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BASSE-BRETAGNE / HAUTE-BRETAGNE

Dernière mise à jour : 5 mai


INTRODUCTION :


"Basse-Bretagne" se dit "Breizh-Izel" en breton et Haute-Bretagne "Breizh-Uhel ; en breton on entend aussi respectivement "Goueled Breizh" (Fond de la Bretagne, comme on dirait Bretagne profonde) et "Gorre-Breizh" (Dessus de la Bretagne).


Le nom « Basse-Bretagne » a pu être utilisé aussi par opposition à « Grande-Bretagne ». Dans les "Croniques et anchiennes istories de la Grant Bretaigne, à présent nommé Engleterre" de Jehan de Waurin (1400?-1474?), publiées par William Hardy (éd. Longman, Roberts, and Green, 1864), on peut lire (Livre I, page 5) : « Engleterre jadis appellee… Albion… Et lui dura ce non (page 6) dAlbion jusques au temps dun prince appelle Bructus qui la conquist… lequel lappella Bretagne-la-Grant doultre mer a la difference de Basse-Bretaigne. ». La Bretagne-Armorique est bien située plus bas sur nos cartes actuelles que la Grande-Bretagne. « Alors que la notion de basse Bretagne existait dès le XIVe siècle, le pays francophone ou gallo ne reçut jamais au Moyen Age l'appellation de haute Bretagne qu'on lui donne à l'époque moderne. » (Kerhervé Jean, 'L'Etat Breton au 14e et 15e siècle', éd. Maloine, 1987 ; Tome I, page 23).


Comme pour "Basse-Normandie / Haute-Normandie", "Bas-Maine / Haut-Maine", "Bas-Poitou / Haut-Poitou", "Basse-Bourgogne / Haute-Bourgogne"... les locutions "Basse-Bretagne" et "Haute-Bretagne n'ont qu'une valeur géographique (d'orientation Ouest / Est). Haut et bas pays ne correspond donc pas à l'origine à des limites ethnographiques ou linguistiques, aucun de ces territoires n'est traversé par une limite linguistique qui les partage en deux zones distinctes.


Ex : « HAUTE BRETAGNE, eft la par[tie] Orientale du Gouvernement de Bretagne. Superior Britannia… HAUTE NORMANDIE, Normania Superior… c’eft la partie Orientale du Gouvernement de Normandie. » (DE TRALAGE Jean-Nicolas, Dictionnaire geographique françois-latin et latin-françois, éd. George Gallet, 1697 ; page 26b)


C'est probablement la cartographie médiévale qui explique cette dénomination.


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CARTOGRAPHIE ANCIENNE :


Les hommes ont cherché dès l’Antiquité à représenter leur territoire et à mémoriser des itinéraires. L’apport des Grecs est fondamental, ils jettent les bases de la cartographie. La "Géographie" (Γεωγραφικὴ Ὑφήγησις) de Ptolémée (Κλαύδιος Πτολεμαῖος, 90-168) est une compilation des connaissances géographiques du monde gréco-romain, aboutissement d’une longue évolution de la science, une partie de l'oeuvre comporte des méthodes concernant la confection des cartes. Ce n’est qu’à la fin du XIVe siècle que l’Occident a pris connaissance de cette œuvre importante qui avait été perdu dans le monde latin à la fin de l’Antiquité. Les cartes qui illustrent les manuscrits parvenus jusqu’à nous ne sont probablement pas des copies de cartes antiques, mais ont été réalisées d’après les indications fournies par Ptolémée, et adaptées à la cartographie occidentale de la fin du Moyen Âge.


Les Romains ont apporté leur propre contribution avec des éléments pratiques, ils étaient plus intéressés par des cartes utiles à l'administration des territoires soumis à leur domination que par les avancées théoriques de la cartographie. Les pays conquis ont été couverts de voix romaines dont les mesures ont fourni des données importantes. La carte dite "Table de Peutinger", du nom de l'humaniste allemand qui avait acquis au XVIe siècle la copie médiévale de cette carte, est le seul exemplaire d'une carte romaine qui soit parvenu jusqu'à nous. C'est la copie, réalisée vers 1265 par des moines de Colmar, d’une carte romaine réalisée vers 350 qui représente l'Orbis romanus. C’est peut-être une version actualisée au IVe siècle de la carte du monde préparée par Marcus Vipsanius Agrippa (-63/12), proche de l’empereur Auguste. La carte est composée de onze parchemins (il en manque un), qui assemblés forment une longue bande d'à peu près 6,80 m sur 0,35 m. On est plutôt désorienté à la vue de ce planisphère très étiré, c'est le caractère utilitaire qui a été privilégié et non le réalisme. Ce n'est pas une carte qui permette de visualiser les contours des diverses contrées représentées, elle ne tient compte ni de l’échelle, ni de l'orientation, elle est plus proche d’un plan schématique des lignes de bus d'une ville que d’une carte routière. On y trouve les routes et les principales villes de l'Empire romain, elle permettait de se rendre d'un point de l'empire à un autre. Pour les celtisants, c'est un document très important car il donne un grand nombre de toponymes (lieux habités, reliefs, cours d'eau), les dénominations celtiques sont d'ailleurs des indices de l'antiquité de la carte.


- CARTE 1 :



Extrait de la Table de Peutinger (fac-similé de Konrad Miller de 1887). On voit que le sud de l'île de Bretagne est orienté vers la droite de la carte face au nord de l'Armorique qui est orienté vers la gauche, alors que le sud de l'Armorique est orienté vers le bas de la carte.


Tout cet effort scientifique de l'Antiquité gréco-romaine s'efface dans le haut Moyen-âge. S'opère alors une christianisation de l'espace : centralité sur Jérusalem et orientation préférentielle à l’est, selon la Genèse (II-8) le paradis terrestre se trouve à l’est, et il est représenté avec Adam et Ève dans le haut de la carte.


Isidore de Séville a ouvert la voie à des représentations mystiques et hiérarchisées de la Terre. On a pris alors l'habitude d'orienter les cartes vers l’Est, c'est-à-dire vers le soleil levant, c'était l'axe soleil levant / soleil couchant qui était privilégié, conformément à l'orientation de la prière. Tertulien (Quintus Septimius Florens Tertullianus, 160-220), écrivain latin et théologien chrétien de Carthage, disait dans son Apologétique (Tertulliani Apologeticum, XVI 9 et 10) : « Alii… solem credunt deum nostrum… Denique inde suspicio, quod innotuerit nos ad orientis regionem precari. » (D’autres… croient que le soleil est notre dieu… Pour tout dire de cette croyance, il est connu que nous prions en direction de l’Orient.).


- CARTE 2 :



Carte en TO indiquant les quatre points cardinaux dans une copie française des 'Étymologies' d’Isidore de Séville, manuscrit du début du XIe siècle (BNF, Manuscrit Latin 7586, f. 45r).


Une carte en TO (Terrarum Orbis : monde habité) est une représentation symbolique du monde connu au Moyen-âge, c'est-à-dire l'Asie, l'Europe et l'Afrique. Cette tripartition dans la cartographie médiévale est conforme aux croyances religieuses et au peuplement de la terre par les trois fils de Noé : Sem, Japhet et Cham, le symbolisme du chiffre 3 se retrouve aussi dans la Trinité.


De l'Antiquité à la Renaissance, le système géocentrique a dominé l'astronomie occidentale, et avec l'emprise de l' Église sur la société, il était prudent de ne pas la contredire. La terre - centre de la création / univers - se présente comme un disque entouré d'océans, et la carte est tournée vers l'Orient (orientée).


- CARTE 3 :



Mapa Mundi (mappemonde) du moine espagnol Beatus de Liébana, l'une des principales œuvres cartographiques du Haut Moyen-âge (780), conservé dans le manuscrit de Saint Sever (milieu XIe siècle).


Dans cette conception mystique du monde, le paradis (haut de la carte) est parfois complété par un Christ, la "lumière" du monde. Dans l'Évangile selon Jean on peut lire (8-12) : « Ἐγώ εἰμι τὸ φῶς τοῦ κόσμου » (Je suis la lumière du monde), l’article défini « τὸ / la » (nominatif singulier neutre) indique que pour les chrétiens il n’y a pas d’autre lumière pour le monde, le monothéisme excluant par définition tout autre croyance. La prière en direction du soleil levant était conçue comme un regard tourné vers le Christ ressuscité, vers le soleil véritable, selon les Chrétiens.


- CARTE 4 :



Mappa Mundi dite d'un psautier, 1260, British Library (BL Add MS 28681, f. 9r)


Sur de telles cartes, plus utiles en matière de religion que pour se repérer dans l'espace, le « haut pays » est en haut de la carte et le « bas pays » en bas. Origine de cette orientation est bien plus ancienne que la Bible, c'est une système d'orientation primitif, le plus simple des hommes préhistoriques pouvaient s'orienter chaque matin grâce au soleil levant. Ce n'est qu'à la fin du XIIIe siècle que se développent des cartes basées sur un relevé plus précis des côtes : les « cartes-portulans », des cartes de navigation servant à repérer les ports et connaître les dangers qui peuvent les entourer.


- CARTE 5 :



Guillaume Brouscon, partie de sa mappemonde de 1543 (Huntington Library de San-Marino, Californie ; MS. HM 46). Avec les progrès de la cartographie et l’usage de la boussole qui se développe en Europe à la fin du Moyen-âge (en faisant abstraction du décalage du pôle nord géographique), c'est l'axe nord / sud qui s'est imposé, et on a pris l’habitude de placé par convention le nord en haut des cartes.


Mais les cartes orientées vers l'Est ont pu perdurer tardivement jusqu'à la Renaissance.


- CARTE 6 :



"Cosmographie" de Jehan Allofonsce et Paulin Secalart, 1545, BNF ms. fr. 676, Fol. 44r.


- CARTE 7 :



"Cenomanorum Galliae regionis typus. Britanniae, et Normandiae Typus." c.1595.


- CARTE 8 :


"Mare clavsvm" de John Selden (éd. Meighen, 1636)


Le haut pays jouxte le bas pays des voisins orientaux. L’historien guérandais et bretonnant Alain Bouchart (c. 1440-1520), secrétaire du duc de Bretagne et familier de la reine Anne, est natif de Batz en Guérande, dit (T. I, page 203-204) dans ses "Grandes croniques de Bretaigne" (1514, éd. du C.N.R.S., 1986) : « La description du royaulme de nostre Bretaigne Armoricque. Le royaulme de Bretaigne qui iadis fut appelle Armoricque eft fitue es extremitez d’occident vers la fin d’Europe… Par le haulx, deuers orient, ioignent a ce royaulme les bas pays de Normendie, le Mans, Anjou & Poictou. » (c'est-à-dire :

"Le royaume de Bretagne, qui jadis fut appelé Armorique, est situé à l'extrémité de l'Occident, vers les confins de l'Europe... Par le haut pays, vers l'Orient, ce royaume est contigu aux bas pays de Normandie, du Maine, de l'Anjou & du Poitou... »)


Livre deux, fol. 59v.


Cette tradition médiévale d'un axe du monde Est-Ouest a perduré tardivement en Bretagne. Dans le "Dictionnaire françois celtique ou françois breton" de Grégoire de Rostrenen (éd. J. Vatar, 1732), on peut lire (page 570a sous « levant ») : « l’Orient, le païs de Levant… ar fav-héaul. Van. er fao-hiaul… bro ar fav-héaul. », et on retrouve cet axe privilégié « levant / couchant » (page 218b sous « couchant ») : « Cuz-héaul. ar c’huz-héaul. Van. cuh-hyaul. er huh-hyaul… Du levant jufqu’au couchant… adalecq an eil penn eus ar bed bedeg eguile ».


Il semblerait donc bien que la division entre bas et haut pays doivent plus à l'orientation ancienne et à la cartographie médiévale qu'à un éloignement ou une proximité avec la ville de Paris, une autre explication qui circule (la Basse-Bourgogne montre bien que ce n'est pas le cas, le département de l'Yonne étant plus proche de Paris que la Côte d'or en Haute-Bourgogne).


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REMARQUES :


La limite entre Basse-Bretagne et Haute-Bretagne est donc une ligne droite qui coupe la Bretagne en deux parties d'égale largeur, dans le langage moderne on peut remplacer ces expressions traditionnelles par "Bretagne occidentale" et "Bretagne orientale" (donc sans aucun contenu ethnique ou linguistique). "Basse-Bretagne" et "Bretagne occidentale", "Haute-Bretagne" et "Bretagne orientale", sont donc synonymes.


C'est le hasard qui a fait que cette limite purement géographique longe en partie la frontière linguistique qui sépare la Bretagne celtique de la Bretagne romane, il ne faut sans doute pas confondre les deux.


En mesurant la distance entre le Conquet et la frontière de la Bretagne à l'est de Rennes il y a environ 274 km, soit 137 km pour la moitié ; cela tombe à peu près au niveau de Plouha (ça tombe bien), en descendant en ligne droite plein sud elle passe au niveau de Port-Navalo, il y a donc bien une partie du Pays Vannetais (dont Vannes) qui se trouve dans la moitié orientale de la Bretagne (et donc en Haute-Bretagne), les bretonnants de cette partie de la Bretagne celtique pouvaient légitiment désigner les autres bretonnants de bas-Bretons !


Et c'était le cas, comme en témoigne Joachim Guillaume, l'auteur du "Livr el labourer" (1849), qui disait dans son "Vocabulaire nouveau ou Dialogues français & bretons" (éd. J. M. Galles, 1829 ; page 123) : « - Vous mettez donc une différence entre le breton de Vannes et le bas-breton. - Oui, on regarde, avec raison, le breton de Vannes comme le meilleur, comme l'ancienne et véritable langue celtique : les Bretons des autres quartiers n'en sont que des dialectes... (page 124) - Comment pensez-vous que les Bas-bretons aient altéré la langue celtique ? - En voulant l'astreindre aux règles & aux tournures de la langue française, ils ont habillé à la bretonne une infinité de mots français.".


Dans ce texte, le "bas-breton" correspond à l'ensemble dialectal dit "K.L.T., considéré par l'auteur - un petit peu chauvin - comme une variété "basse" de la langue. Dans son "Dastumad gerioù a rannyezhoù ar gevred" (éd. Hiziv An Deiz, 2007), Turiaw ar Menteg explique (page 37) au sujet du terme vannetais "babistoul-ed", qui est un « surnom des Bas-Bretons", que c'est une « déformation péjorative de Babërton, le pays de Vannes étant en haute Bretagne ». Ceci est confirmé encore par Mikael Madeg, dans "Ur lévrad lesanùeu a Vro-Gwened" (éd. Brud Nevez, 1987 ; pages 15 et 199) il donne le surnom "Babeurtonenn" prononcé [ˈbaˑbœrtœˈɲɛn] donné à Surzur à une femme originaire de plus à l'ouest en Bretagne bretonnante (« a-zonnoh er vro vrehoneg »), cela exprime le sentiment traditionnel que la Basse-Bretagne c'est là-bas, plus à l'ouest, on ne se considérait donc pas en Basse-Bretagne dans cette partie du Pays Vannetais.


Le nom "Basse-Bretagne" est traditionnelle, et d'un usage courant, mais il peut aussi être ressenti comme étant péjoratif, ainsi l'université de Rennes II s'appelle "Université de Haut-Bretagne", alors que l'université de Brest a préféré s'appeler "Université de Bretagne Occidentale".


Cette bipartition a peut-être du sens pour les habitants du Finistère et de l'Ille-et-Vilaine, mais elle n'est pas parlante pour le Guérandais que je suis. Si je dois me situer en Bretagne, je dirais que je suis - non pas de l'Ouest ou de l'Est - mais du Sud, de la Bretagne méridionale, la belle Bretagne ensoleillée où la viticulture et la saliculture sont possibles.


Christophe M. JOSSO.

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