De la Suisse romande à la Haute-Bretagne ?
Contrairement à ce que j'ai entendu dans une cave lors d'un séjour gastronomique dans les Coteaux d'Ancenis, le Malvoisie n'est pas si ancien que ça en Bretagne nantaise, et n'a rien à voir avec la Grèce. Ce cépage a été introduit en Bretagne vers la fin des années 1820, et il donne un vin excellent que j'apprécie beaucoup :
"Il donne naissance à un vin à la robe dorée, aux nuances pâles à orangées selon son âge, et aux arômes subtils, printaniers : des parfums de fleurs blanches, de fruits mûrs, exotiques comme le litchi. Après quelques années de garde, le bouquet se pare de notes de miel. La bouche est tout en rondeur, croquante avec beaucoup de finesse. Elle se ponctue d’une élégante fraicheur persistante." (https://www.muscadet.fr/muscadet-terroirs/les-coteaux-dancenis-malvoisie/)
On trouve des renseignements sur l'implantation de ce cépage en Loire-Atlantique dans les 'Annales de la Société Royale Académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure' (9ème volume, éd. Impr. Camille Mellinet, 1838), on peut lire (page 140) :
« Dans un département où une partie notable du territoire est consacrée à la culture de la vigne, l'introduction d'une nouvelle espèce de cette plante paraissant avoir une supériorité marquée sur celles jusqu' ici cultivées, n 'est pas une chose indifférente. La vigne de Malvoisie, originaire des côtes orientales de la Morée, où elle produit un vin justement renommé, a été naturalisée dans la Loire -Inférieure par le Président de votre Section d 'Agriculture, M . Hectot. Notre collègue nous apprend que quelques boutures de cette espèce, données par lui à un cultivateur de la commune de Saint-Etienne de-Mont-Luc, en 1830, ont prospéré d'une manière extraordinaire et donné des produits étonnants, puisque 24 ceps ont rendu à la dernière récolte 2 hectolitres (page 141) de vin. Abstraction faite de la qualité, que votre Section d'Agriculture n’a pu encore apprécier, l’un des plus grands avantages de la culture de cette vigne est qu’elle résiste aux gelées qui, dans nos espèces ordinaires, compromettent souvent la récolte. La vigne de Malvoisie vient particulièrement avec succès dans les sols secs et rocailleux qui paraissent les moins propres à toute autre culture. Sa propagation amènerait infailliblement des résultats heureux, en encourageant les défrichements de quelques parties de nos coteaux qui demeurent incultes, faute peut-être d’avoir trouvé jusqu’à ce jour un moyen de les utiliser. Si nous envisageons cette culture sous ce dernier point de vue, Messieurs, elle sera, aux yeux de tous, un bienfait pour le département. »
Il y a une erreur dans ce texte puisque le cépage n'est pas originaire de la Morée (en grec Μωρέας, nom donné à la région du Péloponnèse, en Grèce, à partir du Moyen Âge), et il n'a rien à voir avec des cépages grecs (Μονεμβασία, nom donné à un groupe de cépages d'origine méditerranéenne) donnant un vin de dessert blanc issu de raisins séchés au soleil. Ces renseignements erronés viennent probablement de la 'Topographie de tous les vignobles connus' d'André Jullien (éd. Huzard, 1816). Il s'agit en réalité du Pinot gris, mutation du Pinot noir de Bourgogne, nommée aussi 'Malvoisie' dans le canton du Valais en Suisse, c'est donc un frère du Pinot Berligou et un demi frère du Muscadet.
Autre document :
In "Congrès scientifique de France", 16ème session tenue à Rennes en sept. 1849, éd. en juin 1850 (Tome I, page 163), extrait de "Mémoire sur l'agriculture en Bretagne" par Eugène Neveu-Derotrie, inspecteur d'agriculture dans le département de la Loire-Inférieure (Atlantique), et professeur d'économie rurale à Nantes.
Peut-être une autre piste sur l'origine du cépage :
L’avocat et agronome nantais Théodore Magouët (1790-1873) a longtemps vécu en Suisse, il a même écrit un important traité d’agriculture en deux tomes : « Le bon agriculteur suisse » (éd. à Lausane chez S. Delisle, 1842. Dans le deuxième tome il traite de la culture de la vigne et du vin (pages 149-256), et il cite (page 199) la « Malvoisie », nom local du Pinot gris dans le Valais (canton suisse limitrophe de l’Italie). Le nom « Malvoisie » fait probablement référence à la « Malvasia Bianca » italienne donnant de grands vins doux ; c’est en 1869 que le chimiste zurichois Kohler établit pour la première fois une identité commune entre la Malvoisie du Valais et le Pinot gris (https://www.museeduvin-valais.ch/histoire-du-vin/histoire-des-cepages/119-malvoisie). Rentré en Bretagne, Th. Magouët s’installe à Guérande sur le coteau, au-dessus des marais salants, où il plantera de la vigne. Il publie en 1849 un intéressant « Traité de la vigne », où il mentionne encore (pages 111 et 151) la Malvoisie des environs de Sion (principale ville du Valais). Dans un procès-verbal du maire de Guérande (Jan Kerguistel) en fin d’ouvrage, il est indiqué (page 286) que parmi les cépages que Th. Magouët cultive, il y a le « Malvoisie » : « Il cultive spécialement le plan d’aunis noir et blanc [c.-à-d. le Pineau d’Aunis et le Chenin], en usage à Guérande ; le muscadet nantais et le malvoisi. » ; et il est précisé ensuite : « Nous sommes heureux aussi de pouvoir constater que notre habile compatriote a naturalisé, dans nos contrées, l’espèce de vigne dit malvoisi, qui, par l’abondance, la précocité de ses fruits et la bonté du vin qu’il produit, promettra un riche avenir à nos localités ».
Je doute que le nom local du cépage soit le fruit du hasard, une coïncidence, et que le nom "Malvoisie" ait été donné au même cépage dans deux régions d'Europe sans aucun liens entre elles ; il doit y avoir une filiation entre le lieu d'origine du cépage, d'où ont été importés les plants, et son pays d'adoption. Il me semble probable aussi qu’il y ait eu un lien entre érudits nantais qui fréquentaient les mêmes sociétés savantes du département, entre Th. Magouët et le botaniste Jean Alexandre Hectot (1769-1843), célèbre et respecté dans le département, et que le nom « Malvoisie » a été emprunté à la Suisse romande avec le cépage.
J.-A. Hectot, directeur du Jardin des Plantes de Nantes, était aussi en relation avec le grand botaniste suisse Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841) d'après M. de Rostaing de Rivas (Annales de la Société royale académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, éd. Mellinet-Malassis, 1852 ; page 168, dans une notice sur le botaniste nantais). C'est confirmé par A. de Candolle dans ses mémoires, qui fit un voyage en Bretagne en 1806 (suivi d'un rapport de ses observations botaniques) :
"Mémoires et souvenirs de Augustin-Pyramus de Candolle", publiés par son fils [Alph. de Candolle], éd. J. Cherbuliez (Genève), 1862 ; page 179. Document qui est très intéressant aussi au sujet de la culture du sarrasin qui commence en Bretagne au niveau des Marches séparantes Bretagne / Poitou d'après le célèbre botaniste, le sarrasin (blé noir) est en effet un marqueur identitaire en matière de gastronomie bretonne.
Mais c'est bien Théodore Magouët qui est allé en Suisse, qui y a vécu longtemps, qui s'est intéressé surtout à la culture de la vigne, et qui aurait pu ramener dans ses valises des boutures de Malvoisie. Enquête à poursuivre !
On peut considérer le terme 'Malvoisie' comme le synonyme dans le parler gallo-roman de Haute-Bretagne (dit "gallo", à Rennes comme à Nantes...) du nom officiel "Pinot gris". On remarque le changement de genre grammatical (féminin / masculin) en gallo. On peut regretter que le terme soit maintenant réservé aux seuls Coteaux d'Ancenis, alors qu'à l'origine, l'intention était bien d'enrichir l'encépagement de tout le département.
Lien vers une bonne adresse et un site merveilleux sur les coteaux de la Loire bretonne : http://domaine-genaudieres.fr/terroir.html. Vues de la région ci-dessous :
La Loire bretonne, tout au bout de l'estuaire : l'Océan.
La Loire bretonne, tout au fond, au-delà des Marches de Bretagne,
commencent les pays de la Loire (Anjou, Touraine, Orléanais).
Vignes bien exposées plein sud sur coteau.
Le village voisin de Saint-Méen, avec le prieuré et la chapelle.
Saint-Méen est un site remarquable, je m'y arrête tous les ans lors de ma tournée dans le vignoble breton historique. Le toponyme est à l'origine du prénom de ma fille. Le prénom breton "Méen" (prononcé [mɛ̃] en Haute-Bretagne gallo-romane s'écrit "Mewen" en breton standard, il peut être prononcé [mi:n] en breton (forme contractée), ma fille s'appelle "Mina" qui en est la forme féminine (suffixe féminin "-a"). Les néo-vignerons "bretons" de la région administrative vont ils faire interdire l'usage des prénoms bretons en Loire-Atlantique, comme ils l'ont exigé pour l'hermine, le triskell, et même le phare ? Devrais je débaptiser ma fille ?? Il serait peut-être prudent que je lui confisque ses petits bijoux bretons (avec hermine) et celtiques (avec triskell) pour me conformer aux injonctions de la censure viticole ???
Architecture locale, une belle maison du village de Saint-Méen.
Saint Mewen a laissé des traces de sa langue, expression de l'identité bretonne
du propriétaire de cette maison par l'usage symbolique de la langue bretonne :
"Dirag an dour" = 'Devant l'eau".
Autre bonne adresse pour le Malvoisie nantais : https://www.domaineduchampchapron.com/vin/malvoisie-coteaux-dancenis/.
Encore un vigneron extrémiste vont dire les néo-vignerons "bretons" de la région administrative ! Il ose utiliser l'hermine sur ses bouteilles, eux seuls auraient le droit d'utiliser l'hermine (alors qu'ils ne sont pas tous bretons !)... sera t-il dénoncé à la Répression des Fraudes ? (Je rappelle que l'hermine est un symbole breton ET local, intimement lié au blason des Ducs de Bretagne, résidant dans le beau château qu'ils ont construit dans leur capitale : Nantes !).
Christophe M. Josso
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