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BINIOÙ / VÈZE.

Dernière mise à jour : 17 févr. 2022


On trouve le verbe "biniaouiñ" (jouer du "binioù" / de la vèze) en moyen-breton au premier vers de la strophe 369 de la "Vie de Sainte-Barbe".


Dans la conjugaison impersonnelle (1ère pers. futur en "-o") "me benuyo" ( = je sonnerai du binioù), le "-u-" est une inversion pour "-n-" (deux lettres faciles à confondre en imprimerie).

On retrouve le nom correspondant dans le « Catholicon » de Jehan Lagadeuc, premier des dictionnaires bretons, dictionnaire trilingue (manuscrit de 1464, imprimées en 1499 par Jehan Calvez à Tréguier, nom issu du grec « Καθολικόν » : universel), on trouve la forme "beñy" dans le manuscrit et « benny » dans l'incunable, le "-ñ-" étant une abréviation médiévale pour "-nn-".


Le suffixe "-où" de "binioù" peut être un diminutif de ce mot pour l'instrument familier des Bretons. On le prononce majoritairement [bi'niu], et [biniəɥ] en breton vannetais, mais on trouve aussi en vannetais [beniəɥ] plus proche du mot moyen-breton.


Binioù Tudual Hervieux.


On trouve le mot "biniou" en moyen-breton, mais avec un sens plus trivial, dans "Les amourettes du vieillard", petite comédie (farce / sottie) bretonne du XVe siècle (probablement) où un vieillard cherche à conquérir une jeune fille de 16 ans, la phrase où on peut le lire est "ho piniou so dija mouzzer" (votre "binioù" est déjà boudeur), le "p-" de "piniou" étant la mutation du "b-" initial après "ho" (votre).


Le "Dictionnaire Breton - François du diocèse de Vannes" de Pierre de Châlons (éd. J. de Heuquevilles, 1723) donne : "Binieu" traduit "musette de campagne".


Grégoire de Rostrenen donne, dans son "Dictionnaire françois celtique ou françois breton" (éd. J. Vatar, 1732 / page 489 a sous "haut-bois") : « veze [qu'il écrit aussi "vaize" page 947], espece de cornemuse, instrument champêtre fort commun en Bretagne, & qui est composé d’un sac de cuir, d’un porte-vent, d’un chalumeau à anche, & d’un gros bourdon. Binyou. ur binyou. (van. bényëu.)... joüer de la veze. Binyaoua… son gag ar binyou… c’hoari gand ar binyou… Joüeur de veze. Binyaouër », puis (page 536 a sous « instrument ») : « Joüer des instrumens. Binyaouï… Joüeur d’instrumens. Binyaouër… (le Peuple Breton n’aïant gueres d’instrumens si ordinaires que la veze, lui a attribué specifiquement des mots de, binyou, binyaouï, binyaouër, quoique ce soient des termes generiques ».


G. de Rostrenen y voyait un pluriel de « benveg » qui veut dire instrument, mais ce n'était pas l'avis de Louis Le Pelletier. Dans son « Dictionnaire de la langue bretonne, ou l’on voit son antiquité » (éd. Fr. Delaguette, 1752), on peut lire (colonne 51 sous « Benbec ») : « Benvec, outil, instrument… se dit en particulier du haut bois & de la musette, instrumens qui servent beaucoup en Bretagne à faire danser les paysans ; (mais le pluriel seul a cette dernière signification) », puis (colonne 62 sous « Biniou ») : « Biniou & biviou… Ces deux noms… si ressemblans, que plusieurs Bretons les confondent, ont différentes origines : car le premier, qui serait mieux écrit Binniou vient, si je ne me trompe, de Binni ou Benni… Quant à Binviou… est aussi le plur. de Benbec, instrument en général… de Biniou ou Binniou on a fait le verbe Binniaoui, jouer de la musette… & Binniaouer, joueur de ces instrumens. [Vennet.] Benieu, & Binieu… musette de village. ».


Dans le "Dictionnaire Breton-Français du dialecte de Vannes" d'Émile Ernault (éd. Ti Lafolye Frères, 1919), on trouve encore (sous "binieu") la variante "banieu".


On peut rapprocher cette forme vannetaise et le moyen-breton "benni" de deux mots vieux-bretons homophones : "bann", avec affection vocalique dans le mot dérivé, due à l'influence du suffixe.


Le premier "bann" vieux-breton est traduit par le latin "canora" (harmonieux, mélodieux, qui sonne agréablement), correspondant au moyen-gallois gallois "bann" (mélodieux, bruyant) et au vieil-irlandais "binn" (mélodieux).


Le second "bann" vieux-breton signifiait "corne, dressé vers le haut" (comme le sont les cornes en forme de lyre des vaches bretonnes Pie Noir), il est issu d'un mot celtique gallo-brittonique "*bann-" (pointe, corne). Le gallo-brittonique "*bann-" existe toujours, il a donné l'occitan "banno" (corne), le français "auvent" (partie saillante du toit, issu du mot celtique composé "*ande-banno-"), le gallois "ban" (sommet, pointe), le breton moderne "bann" (montant, colonne, écheveau). Le vieil-irlandais a "benn" (pointe, corne) et "bennach" (cornu), avec "-e-" au lieu de "-a-" (réalisation différente de la sonnante indo-européenne d'origine). Le sens d'écheveau du breton "bann" se retrouve aussi dans le mot "beniad, et sa variante "biniad, qui désigne une bobine de fil de tisserand ; le suffixe "-ad" indiquant le contenu, le mot d'origine est "*benni".


Les sens des deux mots vieux-bretons "bann" ont pu se mêler, la « corne" étant un instrument à vent, l'un des premiers. Le bourdon du" binioù" s'appelle le "korn-boud", "korn" c'est aussi la corne d'appel et cor.


Les mots "biniou" et "vèze" renvoient à l'origine commune du "binioù bihan" et de la "vèze" nantaise et guérandaise dite "veuze" maintenant. Les deux mots, l'un celtique l'autre roman, désignaient donc tous les deux le même instrument : une cornemuse rustique, alors que de nos jours on distingue deux instruments différents par des mots qui veulent dire exactement la même chose dans deux langues différentes.

Ci-dessous extrait du Catholicon de Jehan Lagadeuc, où l'on voit le mot moyen-breton "benny", le manuscrit de 1464, et l'incunable de 1499.




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