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GUÉRANDE : BRETAGNE BRETONNANTE VS PAYS GALLO.

Dernière mise à jour : 1 févr. 2023


Lorsque l'on lit le livre de M. Yves Mathelier sur 'Le breton parlé dans le pays guérandais' (éd. Yoran embanner, 2017), on a l'impression que l'on parlait gallo dans toutes les communes du Pays de Guérande, c'est assez agaçant, j'affirme que ce n'était pas le cas, on n'a jamais parlé gallo dans ma famille, je suis formel. Seuls les villages (de Saillé à La Madelaine de Guérande), et les communes (de Saint-lyphard, Herbignac, Férel) situés dans les marges du Pays de Guérande le long de l'ancienne frontière linguistique, ont été gagné par le gallo des communes gallèses voisines. Et encore, il vaut mieux parlé de français plus ou moins mâtiné de gallo en fonction de la proximité et de l'éloignement de l'ancienne frontière linguistique, car les paysans de l'arrière-pays de Guérande ont certainement dû imiter de préférence le français parlé par les bourgeois du chef-lieu plutôt que le gallo des communes nantaises voisines.


Je m'intéresse depuis très longtemps aux anciennes pratiques agricoles, au vocabulaire agricole en breton et celtique, au patrimoine rural, et en particulier à la viticulture et au Mouton des Landes de Bretagne (dont un descendant a été retrouvé en Brière), pour cette raison j'ai pas mal enquêté dans la région, et je n'ai jamais été gêné par le parler des anciens, à part quelques mots et expressions dans cette zone périphérique du côté Brière (que je me faisais expliqué si besoin). Si ces informateurs parlaient en gallo (je n'y connais rien), je ne comprends pas pourquoi certains parlent de langue puisqu'un francophone peu comprendre pratiquement tout ce qu'ils disent. Quelqu'un a osé me dire que c'est parce j'étais habitué à entendre le soi disant gallo local ! Tout cela me conduit à dire qu'il vaut mieux parler de français plus ou moins mâtiné de gallo. Dans le processus de substitution linguistique, c'est le français et du français plus ou moins mâtiné de gallo qui a pris la place de la langue bretonne.



Le changement de langue a commencé à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle (après la période du moyen-breton). C'est bien le français qui avait gagné la bourgeoisie des villes de Guérande et du Croisic à partir de cette époque ; difficile d'imaginer en effet que cette bourgeoisie ait abandonné le breton pour un parler rural gallo-roman. On comprend aussi aisément qu'à cette époque ce soit un parler intermédiaire entre français et gallo qui ait gagné les campagnes situées près de la frontière linguistique historique (il n'y a pas vraiment de frontière linguistique nette entre français et gallo).


Le gallo n'est pas la langue autochtone, il n'y a pas de gallo guérandais mais du gallo nantais (partiel) importé dans le Pays de Guérande. Le gallo ne s'est pas formé dans le Pays de Guérande à partir du bas-latin de l'Antiquité pour la simple raison qu'on y a parlé breton du haut Moyen-âge jusqu'au XVIIIe siècle ! Contrairement à l'ouest du Pays Nantais, le Pays de Guérande ne se trouvait pas dans la "zone mixte", une région qui a fini par être gagnée par la langue majoritaire de cette zone : le gallo-roman de Haute-Bretagne.


Dans les communes du littoral guérandais, c'est le français qui a remplacé directement la langue bretonne et non pas le gallo, du "français de Basse-Bretagne". Je suis originaire du village de Limarzel en Assérac (44), situé derrière Pont-Mahé à la limite de Pénestin (56), jamais on a parlé patois dans ma famille (comme disait ma grand-mère), les seuls mots locaux qui sont arrivés jusqu'à moi, avant que je m'intéresse au sujet, sont quelques mots d'origine bretonne, des traits de prononciation : [peˈzõ] au lieu de "paysan", [t͡ʃɛr] pour les noms de lieu en « Ker- », des tournures en "avec". La situation linguistique a d'ailleurs été très bien décrite pour la fin du XIXe siècle, on peut lire la "Monographie de la commune d'Assérac" d’Eugène Chiron (1897), ou mieux : « Le dialecte breton de Vannes au Pays de Guérande » de Gustave Blanchard (éd. à Nantes par Vincent Forest et Émile Grimaud, 1879).


On peut y lire (page 39) : « Dans le langage vulgaire… apparaissent même à chaque instant des traces de l’idiome vannetais... (page 40) vous retrouverez au pays guérandais une foule de mots identiques… Ainsi on dira ‘gronner’ pour empaqueter, du verbe exclusivement vannetais ‘gronnein’… Au Morbihan, comme en Guérande, un pétrin est une ‘mée’, un marais sur les côtes est un ‘palud’, un objet défoncé est ‘difonss’, un clou est une ‘tache’, une chose douce au toucher est ‘flour’, une personne qui avance en besogne est ‘fonable’. Nos laboureurs appellent la génisse à son premier veau une vache ‘annouillère’, du vannetais ‘annoer’, employé dans le même sens… Pour une rangée d’arbres, ils disent une ‘rabine’, ce mot est si bien vannetais… Chez les vieillards, surtout, qui n’ont pas reçu les leçons de (page 41) l’école primaire, le langage est tellement surchargé de mots bretons qu’un étranger aurait peine à le comprendre. Vous entendrez des phrases comme celle-ci : “Mon douarin, qui est épert et qui va d’herr, a couru dré le jardrin, il a hégé des péres, a craigné dedans et les a trouvées faillies…” Phrase qu’il faut traduire pour l’intelligence de nos lecteurs : “Mon petit-fils, qui est alerte et qui va vite, a couru par le jardin, il a secoué des poires, a mordu dedans, et les a trouvées mauvaises…”… (page 42) Bon nombre de mots bretons, légèrement défigurés par le temps, n’en sont pas moins reconnaissables. Nos paysans guérandais… nomment les moucherons des ‘hippes’, qu’on prononce ‘huib’ en vannetais… L’oseille sauvage qui pousse dans leurs champs ils l’appellent ‘trichon’, en vannetais tréchon… L’épaisse couche de racines d’herbes qui ferme comme une couette à la surface de leurs marais, est pour eux de la ‘tonne’, du breton ‘tonnen’… (page 43) L’animal qui râle en crevant ‘roconne’, du vannetais ‘roquennein’. De nos jours encore, les habitants de Pénestin et d’Assérac appellent l’ ’armor’, les champs voisins de la côte… (page 44) Si dans le langage vulgaire on découvre fréquemment des traces de l’ancienne langue, les noms donnés aux hameaux et aux lieux dits de la presqu’île guérandaise ont conservé bien mieux encore, à travers les siècles, leur caractère breton et vannetais. A nos villages comme à nos champs, vous ne trouverez que rarement ces dénominations modernes, empruntées au français… ». Cette situation linguistique est conforme à l’enquête de Coquebert de Monbret de 1806, et au déclin de la langue bretonne dans les décennies qui ont suivi ; elle est aussi conforme à ce qui s’est passé ailleurs en Basse-Bretagne au siècle suivant : le passage au français est passé par une période transitoire où l’on a parlé un français (savoureux) de Basse-Bretagne.


D'après l'enquête de Coquebert de Montbret, Pénestin, Camoël, Férel, et la zone qui va jusqu'aux salines du canton d'Herbignac, c'est-à-dire Assérac, étaient encore bretonnantes à cette époque. C'était les communes du Pays de Guérande les plus éloignées des villes de Guérande et du Croisic et de leur influence. La paroisse primitive d'Assérac comprenait les communes d'Assérac, de Pénestin et de Camoël, à tout point de vue elles forment un tout. Le breton a disparu de cette région au cours de la première moitié du XIXe siècle, et une langue ne disparaissant pas du jour au lendemain, les derniers locuteurs ont dû mourir dans les décennies suivantes (voir l'exemple des derniers locuteurs tardifs du Bourg de Batz).

Cela n'empêche pas que des mots gallos se soient diffusés un peu partout suite aux mouvements de populations, aux mariages... Personnellement, je n'en connais qu'un seul, le nom d'un outil agricole pour couper la lande (vouge) entendu à Camoël, mais la famille de mon informateur était originaire du Pays Mitau... Je l'ai entendu aussi en Brière, mais, à ma grande surprise, cet autre informateur m'a aussitôt donné l'équivalant breton (marr) qu'il utilisait comme synonyme.


L'appartenance du Pays de Guérande à la Basse-Bretagne de langue bretonne est clairement expliqué par l'historien breton Alain Bouchart, natif de cette région (Batz). Il s'excuse auprès des lecteurs de ses "Grandes Croniques de Bretaigne" (publiées en 1514) des faiblesses de son français puisque sa langue maternelle était le breton, il écrit :

"Et supplie... s'ilz y treuvent quelque langaige mal aorné par deffaulte d'elegance ou plaisant stille, qu'ilz l'aient pour excusé, attandu qu'il est natif de Bretaigne et que françois et breton sont deux langaiges moult difficiles à disertement pronuncer par une mesme bouche."


Il précise aussi :


"En ceste principaulte y a neuf sieges cathedraulx, dont lung est de long & ancien temps archeuesche : & les autres sont eueschez : en troys dicelles eueschez comme Dol, Rennes & Sainct Malo, lon ne parle que langaige françois : en trois autres, Cornoaille, sainct Paul & Treguer, lon ne parle que langaige breton... : & en Nantes, Vennes & sainct Brieuc, lon parle communement françois & breton."


La toponymie montre bien et démontre l'appartenance du Pays de Guérande à la Basse-Bretagne de langue bretonne, de même avec les noms de famille des habitants (indigènes) de cette région, pour ma famille (en excluant ceux d'origine vannetaise) je peux citer : Josso, Lescop, Le Floch, Alno, Audrain, Le Bihain, Eonet, Le Hebel, Rival, Panheleu, Le Corno, Le Scouezec, Le Pironec, Le Bolzec, Le Rouzic, Le Moil, Guimard, Le Gal, Gouesmat, Oillic, Yviquel, Le Blay, Guiheneuf, Halgand, Rialand... J'ai constaté dans ma généalogie que l'on allait parfois cherché femme dans le Pays Vannetais voisin (à commencé par ma grand-mère) mais jamais de l'autre côté de la Brière dans le Pays Gallo (Nantais). Tout cela mériterait d'être étudié.


Il faudrait étudier aussi les mouvements de population à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, car les défrichements et les partages des vastes espaces de landes a entrainé l'arrivée de paysans nantais, ça a été aussi le cas dans le sud du Pays vannetais. Les anciens du côté de Surzur à Elven, le long de l'ancienne frontière linguistique (là où j'ai pas mal enquêté de 1996 à 2004), en ont gardé le souvenir, pour eux les Nantais étaient plus avancés dans les pratiques agricoles, c'est eux qui ont apporté dans la région les progrès de la révolution agricole du XIXe siècle, les bœufs nantais, le machinisme, les engrais (noir animal)...

CONCLUSION :


Le gallo n'est pas autochtone dans le Pays de Guérande, il est issu de l'expansion du gallo-roman (français de la cour et/ou français dialectale) vers l'ouest ; le breton est donc bien la seule langue traditionnelle de cette région. La frontière linguistique a été stable dans l'espace durant toute la période du moyen-breton (1100-1650), comme l'indique la carte des toponymes en "Ker-" pour le début de cette période et les cartes comme celle de J-B Nolin pour le XVIIe siècle.


Plus généralement, on peut dire que la ligne Sébillot n'est pas la frontière traditionnelle de la Bretagne celtique et de la Bretagne romane, contrairement à ce que l'on a tendance à croire de nos jours, mais la limite du breton en 1886, une étape du recul.


Reste un problème plus compliqué : la Brière et ce que l'on nomme depuis peu le "Pays Mitau", c'est-à-dire toute la zone "mitoyenne" avec le Pays de Guérande (entre marais de Brière et Vilaine), il semble que cette partie du Pays Nantais soit restée une zone mixte assez tardivement dans le Moyen-âge (XIIIe / XIVe siècle ?), probablement du fait de son appartenance administrative au "terroir de Guérande". Dans la région nazairienne il y a plus de 30 % de toponymes bretons alors que la région briochine en a moins de 10 %.


Christophe M. JOSSO

© Tous droits réservés - 2021


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Voir aussi :


BURON Gildas, « Bevenn ar brezhoneg », in Hor yezh, n° 148-149, Genver 1983.

BROUDIC Fañch, A la recherche de la frontière - La limite linguistique entre Haute et Basse-Bretagne aux XIXe et XXe siècle, éd. Ar skol vrezoneg - Emgleo Breiz, 1995.









Extrait de la carte de Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville

(Ile de France, Champagne, Picardie,...), éd. [s.n.], 1719.


Les cartes ci-dessus sont à comparer avec cette carte des toponymes en "Ker-". le plus connu des toponymes bretons signifie "lieu habité" (hameau, ferme), il apparait au XIIe siècle avec les défrichements du Moyen-âge central et témoigne donc de la langue parlée par les gens du peuple à cette époque (et non par l'élite dirigeante comme pour les toponymes en "plou-"). On peut en conclure que le Pays de Guérande a été bretonnant durant toute la période du moyen-breton (1100-1650), ce n'est qu'au XVIIIe siècle que la langue bretonne s'efface de la région, et encore, les communes du littoral était encore bilingues au début XIXe siècle, comme l'attesté l'enquête de Ch. Coquebert de Montbret en 1806 pour la zone nord.

Carte extraite de "La langue bretonne au Pays de Guérande" de Bernard Tanguy, revue ArMen n° 25.


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