurerion’ (éd. Y. M. Galles, 1790) de Jean Marion :
« Caërræt treu e larét-hui demb » (que de belles choses vous nous dites, p. 55), « inemb de bihue é tærét-hui ? » (contre qui vous fâchez-vous ? p. 61), « méh e zeliét hou poud » (vous devez avoir honte, p. 62), « me ouair n’en hanàuét quet » (je sais que vous ne le connaissez pas, p. 197), « petra e zaibrét-hui de greisté. » (que mangez-vous le midi ? p. 276),
La forme « -et », héritée du moyen-breton et retenue dans les grammaires vannetaises (ex : Loig Cheveau, ‘Nouvelle grammaire bretonne du dialecte de Vannes – Vannetais standard’, éd. Laben in, 2017), a l’inconvénient d’être identique à la désinence « -et » du nom verbal et « -et » de l’adjectif verbale (participe). Elle est le plus souvent prononcé [ət], [œt], parfois [ɛt] ou [et] (voir : A.L.B.B., ibid) ; cette dernière prononciation, avec un [e] fermé était autrefois écrite « -ét » comme dans les exemples donnés.
Elmar Ternes donne une prononciation [et] à l'île de Groix (in 'Grammaire structurale du breton de l'île de Groix (dialecte occidentale', éd. Carl Winter - Universitätsverlag, 1970 ; pages 269-274). Malachy McKenna donne (in ‘A Handbook of Modern Spoken Breton’, éd. Max Niemeyer Verlag, 1988 ; page 105) une prononciation intermédiaire pour le bas-vannetais de Guéméné-sur-Scorff, avec une voyelle pré-fermée notée [ï] (pour [ɪ] en A.P.I.,) avec l’exemple anglais « wit » (prononcé [wɪt] en ‘Received Pronunciation’) ; un son distinct du [i] dans l’exemple [huniïd] (« c’houniit / c’houniet » : vous gagnez).
On trouve la trace de la forme de la 2ème pers. du plur. « -it » en vannetais dans l’A.L.B.B. (carte 240 « quand vous savez » http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-240.jpg) : [wiˈit] au point 71 (Merlevenez). Et elle est bien attestée dans le « Dialecte breton de la presqu’île de Batz » (ibid, https://archive.org/details/DialecteBretonBatz/page/n49/mode/2up.) : « Petra uerit-hui ? » (Que savez-vous ?), « Penoz git-hui ? » (Comment allez-vous ?), « A b’leic’h ‘zit-hui ? » (D’où venez-vous ?), « Aven pif konzit-hui ? » (De qui parlez-vous ?), mais on n’en connait pas la valeur phonétique exact.
- 3ème pers. du plur. :
Exemples tirés de ‘Stationneu hur-salvér Jesuss-Crouistt én e bassion’ (éd. Vinourett Galles, 1807), de Claude Cillart de Kerampoul (1686-1749) :
« né ouairantt pénauss impléein enn anderhuë sul » (il ne savent pas comment employer l’après-midi du dimanche, p. vi), « né deliant quétt boud ancouéheit » (ils ne doivent pas être oubliés, p. vii), « ne ouairantt quétt… er-péh a rantt » (ils ne savent pas ce qu’ils font, p. 22), « pétra glascand-intt ? » (que cherchent-ils ? p. 42), « couéhél a-rantt t’en-guiass » (ils tombent en bas, p. 59).
La terminaison « -ant » est généralement prononcé [ãnt], [ãn] et [ãt], voir l’A.L.B.B., carte 241 « quand ils savent » :
http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-241.jpg, carte 263 « s’il fait ; s’il font » : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-263.jpg.
A l'île de Groix, on a [ant], avec voyelle dénasalisée (Elmar Ternes, 'Grammaire structurale du breton de l'île de Groix (dialecte occidentale', éd. Carl Winter - Universitätsverlag, 1970 ; pages 269-274). Et en bas-vannetais maritime on entend aussi [an] (Loïc Cheveau, ‘Approche phonologique, morphologique et syntaxique du breton du Grand Lorient (bas-vannetais)’, thèse, université de Rennes 2, 2007 ; page 187).
- L’impersonnel :
Exemples tirés de ‘Imitation er uirhiés glorius Vari’ (éd. J.-M. Galles, 1829) de Joachim Guillôme (1797-1857) :
« ne vennér mui credein nitra, pé d’er bihannan doutein a rér a guement tra zou » (on ne veut plus rien croire, ou du moins, on doute de tout, p. 53), « ne vern é péh stad en hum gavér » (peu importe dans quel état on se trouve, p. 133), « ma cârér er changemant… é taulér er chonge guet ur stad aral » (si on aime le changement, on jette son dévolu sur un autre état, p. 134), « ouilein a rér a pe gollér madeu » (on pleure quand on perd des bien, p. 140), « er péh a oulennér guet-ou » (ce qu’on lui demande, p. 188).
On prononce [eːr] (Maxime-Morvan Crahé, 'Le breton de Languidic : étude phonétique, morphologique et syntaxique d’un sous-dialecte du breton vannetais', thèse, Université Rennes 2, 2013 ; page 216. + Elmar Ternes, 'Grammaire structurale du breton de l'île de Groix (dialecte occidentale', éd. Carl Winter - Universitätsverlag, 1970 ; pages 269-274). La graphie « -ér » correspond à la prononciation moyenne, dont la voyelle varie entre [i], [e] et [ε]. On entend [i] dans le haut vannetais maritime (voir A.L.B.B. :
carte 269 « ici on fait du pain » http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-269.jpg,
carte 353 « quand on chante » http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-353.jpg).
Bien que le breton vannetais soir particulièrement conservateur, il ne s’agit probablement pas de l’ancienne désinence « -ir » du vieux et moyen-breton, car on sait qu’en haut vannetais maritime le / e /, voyelle fermée, a tendance à se fermer davantage et est prononcée [i] (voir : Georges Dottin, ‘Les désinences verbales en R en sanskrit, en italique et en celtique’, éd. Plihon, 1896 ; page 133). Les syllabes finales en « -er » deviennent très souvent / ir / comme dans « hantir » (hanter), « amzir » (amzer), « diguinir » (digwener), « pounir » (ponner), « kemir » (kemer)… (voir : Émile Ernault, « Le dialecte vannetais de Sarzeau », in ‘Revue celtique’, Tome III, 1876-1878 ; page 50. + Joseph Loth, « Le breton de Quiberon », in ‘Revue celtique’, Tome XVI, 1895 ; pages 324-325. + Serge Le Bozec, « Le breton maritime à Plouhinec (Morbihan) », in 'La Bretagne Linguistique', n° 22, 2018 ; pages 155-175).
La forme « -er » est donnée dans les grammaires (‘Grammaire bretonne du dialecte de Vannes’, A.-M. Le Bayon, éd. Lafolye, 1896. > ‘Nouvelle grammaire bretonne du dialecte de Vannes’, L. Cheveau, éd. Label in, 2017).
Cette désinence représente le trait sémantique impersonnel : « humain ». Dans certaines langues, on observe un pronom impersonnel qui est une grammaticalisation souvent transparente du nom lexical pour « humain » : « on » en français < homme, « man » en allemand, « an den » en breton (Mélanie Jouitteau, « Pronoms impersonnels dans le breton vannetais de Loeiz Herrieu. Syntaxe, sémantique et usages en concurrence avec le passif », in ‘La Bretagne Linguistique’, n° 19, 2015 ; pages 261-280).
2) FORMES DU BRETON K.L.T. STANDARD :
Laezh a evan. (Je bois du lait)
Laezh a evez. (Tu bois du lait)
Laezh a ev ø. (Il ou elle boit du lait)
Laezh a evomp. (Nous buvons du lait)
Laezh a evit. (Vous buvez du lait)
Laezh a evont. (Ils ou elles boivent du lait)
Laezh a ever. (On boit du lait)
Remarques :
- 1ère pers. du sing. :
Conformément à l’étymologie, la désinence de la 1ère pers. du sing. se prononce [ã], ce que Charles Le Bris rendait au début XVIIIe siècle par l’orthographe « -àn » (ex. : ‘Introduction d’ar vuez devot’, éd. Y. Derrien, c. 1709 ; fin de la préface) comme dans « quement a scrifàn, quement a ràn, quement a lavaràn » (tout ce que j’écris, tout ce que je fais, tout ce que je dis). Elle devient [ãn] en Léon à la fin XVIIIe siècle (R. Hemon, ‘A Historical Morphology and Syntax of Breton’, éd. Dublin Institute for Advanced Studies, 1984 ; page 182), ce que rend au XIXe siècle le doublement du « -n », comme chez Amable Troude qui écrit (‘Dictionnaire français et celto-breton’, éd. Ve J.-B. Lefournier, 1842 ; page 87 sous « certain ») : « anad eo ar péz a lavarann d’é-hoc’h » (ce que je vous dis est certain). Cette prononciation gagne du terrain, notamment chez les néo-bretonnants.
- 2ème pers. du sing. :
On prononce généralement [εz-s]. Le « -z » final est prononcé [z-s] partout et ne correspond pas à l’étymologie (voir infra), mais il permet d’indiquer l’origine étymologique de cette désinence (même orthographe qu’en moyen-breton) et de la distinguer de la désinence de l’imparfait « -es » (voir tableau, in ‘La grammaire bretonne’ de E. Chalm, éd. An Alarc’h embannadurioù, 2008 ; page 54), distinction orthographique reprise en vannetais standard (voir tableau, in ‘Nouvelle grammaire bretonne du dialecte de Vannes – Vannetais standard’ de L. Cheveau, éd. Label in, 2017 ; page 199).
- 1ère pers. du plur. :
La désinence « -omp » est prononcée généralement [õm], le « -p » étant élidé (mais il provoque en liaison un durcissement par sandhi de la consonne initiale du mot suivant). La variante de la 1ère pers. du plur. « -amp », typique du breton vannetais, s’entend jusqu’à Carhaix (F. Favereau, ‘Grammaire du breton comtemporain’, éd. Skol Vreizh, 1997 ; page 194).
- 2ème pers. du plur. :
La désinence « -it » est reprise de la forme minoritaire du Léon (voir A.L.B.B., carte 262 « si tu fais ; si vous faites : http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-262.jpg). Elle est prononcée [ɪt] « comme “kif-kif” » (F. Favereau, ‘Grammaire du breton contemporain’, éd. Skol Vreizh, 1997 ; page 194). Elle correspond à ce qui a été signalé dans le breton de Guérande (voir supra), cette distribution aux deux extrémités de la Bretagne bretonnante fait penser à un archaïsme dû à leur situation respective marginale.
Cette orthographe a l’avantage de distinguer cette désinence de celles de l’infinitif « -et » (evet a ran, kerzhet a ra, klevet a reont…) et du participe « -et » (evet em eus, kerzhet en deus, klevet o deus…).
- 3ème pers. du plur. :
La désinence « -ont » se prononce le plus souvent [õn ͭ] avec un « -t » final presque élidé (qui provoque aussi en liaison un durcissement par sandhi de la consonne initiale du mot suivant).
De même, la variante de la 3ème pers. du plur. « -ant » déborde en Cornouaille sur la zone limitrophe du Pays vannetais (F. Favereau, ‘Grammaire du breton comtemporain’, éd. Skol Vreizh, 1997 ; page 194). On la trouvait même jusque dans le Léon comme l’atteste l’ ‘Introduction d’ar vuez devot’ de Charles Le Bris (éd. Y. Derrien, 1710) où on peut lire : « ar vignonet n’en em lequeant quet e poan a guemense » (les amis ne se mettent pas en mal pour ça).
- Impersonnel :
La désinence de non-personne « -er » se prononce le plus souvent [εr] (F. Favereau, ‘Grammaire du breton comtemporain’, éd. Skol Vreizh, 1997 ; page 194).
3) FORMES DU MOYEN-BRETON :
Les formes « -amp » et « -ant » correspondant au vannetais moderne sont données en premier.
1ère pers. du sing. : « -aff »
2ème pers. du sing. : « -ez / -e »
3ème pers. du sing. : « ø » et « -a »
1ère pers. du plur. : « -amp / -omp »
2ème pers. du plur. : « -it / -et »
3ème pers. du plur. : « - ant / -ont »
Impersonnel : « -er / -ir »
Remarques :
- 1ère pers. du sing. :
Par exemple : « pan prederaff quen claff ez aff na gallaff muy » (quand j’y songe, je deviens si malade que je n’en peux plus) dans ‘Le mystère de Sainte Barbe’, publié par É. Ernault, éd. Société des Bibliophiles Bretons, 1885 ; § 408, vers 2-3). « tremen tu arall mar gallaff / breman a mennaff quentaff pret » (passer de l’autre côté si je peux, maintenant je le veux au plus tôt) dans ‘Buez Santez Nonn – Mystère breton’ (éd. C.R.B.C. / Minihi-Levenez, 1999 ; vers 979
Le double « ff » de « -aff » indique que la voyelle est nasale et suivie d’une bilabiale qui est issue d’un plus ancien « m » (voir infra), comme dans le vieux-breton « ham » (été) qui a donné « hañv » en breton moderne. La désinence « -aff » devait être prononcé [ãβ-ɸ] à l’origine (et encore proche du vieux-breton « -am »), puis il n’a dû être ensuite qu’un simple signe de nasalisation (Pierre Le Roux, ‘Le verbe breton’, éd. Plihon, 1957 ; page 70).
- 2ème pers. du sing. :
La désinence « -ez » était prononcée [εð-θ], puis elle a ensuite évolué en [εz-s] par analogie avec d’autres temps.
Exemple :
« Ma ne querez… renonciaff… daz pechedou » (si tu ne veux renoncer à tes pêchés) dans le ‘Mirouer de la Mort’ (publié par Émile Ernault, éd. H. Champion, 1914 ; page 230, vers 2590-2591), et « en pez a mennez » (ce que tu veux) dans ‘Le mystère de Sainte Barbe’ (publié par É. Ernault, éd. Société des Bibliophiles Bretons, 1885 ; paragraphe 769, l. 5).
La désinence archaïsante « -e » n’est pas attestée en moyen-breton, mais elle a nécessairement existé puisqu’elle s’est maintenue très tardivement. On la trouve dans la grammaire de Grégoire de Rostrenen dans l’exemple « petra a re-te aze ? » (« Que fais-tu là ? », in ‘Grammaire françoise-celtique ou françoise-bretonne’, éd. Julien Vatar, 1738 ; page 62). On la trouve encore au début XVIIIe siècle dans le Léon (in ‘Introduction d’ar vuez devot’ de Charles Le Bris, éd. Y. Derrien, 1710 ; page 31) dans « Peveus a dra en em c’hlorifie-te… ? » (De quoi te glorifies-tu… ?). Elle correspond au moyen-gallois comme dans « Ac arglwyd o mynne gwibot pa veint yth kerir » (Et seigneur, si tu veux savoir combien on t’aime) du ‘Brut y Brenhinoedd’ (BL, Cotton Cleopatra MS. B V, p. I ; Fol. 17r, lignes 15-16).
Il y avait aussi une désinence « -ez » d’infinitif, comme dans « lazrez » (voler), « marheguez » (chevaucher)…, attesté dans le ‘Catholicon’ (Jehan Lagadeuc, éd. Jehan Calvez, 1449) ; notée « -ezh » maintenant (« laerezh », « marc’hegezh »…).
- 3ème pers. du sing. :
Par exemple : « dit en scaff ez lauar ø, men-goar hac ez carez ø » (elle te le dit aussitôt, je le sais et elle te blâme » dans le ‘Mirouer de la mort’ (publié par É. Ernault, éd. H. Champion, 1914 ; page 74, vers 665). Dans le ‘Donoet’, un important document du XVe siècle (Gwenaël Le Duc, « Le Donoet, grammaire latine en moyen-breton », in ‘Etudes Celtiques’, vol. 14, fascicule 2, 1975 ; pages 525- 565), qui témoigne de l’utilisation du breton par une population autre que de simples paysans, on trouve « pez acquemerhy anomen ? » (pour « pez a quemer ø hy a ‘nomen’ ? » : Que prend-elle du ‘nomen’ [‘nom’ en latin]).
- 1ère pers. du plur.
Exemples de « -omp » : « eval goezet ez clesquomp hon lech da techet » (comme des bêtes sauvages nous cherchons notre endroit pour fuir) dans ‘L’ancien mystère de Saint-Gwénolé’ (publié par É. Ernault, éd. Plihon, ; vers 219-220), « calz a leveromp ne reomp quet » (nous disons beaucoup de choses, nous ne faisons rien) dans ‘L’ancien mystère de Saint-Gwénolé, publié Émile Ernault, éd. Plihon, 1935 ; vers 670 et 740).
La forme « -amp » est attestée dans une rime interne (avant-dernière syllabe de chaque vers à sa propre césure) notée « -omp » mais prononcé [ãmp] (la rime interne l’exige) : « Duet cruel ez guelomp / goude he hol amprys, » (‘L’ancien mystère de Saint-Gwénolé’, daté de 1580, publié par Émile Ernault d’après la copie de Louis Le Pelletier, éd. Plihon, 1935 ; page 90-91, vers 875). É. Ernault précise (note 424) : « l’auteur… ne répudiait pas absolument la variante -amp » pour les besoins de la rime, et en effet, les quatre vers précédant ont en rime finale les verbes conjugués : « doetomp » (nous doutons), « credomp » (nous croyons), « eznevomp » (nous connaissons) et « requetomp » (nous demandons). Il se pourrait donc bien que « guelomp » soit une erreur de L. Le Pelletier pour « guelamp », refait inconsciemment sur la forme bretonne qu’il connaissait.
La forme « -amp » est aussi attestée dans le ‘Donoet’ (ibid), où l’on trouve plusieurs exemples, comme dans « hac edleamp gozuot quement guir so » (et nous devons savoir chaque mot qu’il y a, p. 549) et « ez leueramp » (nous disons, p. 547).
- 2ème pers. du plur. :
Exemples de la forme « -it » : « Petra a liuirit-huy aneuez ? » (« Que dites-vous de nouveau ? », in ‘Dictionnaire et colloqves françois et breton’ de Guillaume Qvigver, éd. Impr. George Allienne, 1623 ; page 83), « assezit, me oz pet, gryt fest » dans ‘Le grand mystère de Jésus’ (publié par Th. Hersart de la Villemarqué, éd. Didier et Ce, 1866 ; page 7).
Exemples de la forme « -et » : « Pez a leueret huy yvez » (« Que dites-vous aussi ? », in ‘Le mystère de Sainte Barbe’, publié par Émile Ernault, éd. à Nantes, Société des Bibliophiles Bretons, 1885 ; page 177, strophe 771), « petra a mennet an prêt man » (que voulez-vous maintenant ?) dans ‘Buez Santez Nonn – Mystère breton’ (éd. C.R.B.C. / Minihi-Levenez, 1999 ; vers 1731).
- 3ème pers. du plur. :
Exemples de « -ont » : « ouzyt ne leveront guer » (à toi, ils ne disent mot) dans ‘L’ancien mystère de Saint-Gwénolé’, publié Émile Ernault, éd. Plihon, ; vers 670), et « aman ez guelont sante Barba ouz techet rac he tat » (ici ils voient sainte Barbe en train de fuir devant son père) dans ‘Le mystère de sainte Barbe’ (publié par Émile Ernault, éd. Société des Bibliophiles Breton, 1885 ; page 87, strophe 370, didascalie).
On trouve la forme « - ant » dans des rimes internes de le même texte, soit écrite « - ant » : « Ma blam puplyquamant a reant rac ho *antren, » (ils me blâment publiquement devant leur entrée / vers 701), soit écrite « -ont » mais prononcée [ãnt] : « map Doe ne aznevont hac y a amanto » (ils ne connaissent pas Dieu, est-ce qu’ils s’amenderont ? / vers 1219).
Cela montre que le breton parlé à cette époque n’était pas aussi uniforme que le laisse penser les textes en moyen-breton, les désinences plurielles en « -a- » n’étaient pas encore dialectalisées ; comme toute langue, « le moyen-breton avait des dialectes parce qu’il ne pouvait pas ne pas en avoir » (Ch.-J. Guyonvarc’h, ‘La Catholicon de Jehan Lagadeuc – Dictionnaire breton-latin-français du XVème siècle’, éd. Ogam – Tradition celtique, 1975 ; page XXXII). On retrouve comme on s’y attend cette forme « - ant » avant la fin de la période du moyen-breton (1650) dans ‘Chrismas Hymns in the Vannes dialect of breton’ (publié par R. Hemon, éd. Dublin Institute for Advanced Studies, 1982), vers 1170 : « Hac er ré na venant… » (Et ceux qui ne veulent pas…).
- L’impersonnel :
Exemples de « -er » : « me eo an ancquou… a laz… quement en bet man a ganer » (je suis l’ankoù qui tue tout ce qu’on enfante en ce monde) et « eomp ! na gorteomp den ; rac ausaf an boedou louen a ranquer » (allons ; n’attendons personne ; car on doit préparer avec entrain les mets) dans ‘Le grand mystère de Jésus’ (publié par Th. Hersart de la Villemarqué, éd. Didier et Ce, 1866 ; page 6)
Exemples de « -ir » : « na guilir muy » (on ne voit plus) et dans des rimes internes « pe a martir ez ranquir conspiraff » (quel supplice on doit préparer) dans ‘Le mystère de Sainte Barbe’ (1557, publié par É. Ernault, éd. E. Thorin, 1888 ; page 142, strophes 514-l. 6 et 610-l. 2). Elle est identique au moyen-gallois, comme dans « kerir » (on aime), par exemple dans ‘Brut y Brenhinoedd’ (BL, Cotton Cleopatra MS. B V, p. I ; Fol. 17r, lignes 15-16) : « Ac arglwyd o mynne gwibot pa veint yth kerir » (Et seigneur, si tu veux savoir combien on t’aime).
4) FORMES DU VIEUX-BRETON :
1ère pers. du sing. : « -am »
2ème pers. du sing. : « -ith / -e »
3ème pers. du sing. : « ø »
1ère pers. du plur. : « -om / -omp »
2ème pers. du plur. : « -it »
3ème pers. du plur. : « -ant / -ont / -int / -ent »
Impersonnel : « -er / -ir » (et d’autres)
Remarques :
- 1ère pers. du sing. :
« -am » est attesté dans plusieurs exemples (« lammam » : je saute, « rannam » : je partage, « toillam » : je trompe…), exemple avec « preteram » pour "je réfléchis" (Bodleian Library MS. Auct. F. 4. 32 ; Fol. 5r, l. 5) :
Forme abrégée "p̃t̃am" pour "preteram", le latin "perpendo" donne le sens (figuré) : "méditer, considérer" d'après Charlton T. Lewis et Charles Short / "apprécier, évaluer" d'après Félix Gaffiot". Le sens du mot n'est pas simplement "réfléchir" mais plutôt "être préoccupé" comme dans l'exemple moyen-breton "Pan prederaff garu an maru ien, gant anquen ez crenn ma eneff" ("Quand je m'inquiète âprement de la mort froide, mon âme tremble avec angoisse", cité par Gwenole Le Menn, « La mort dans la littérature bretonne du XVe au XVIIe siècle », in MSHAB, tome LVI, 1979; page 24 note 43).
La lénition du / -m / final n'était pas notée en vieux-breton (comme dans "ham" > "hañv" = été / "guoiam" > "gouiañv" = hiver).
Cette désinence correspond exactement au vieux-gallois (A. Falileyev, ‘Le vieux-Gallois’, éd. de l’Université de Potsdam, 2008 ; page 70), comme dans « guardam » (je ris).
- 2ème pers. du sing. :
« -ith » se trouve dans « lemith te » pour "tu enlèves toi" (L. Fleuriot, 'Dictionnaire du vieux-breton', éd. Prepcorp, 1985 ; pages 182 et 239. in 'Bibliothèque d'Angers, MS. 477 daté de 897) :
"lemith te" entre les deux dernières lignes.
Cette désinence est à l’origine du moyen-breton « -ez » (L. Fleuriot, ‘Le vieux-breton – Eléments d’une grammaire', éd. Slatkine Reprints, 1989 ; page 300).
Le seconde forme « -e » est attestée dans « douolousé » (tu exprimes), elle correspond à « nerthi ti » (tu renforces) en vieux-gallois (L. Fleuriot, ibid).
- 3ème pers. du sing. :
Il existait une grande variété de désinences pour le 3ème pers. du sing. en vieux-breton, ne restent maintenant que les désinences zéro « ø » et « -a ».
- On trouve plusieurs exemples de formes verbales « ø » (sans désinence), comme par exemple (BM, Angers, MS 0477, Fol. 17r, l. 16) « diuer » (« coule », « diver[iñ] » en breton moderne) qui glose le latin « influit » (coule, 3ème pers. du sing. du présent de l’ind. du verbe « influo » : couler dans, se jeter dans) dans « in mare influit » (« il coule dans la mer », en parlant du Nil) :
"diuer" entre les lignes 7 et 8 de la copie d'écran.
- La terminaison « -a » n’est attestée que dans les verbes dénominatifs (L. Fleuriot, ‘Le vieux-breton – Eléments d’une grammaire, éd. Slatkine Reprints, 1989 ; page 317), la correspondance avec le moyen-gallois font penser que la désinence vannetaise actuelle est un archaïsme. Il ne s’agit pas à l’origine d’une véritable désinence, mais d’un ancien verbe suffixé à un nom, donnant un verbe ‘dénominatif’. Ce « -a » est la forme réduite d’un plus ancien « -ha », qui est issu d’un celtique « *sag- » (rechercher) qui a donné le vieil-irlandais « saigim » (je cherche) et le nom du peuple celtique des « Tectosages » (‘Ceux-qui-recherchent-des-possessions’, d’après K.H. Schmidt, ‘Die Komposition in Gallischen Personennamen’, 1957 ; page 277). Le verbe « boueta » (nourrir) est composé de « boued » (nourriture) et de « -ha » (avec provection, c-à-d. dévoisement de la consonne sonore / d / de « boued » sous influence du / h / de « -ha » qui s’est amuï), le « -a » final de cet infinitif appartient bien au radical. De ces dénominatifs en « -ha- » est venue à la 3ème pers. du sing. une terminaison en « -a », qui a été étendue non seulement aux autres dénominatifs, mais à d’autres verbes (Pierre Le Roux, ‘Le verbe breton’, éd. Plihon, 1957 ; page 69).
On trouve un exemple en vieux-breton (L. Fleuriot, ‘Dictionnaire du vieux-breton’, éd. Prepcorp, 1985 ; page 239) de ce quasi-suffixe « -ha » (X. Delamarre, ‘Dictionnaire de la langue gauloise’, éd. Errance, 2003 ; page 265), « lemhaam » (Bodleian Library MS. Auct. F. 4. 32 : Fol. 3v ; photo ci-dessous) correspond au vieil-irlandais « líomhaim » (j’aiguise), et a donné le moyen-breton « lemaff ».
"lemhaam" est à droite de la 3ème ligne, la fin du mot est cachée dans la marge intérieure.
On peut comparer avec le moyen-gallois « rydhaaf » (je libère), comme par exemple dans « Rydhaa weithon vyg gỽreic im. Na rydhaaf y·rof a duỽ heb ef. » (– ‘Libère maintenant ma femme.’ – ‘Je la libère, plaise à Dieu’, dit-il.) tiré de « Manawydan uab Llyr » (in ‘The Red Book of Hergest’, manuscrit Jesus College MS. 111 ; Fol. 185v, col. a, ligne 33-34).
La réduction du hiatus (succession de deux voyelles appartenant à deux syllabes différentes) a eu pour conséquence de mettre le « -a » du radical dans la position d’une désinence, puis il a été considéré comme la désinence de la 3ème pers. (H. Lewis et H. Pedersen, ‘A Concise Comparative Celtic Grammar’, éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1937 ; page 279). Cette nouvelle terminaison s’est étendue à des verbes non dénominatifs (L. Fleuriot, ‘Le vieux-breton – Eléments d’une grammaire, éd. Slatkine Reprints, 1989 ; page 317) comme en bas-vannetais ou en moyen-gallois, par exemple « kerda » (il marche) dont on trouve de nombreux exemples (voir : http://www.rhyddiaithganoloesol.caerdydd.ac.uk/en/search.php?q=kerda).
- 1ère pers. du plur. :
« -am(p) » n’est pas attestée en vieux-breton mais elle devait probablement exister (Léon Fleuriot, ‘Le vieux-breton – Eléments d’une grammaire', éd. Slatkine Reprints, 1989 ; page 302), puisqu’on trouve la forme en / a / de la 3ème pers. du plur. « -ant » (voir infra).
Le / -p / final, que l'on retrouve en moyen-breton et breton moderne, a dû se développer entre le / -m / final étymologique et le / n- / initial du pronom personnel affixe "ni" (Henry Lewis et Holger Pedersen, 'A Concise Comparative Celtic Grammar', éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1937 ; page 283). C'est ce qui a empêché la lénition du / m / comme à la première personne du singulier, et une évolution comme en gallois et cornique (ex. pour "nous aimons" : gallois "carwn", cornique "keryn", mais breton "queromp", voir H. Lewis et H. Pedersen, ibid, page 278).
On trouve aussi « -am » en vieil-irlandais (H. Lewis et H. Pedersen, ‘A Concise Comparative Celtic Grammar’, éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1937 ; page 277), comme dans « benam » (nous frappons) / « caram » (nous aimons)..., mais pas en gallois (ni en cornique) qui a subi très tôt l’influence du pronom affixe « ni » (« carwn » : nous aimons). Ci-dessous, exemple du vieil-irlandais "beram" (in 'Universitätsbibliothek Würzburg, MS. Mpth.f.12 – Epistolae Pauli cum glossis Latinis et Hibernoscotticis' ; Fol. 29r, col. b, l. 20 ), où "ni béram ass dano" glose le latin "nec aufferre quid possimus" (nous ne pouvons rien emporter) :
Entre la 2ème et la 3ème ligne, "niberã" pour "ni beram" (nous ne portons).
- 2ème pers. du plur. :
« -it » n’est attestée que par un seul exemple (L. Fleuriot, ‘Le vieux-breton – Eléments d’une grammaire, éd. Slatkine Reprints, 1989 ; page 302), on a « guotroit » pour "vous trayez" (Médiathèque municipale d'Orléans, MS 0221 ; Fol. 122v, l. 15) :
Entre les lignes 6 et 7 de la copie d'écran.
Ce mot correspond au gallois "godro" (traire), au moyen-breton "gozro" ("traire le lait des bestes", in le 'Catholicon' de Jehan Lagadeuc, éd. J. Calvez, 1499) et au breton moderne "goro" ("godro" à Ouessant, voir : Dom Malgorn, "Le breton d'Ouessant", in 'Annales de Bretagne', Tome 25, n° 2, 1909 ; page 244).
Cette désinence est identique au moyen-gallois « -yt », qui a été remplacé très tôt en gallois par « -wch » (S. Evans, ‘A Grammar of Middle Welsh’, éd. Dublin Institute for Advanced Studies, 1989 ; pages 119-120). Exemple en moyen-gallois dans "vn awr na’m herlynyt", ce qui signifie "maintenant vous ne me poursuivez pas" (voir : Marged Haycock, ‘Legendary Poems from the Book of Taliesin’, éd. CMCS Publications, 2007 / source : 'Le livre de Taliesin', Bibliothèque Nationale du Pays de Galles, Peniarth MS 2 ; Fol. 13r, l.16-17) :
"herlynyt" (vous poursuivez), fin 4ème - début 5ème ligne du paragraphe,
gallois moderne "erlyn" (poursuivre quelqu'un en justice).
On la retrouve aussi dans le vieil-irlandais « -id » (R. Thurneysen, ‘A Grammar of Old Irish’, éd. Dublin Institute for Advanced Studies, 1980 ; pages 359-360). Par exemple dans la glose « ished inso anaithescc noberid uaimm » ce qui signifie « c’est la réponse que vous obtenez de moi » (in 'Universitätsbibliothek Würzburg, MS. Mpth.f.12 – Epistolae Pauli cum glossis Latinis et Hibernoscotticis' ; Fol. 9r, col. b, ligne 14) :
Entre les 4ème et 5ème lignes sur la copie d'écran, à droite.
La forme « -et » n’est pas attestée en vieux-breton.
- 3ème pers. du plur. :
« -ant » est attesté (Biblioteca Apostolica Vaticana, MS Reg. lat. 296) par la glose « condadlant » (ils se réunissent).
Au milieu de l'image entre la 3ème et la 4ème ligne.
Elle est identique au vieux-gallois « diprotant » que l’on trouve dans un texte inclus dans les ‘Évangiles de Lichfield’ (bibliothèque de la cathédrale de Lichfield, MS 1) ; c’est un manuscrit très important du VIIIe siècle, car il contient, en marge, certains des premiers exemples connus de vieux gallois écrit. On peut y lire (Fol. 141) : « ho diued, diprotant gener tutri o guir. » traduit par « Finalement, ils déboutent la famille de Tutri de ses droits. » (Stefan Zimmer, « Vieux-gallois gener et autres problèmes à propos de la minute ‘Surexit’ », in ‘Etudes Celtiques’, vol. 33, 1997 ; page 157).
Premier mot de la 3ème ligne du texte en petits caractères du milieu.
On retrouve la désinence en moyen-gallois, comme dans « ỽynt a dygant » (eux ils portent) avec accord du verbe avec le pronom sujet (Bibliothèque Nationale du Pays de Galles, ‘Ystoria Lucidar’, in MS. Llanstephan 27, ‘The Red Book of Talgarth’ ; Fol. 18r, l. 19-20), ainsi qu’en gallois moderne (Stephen J. Williams, ‘A Welsh Grammar’, éd. University of Wales Press, 1980 ; page 80). En vieil-irlandais, on trouve « -at » avec amuïssement du « -n- » étymologique (H. Lewis et H. Pedersen, ‘A Concise Comparative Celtic Grammar’, éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1937 ; page 277), comme dans « benat » (ils frappent) / « carat » (ils aiment), formés sur des thèmes en « -na- » et « -a- » (une voyelle thématique est en morphologie une voyelle sans signification propre qui s’intercale entre la racine du mot et la désinence).
- L’impersonnel :
La forme « -ir » du présent de l’indicatif est attestée une fois dans « diodlir » (in BNF, manuscrit latin MS 10290, copie assez luxueuse de la grammaire de Priscien ; Fol. 18r, ligne 22) qui signifierait « on donne un sens », verbe formé sur le nom « odl » qui glose le latin « significationem » (L. Fleuriot, ‘Dictionnaire du vieux-breton’, éd. Prepcorp, 1985 ; page 269 et 274).
Elle correspond au vieux-gallois « -ir » (flexion conjonctive), comme dans « rincir » (Alexandre I. Falileyev, ‘Le Vieux-Gallois’, éd. de l’Université de Potsdam, 2008 ; page 71 + ‘Etymological Glossary of Old Welsh’, éd. Max Niemeyer Verlag, 2000 ; page 138), qui correspond au moyen-breton « ranquir » (voir supra). La terminaison « -r » est apparentée aux médio-passifs indo-européens (Mélanie Jouitteau et Milan Rezac, « The Breton Inflectional Impersonal », in ‘Dialectologia’, Special issue V, 2015 ; page 268), on a en vieil-irlandais la désinence « -ir » au passif (Joseph Loth, ‘Essai sur le verbe néo-celtique’, éd. E. Leroux, 1882 ; page 9).
On trouve des exemples de la forme « -er » (in Léon Fleuriot, ‘Le vieux-breton – Éléments d’une grammaire’, éd. Slatkine Reprint, 1989 ; page 303) : « dispriner » (on mange), cimpenner » (on arrange) et « duducer » (on apporte).
Les deux désinences sont regroupées dans la grammaire de Léon Fleuriot, mais on peut supposer que « -er » correspondait toujours à cette époque à la désinence de subjonctif présent impersonnel, le mot « dispriner » glose le latin « depretiatur » (Orléans, Bibliothèque municipale, ms 221 ; Fol. 146, l. 15-16) pour la forme passive du subjonctif présent « dēpretiētur » (Pierre-Yves Lambert, « Les gloses grammaticales brittoniques. », in ‘Études Celtiques’, vol. 24, 1987 ; pages 295-296).
On avait donc en vieux-breton la même situation qu’en vieux-gallois (Pierre-Yves Lambert, « Notes de vieux-breton », in ‘Études Celtiques’, vol. 38, 2012 ; page 275), où l’on opposait « -ir » au présent de l’indicatif et « -her » au présent du subjonctif (Alexandre I. Falileyev, ‘Le Vieux-Gallois’, éd. de l’Université de Potsdam, 2008 ; pages 71-72).
C. CONCLUSION.
La normalisation est nécessaire pour faciliter la communication, l’édition et surtout pour l’enseignement, mais la question reste ouverte de savoir jusqu’où on standardise la langue bretonne, est ce que la valorisation d’une variété de langue doit aller jusqu’à l’effacement total d’une autre ?
Je crois qu’il faut distinguer à l'écrit entre les innovations qui ont éloigné le breton vannetais de la langue commune et les faits de langue hérités (les archaïsmes) qui appartiennent à la langue commune (ce dont parle Léon Fleuriot dans ses articles sur le breton vannetais : « L’importance du dialecte de Vannes pour l’étude diachronique et comparative du breton armoricain », in ‘Beiträge zur Indogermanistik und Keltologie. Julius Pokorny zum 80. Geburtstag gewidmet.’, éd. Sprachwissenschaftliches Institut der Universität Innsbruck, Collection : Innsbrucker Beiträge zur Kulturwissenschaft, BD. 13, 1967 ; pages 159-170. + « La place du dialecte de Vannes dans l’histoire du breton », in 'Chants traditionnels vannetais, avec musique et traduction en français - Collecte de Jean-Louis Larboulette 1902-1905', éd. Dastum Bro Ereg, 2005 ; pages 5-9). Dans le compromis indispensable, il me semble tout aussi indispensable de préserver dans l’écrit les formes remarquables du breton vannetais, car à défaut d’un peu de tolérance envers certaines particularités, ce dialecte est condamné à court terme.
Dans ‘Le vannetais unifié’ (éd. Skridoù Breizh, c. 1943), Roperzh Ar Mason disait (page 16) : « on tolèrera » les formes « -amp » et « -ant », la tolérance a été brève, elle n’existait déjà plus en 1947 dans la grammaire de Fransez Kervella ; il est étrange d'accepter les formes vannetaises du conditionnel ("karhen" vs "karfen") et d'écarter les formes "-amp" et "-ant" du présent (‘Yezhadur bras ar brezhoneg’ (1947, rééd. Al Liamm, 1976 ; page 124). Dans ces conditions, il est difficile d'apprendre et d'enseigner le breton vannetais.
Il faut aller au-delà de la tolérance, et préserver dans l’écrit les formes les plus remarquables du breton vannetais, notamment celles qui le rapprochent des autres langues celtiques, on peut aussi faire des rapprochements avec le standard K.L.T. quand ça semble utile, surtout pour l’enseignement (comme pour « -it » qui est différent de l'infinitif et du participe, même si on peut évidemment le prononcer de la façon majoritaire en vannetais).
Étant Guérandais, je retiens pour mon usage :
« -AN » prononcé [ɑ̃:] ou [ɑ̃] selon le contexte et le tempo
« -EZ » prononcé [εs]
« -ø » …
« -AMP » prononcé [ɑ̃mp]
« -IT » prononcé [ɪt]
« -ANT » prononcé [ɑ̃nt]
« -ER » prononcé [e:r]
Christophe M. JOSSO
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