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SUR LES MOTS "GALL", "GALLEG", "BRO-C'HALL" / "GALLOU", "GALLAOUEG".

Dernière mise à jour : 4 oct. 2023


Le terme breton "gall" (pluriel "gallaoued") désigne le locuteur d'un parler gallo-roman, parlant "galleg", ces termes s'appliquent à l'ensemble du domaine gallo-roman (oïl, oc et franco-provençal) que l'on nomme traditionnellement "Bro-C'hall" en breton.


Au figurer le mot "gall" signifie "bègue", car les bas Bretons ne comprenaient rien au parler des Gallos. Il est issu d'un celtique "gallo-" (étranger) qui donné le gallois "gall" (étranger), le vieil-irlandais "gall" (étranger), le gaélique d'Écosse "gall" (étranger). Dans le 'Dictionary of the Gaelic Language' de Norman MacLeod et Daniel Dewar, éd. John Grant, 1909), on trouve (page 314) cette intéressante remarque : "Properly a native of the low country of Scotland ; any one ignorant of the Gaelic language ; a foreigner, stranger." (A proprement parler, une personne originaire du pays bas d'Écosse ; quiconque ignorant la langue gaélique ; une personne étrangère, étranger.) ; les habitants des basses terres d'Écosse (parlant le scots) étaient eux aussi des Gallos ! En irlandais, le mot "gallóglach" désigne les mercenaires étrangers (de "gall" : étranger + "óglach" : guerrier).


C'est une dénomination qui correspond au hollandais « waalsch » (« le jargon des Wallons » d’après le 'Dictionnaire françois et hollandois' de Pieter Marin, éd. D. J. Changuion, 1793 ; page 502), et à l'anglais "welsh", issu d'un germanique "*walhiskaz" (étranger / non germanique). Les Romains désignaient par le terme latin « barbarus » (étranger, barbare, sauvage, grossier) tout étranger à la civilisation greco-romaine, dont les Germains qui déferleront sur leur empire ; il est issu du grec « βάρϐαρος » (étranger, barbare, sauvage) utilisé par les Grecs pour tout étranger ignorant la langue grecque. On trouve le terme en sanskrit, "बर्बर / barbara" signifie aussi étranger, et bègue.


Le diminutif "galloù" (mot breton) s'applique à la Haute-Bretagne gallo-romane, par opposition à la Basse-Bretagne celtique. Dans un actes du duc Jean V de Bretagne, on peut lire : « le païs de Bretagne gallou » ('Archives de Bretagne – Tome V Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne', éd. à Nantes par la Société des Bibliophiles Bretons, 1890 ; page 42, acte n° 642). Dans son 'Histoire de Bretagne' (éd. Veuve François Muguet, 1707), l’historien haut-breton Guy-Alexis Lobineau donne (Tome II, colonne 1797 dans le glossaire) la définition du mot « gallou » : « Bretagne-Gallou : Haute-Bretagne, où l’on parle François. ». Cela permet aussi de distinguer le Pays Gallo de l'ensemble gallo-roman, puisque la Pays Gallo c'est la Bretagne, la Haute-Bretagne.


Cette dénomination est ancienne et remonte à l'époque du moyen-breton, donc après que la frontière linguistique se soit stabilisée, à la fin de la période linguistiquement confuse du vieux-breton (1100).


A le fin du Moyen-âge, l'État Breton des ducs de Bretagne distinguait dans son administration fiscale la Bretagne bretonnante de la Bretagne gallou. Dans les 'Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne' de Hyacinthe Morice (éd. Impr. Charles Osmont, 1744), on peut lire (Tome II, colonne 1194, dans l’ « Extrait du compte de Jehan Dronyou Treforier & Receveur General de Bretagne » des années 1423 à 1426) : « Jehan de Bennerven Procureur General de Baffe-Bretaigne 100. liv. par an. Maiftre Jehan Doguet Procureur Géneral de Bretagne-Gallou 100. liv. par an. », (colonne 1605, dans l’ « Extrait du compte de Raoul de Launay », des années 1451-1452) : « Maiftre Jehan de Coetanezre Procureur General de Baffe-Bretaigne. Maiftre Pierre Ferré Procureur General de Bretaigne-Gallo. ».


Gilles Le Bouvier (1386-1455), qui était un dignitaire et diplomate français, cite le terme "galo" dans son traité géographique intitulé 'Description de pays', où il décrit les pays « où il a esté en son vivant » (publié par E.-Th. Hamy : 'Le Livre de la description des pays' de Gilles Le Bouvier dit Berry, Paris, E. Leroux, 1908). On peut y lire (page 48-49) : « Puis y est la duché de Bretaigne qui est bon païs, espécialment Bretaigne Galo, du costé de Normandie et d'Anjou et là parlent françois. Et en Bretaigne Bretonnant parlent un langaige que nul que eulx n'entant s'il ne l'aprant. En ce païs ne croist point de vin, ce n'est autour de Nantes… Le plus de ces gens ne boivent que eaue, se non aux festes, et font moult de bures [beurre] qu'i vendent aux estranges païs… ».


« Entre lefquelles langues de l’Armorique & Vvallonne ou de Gales, fi auiourdhuy il fe trouue quelque peu de diformité, il ne f’en faut esbahir non plus que de voir vne mefme langue Françoife changee en Picardie, Normandie, Poictou, Perigueux ou Lymofin. Car les mefmes mots diuerfement prononcez auec changement d’accens, femblent fouuent alterer le ton & fyllabe des mots ; cela fe cognoift en Bretaigne, car le breton de l’Euefché de Cornouaille, & celuy de Vennetois ou de Leon font diuers en beaucoup. » (D’ARGENTRÉ Bertrand, Histoire de Bretaigne, Liure premier, page 43)


Dans 'La cosmographie avec l'espère et régime du soleil et du Nord ' de Jean Fonteneau (1484-1544), dit Alfonse, de Saintonge (publié par Georges Musset, éd. E. Leroux, 1904), on peut lire : "(p.154) La rivière de Nantes est dangereuse, à son entrée, de bans et de rochiers…. Auprès de ladicte entrée est la ville de Sellezère [Sant-Nazaire] qui est du cousté de Bretaigne, et de ladicte entrée à Nantes y a douze lieues. Nantes est la première ville principalle de Bretaigne et riche de bons marchans, et descend par elle la rivière de Loire… (p. 155) Et entre Belle Isle et la rivière de Loire est le port de Guerrande et du Croisic. Le Croisic est comme une isle. Et en ce lieu se faict force sel. Et à la terre de Belle Isle y a beaucoup d’aultres isles, et y a bon port, et s’appelle ledict port Morbian et Vennes... Toute ceste coste depuys le Croisil [Le Croisic] jusques au port de Sainct Brieu s’apppelle la Basse Bretaigne, et est une nation de gens sur’soy et n’ont amitié à aultres nulles nations. Sont gens de grand penne et travail… (p. 159) Sainct Mallo est une isle et est une petite ville forte, et icy descend une petite rivière, et à l’entour d’elle y a d’aultres isles et forces rochiers. Comme j’ay dict, l’eaue y court fort. Et cecy est desjà la haulte Bretaigne, là où on parle françois. ».


Dans 'La guide des chemins de France' de Charles Estienne (éd. à Paris, 1552), on peut lire (page 125) : « La duché de Bretaigne, dicte des anciens Armoricque, fut royaume… eft cõtigue a la Frãce vers l’Oriẽt, & a la mer Oceane vers l’Occidẽt… Cõprend neuf fieges cathedraulx, a trois defquels, qui font Nantes, Vãnes & fainct Brieu, lon parle indifferẽmẽt François & Breton. a trois autres, qui font Cornouaille, fainct Paul & Treguier, lon ne parle que le Breton bretõnãt… Aux trois autres, qui font fainct Malo, Dol & Renes, lon ne parle que Gallo… qui eft le vray François… La haulte Bretaigne ha plus participatiõ de terre que de mer, & n’eft feulement feparee de la baffe par les limites, que nous dirons cy apres : mais encor par langage vulgaire, approchant de noftre… (page 126) François, dõt a efté appelee Galoife [gallo / gallot, et non gallois] : cõtient le pays de fainct Brieu des vaulx, Lamballe, Mõtcõtoul, Iugon, le pays de fainct Malo, Dinan, Plerremel, Ioffalin, Maleftroit, Pontigny, Redon, Sainct Aulbin, sainct Iulian de Vouantes, Renes, Nantes, Aufeuy & Cliffon…La baffe Bretaigne coftoye la mer pour la plus part, & eft feparee de lãgage d’auec la haulte, dont a efté appelee Bretonnante. Cõmence vers la mer au Croifil [Le Croisic en Guérande], petite ville & port de mer… & fine du cofté de la terre a vn village appelé Chafteaulandran affis entre Guingand & sainct Brieu ».


Dans 'Les Estats, empires, et principautez du monde, representez par la description des pays, moeurs des habitans, richesses des provinces, les forces, le gouvernement, la religion, et les princes qui ont gouverné chacun estat' de Pierre d’Avity (éd. chez Pierre Cheualier, 1617), on peut lire (page 64) : « Le Parlement de Renne comprend la haute, & baffe Bretagne, & a pour fes bornes du Leuant la Normandie, le Maine & l’Anjou, du Midy le Poictou, & des deux autres coftez la mer Oceane… On y parle deux langues, dõt l’vne, qui eft celle de la haute Bretagne, eft la Françoife, l’autre eft le Breton bretonnant, ou bas Breton, qui n’a rien de commun auec toutes les autres lãgues : & c’eft le langage qu’on parle en la baffe Bretagne. La haute Bretagne eft plus oriẽtale ».


« La Bretagne a pour fes bornes du Leuant, la Normandie, le Mayne, & l’Anjou, du Midy le Poictou, & des deux autres coftez, la mer oceane… elle eft diuifée en haute & baffe : la haute Bretagne parle la langue Françoife, la baffe le Breton Bretonnant, ou bas Breton, qui n’a rien de commun auec toutes les autres langues… Nantes, eft la ville Capitale de toute la Haute Bretagne » (DAVITY Pierre, Novveav theatre dv monde contenant les estats, empires, royavmes et principavtez, éd. Pierre Rocolet, 1644 ; page 84)


Dans 'Description generale de l’Evrope, qvatriesme partie dv monde avec tovs ses empires, royavme, estats, et republiques' de François Ranchin (éd. Clavde Sonnivs & Denys Bechet, 1643), on peut lire (Tome II, page 256-257) : « La BRETAGNE, ancienne ARMORICA ou AREMORICA. ARMOR aux anciens Bretons, fur la mer ou vers la mer. LHYDAW en la langue des Bretons encores auiourd’huy. Le nom d’à prefent luy vient des peuples que les anciens cognoiffent fous celuy de Britanni, qui eftoient les anciens habitans de l’Angleterre, & furent chaffez par les Saxons… Elle eft diuifée en haute & baffe. La haute eft la partie plus Orientale… Sous cette diuifion on en pofe vne autre prife du langage, qu’on diftingue generalement en deux dans la Bretagne, donnant le François à la haute, & le bas Breton ou Breton bretonnant à la baffe. Mais pour vne diftinction plus particuliere, on donne le langage Breton à trois Diocefes, fçauoir Cornoüaille, fainct Pol & Treguier, le François à ceux de Dol, Rennes & S. Malo, & on les y appelle Bretons Galots , & à ceux de Nantes, Vannes & S. Brieu, vn langage meflé, tantoft François, tantoft Breton, fçachans & entendans l’vn & l’autre. ». L'auteur n'est pas venu se renseigner en Bretagne, "Lhydaw" est une ancienne orthographe du gallois "Llydaw" (nom de la Bretagne Armorique), que l'auteur a dû reprendre du 'Thesavrvs geographicvs recognitvs et avctvs' du géographe brabançon Abraham Ortels...(éd. à Anvers : ex Officina Plantiniana, 1596), où on peut lire (sous « Armorica ») : « Antiqua Britannica lingua adhuc hodie Lhydaw appellatur » (On la nomme Lhydaw jusqu’à aujourd’hui dans l’antique langue bretonne.).


Grégoire de Rostrenen donne son 'Dictionnaire françois celtique ou françois breton' (éd. J. Vatar, 1732) : « François, qui eſt de France. Gall… La langue Françoiſe. Gallecq. » (page 434 sous « françois / françoise »), « Haute-Bretagne… bor-c’hall. bro ar c’hallaoüed… Habitant de la Haute-Bretagne… gall. p. gallaoüed » (page 117 sous « Bretagne »), « gallot, terme de baſſe Bretagne, pour dire, celui qui eſt du Pais François, de la haute Bretagne. Gall. p. gallaoüed [en terme d’injure : gall-brein. P. gallaoüed-vrein », « La terre de France… bro C’hall. » (page 917 sous « terre »), « Le Gaſcon, le Picard, & le Poitevin, ſont des Dialectes François. Langaich Goaſcoign, hiny Picardya, hac hiny ar Poëtou, a ſo gallecq treffoëdd, ou gallecq troët. » (page 286 sous « dialecte »), « gallecq, qui veut dire langue françoiſe » (page 447 sous « galimathias »), « en France… quoi qu’il y ait une infinité de dialectes… ê Françz… hoguen beza ez eus… cals a c’hallecq troët » (page 562 sous « langue »).


« Haute-Bretagne, Breyz-uhél. Bro-gall. Bro-c’hall. Bro ar c’hallaoüed. Gore-Breyz. » (DE ROSTRENEN Grégoire, Dictionnaire françois-celtique ou françois-breton, éd. Julien Vatar, 1732 ; page 117b sous « Bretagne »


Dans le 'Dictionnaire françois-breton ou françois-celtique du dialecte de Vannes' de Claude-Vincent Cillart de Kerampoul, dit L'Armerye (éd. à Leide, par la Compagnie, 1744), on peut lire (page 164 sous "François") : "qui eft de France ; ou d'un quartier de Bretagne où l'on parle François, à la différence du païs breton... Gall... Langue Françoife... Gallêc" ; l'auteur explique (page 37 sous "Breton") : "Ag enn nau Effcopti à Vreih n'enn-défs ouah hirihuë-enn-dé nameitt Ruan ha San Maleu é péré né gomzér er Brehonêc, calfs pé nebaitt." ("Des neuf Evêchez de Bretagne, il n'y a, encore au-jour-d'hui, que Rennes & S. Malo où l'on ne parle Breton, peu ou beaucoup.").


« La Haute-Bretagne, c’eft-à-dire, les Provinces voifines de l’Anjou, du Maine & de la Normandie, ont adopté, il y a bien des fiecles, la Langue Françoife, qui étoit déjà, il y a huit cents ans, très-différente du Celtique. » (De la lecture des livres françois – dixième partie, éd. Moutard, 1781 ; page 242)


« On parle le français dans la haute Bretagne, et le bas-breton dans la basse. Cette dernière est une langue mère, et l’une des plus anciennes dont on ait connoissance. C’est la langue que parloient les anciens Gaulois. « (Dictionnaire universel de la France, éd. impr. de Baudoin, 1804 ; Tome I, page 453b)


« La haute Bretagne comprend tous les pays qui touchent au Maine et à l’Anjou, c’est-à-dire les départements d’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure. Elle s’étend aussi dans une partie des Côtes-du-Nord. Elle ne se distingue point du reste de la France. Ce sont mêmes mœurs, mêmes usages, mêmes costumes, même langage, etc. » ( BARBIER C., Les Ducs de Bretagne, éd. Mégard, 1855 ; page 349)


Traditionnellement, le mot "françois" ne s'appliquait pas au seul dialecte de l'Île de France, de la cour et à sa langue littéraire, les parlers gallos sont bien des variantes dialectales de l'ancien "françois", que l'on nommait exactement par le même mot si l'on en croit les exemples cités. Le mot "françois" ayant évolué en "français", on peut donc dire que l'on parlait une variété dialectale du français en Haute-Bretagne, le gallo est t-il vraiment une "langue" différente et distincte du mainiot et de l'angevin ???...


Le breton "standard" a calqué l'usage restreint qu'a pris le terme "français" dans la langue française actuelle, réservé maintenant à la variété dite "haute" de la langue : le français officiel qu'on nous apprend à l'école. Était-il utile d'introduire en breton moderne le terme récent "gallaoueg", puisque le vieux mot "galleg" existait pour désigner les parlers gallo-romans de Haute-Bretagne (galleg Bro-C'halloù) ?


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Conclusion avec Gwenole Le Menn ("Les Bretons bretonnants d'après les récits de voyages et autres textes, XVè-XVIIè siècles", in 'Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne', 1984 ; pages 107 et 112) :


« L’existence de deux Bretagnes, l’une de langue bretonne et l’autre de langue française, est anciennement attesté. Le terme gallo a été utilisé récemment dans différentes publications comme désignant une « langue ». Certes on peut discuter sur la valeur de ce mot « langue », mais il faut dire que les exemples anciens et modernes sont nombreux et montrent clairement :

  1. que le mot gallo est utilisé comme adjectif pour qualifier le pays ou les Bretons de langue française

  2. que le parler gallo(u) n’a jamais été considéré comme étranger au français dont il est un dialecte qui ne diffère pas de l’ensemble des parlers de l’Ouest de la France.

......


En résumé, le mot gallou est essentiellement un adjectif qui qualifie la Bretagne de langue française ou ses habitant. Il ne désigne pas un parler particulier… Jamais on ne présente les dialectes de Haute-Bretagne comme différents des autres parlers français… les parlers de Haute-Bretagne ne diffèrent pas sensiblement de ceux de l’Anjou, de la Normandie, etc. Il n’existe pas de frontière linguistique entre la Haute-Bretagne et les régions françaises avoisinantes ».

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Ci-dessous : 'Tabula Ducatus Britanniae, Gallis. Le Gouvernement General de Bretagne' Johann Baptist Homann, 1700.


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