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CULTURE DE LA GOURDE EN BRETAGNE SUD.

Dernière mise à jour : 18 avr. 2023



Il y a quelques années, j'ai eu avec un vieux Marocain quelques graines d'un légume très consommé au Maroc qui est nommé « slawi » en darija (arabe dialectal), ce qui signifie « de la ville de Salé » (près de Rabat). Il s'agit d'une variété de gourde (Lagenaria siceraria), j'en ai tenté la culture en sud Bretagne, et bien qu'originaire de pays chauds, elle pousse très bien chez nous.



Tacuinum sanitatis, Fol. 19v (Rhénanie, fin XVe siècle / B.N.F., manuscrit latin 9333). LeTacuinum sanitatis est un manuel médiéval sur la santé, basé sur le Taqwīm al-iḥḥa - تقويم الصحة (Tableaux de santé), un traité médical arabe écrit vers 1050 par Ibn Butlân (médecin irakien nestorien).


La gourde est une espèce de plantes herbacées annuelles de la famille des Cucurbitacées, qui est cultivée comme plante potagère pour son fruit (également dénommé calebasse). Cette espèce est originaire des régions tropicales, mais son aire d'origine exacte est inconnue, parce que le fruit sec a la particularité de flotter et peut ainsi se répandre d'un continent à l'autre.


C'est une plante rampante ou grimpante, munies de vrilles opposées aux feuilles, ses tiges peuvent atteindre 9 m de long, les feuilles sont légèrement poilues et douces au toucher, de grande taille (jusqu'à 30 cm), elles ont une odeur caractéristique (et forte quand on les déchire). Les jolies fleurs produisent des fruits charnus dont la forme varie selon les variétés. Le fruit a la peau verte et un intérieur blanc, la peau se légnifie et devient dur comme du bois en séchant (environ 4 mn d'épaisseur). On consomme les fruits jeunes ; plutôt fades, il faut les cuisiner (comme des courgettes). On les laisse grandir pour la récolte des graines (la chair fond à l'intérieur l'hiver, et on casse la coque pour les récupérer) ; la peau, devenue une coque rigide, sert pour faire des récipients, des ustensiles de cuisine, des instruments de musique...


La gourde a été introduite à l'époque romaine depuis l’Afrique et était très appréciée pour ses fruits verts consommés comme légume, ainsi que pour la coque de ses fruits matures séchés [1]. Les agronomes romains conseillent de la semer quand la terre est réchauffée et indiquent que cette plante a besoin d’eau et de chaleur [2]. Elle est aussi attestée en Gaule [3], seules quatre espèces de Cucurbitacée peuvent être présentes en contexte gaulois : le melon, le concombre, la pastèque et la gourde calebasse [4] ; les diverses courges cultivées en Europe (du genre Cucurbita) sont d'origine américaine. La gourde est une espèce tropicale, et elle réclame donc des climats chauds et ne supporte absolument pas les gelées nocturnes, pour cette raison elle ne croît, en général, qu'en région méditerranéenne ; et curieusement pour cette plante thermophile, on retrouve des restes surtout dans la moitié nord de la Gaule [5]. Connue en Europe depuis l'Antiquité, les « cucurbite » font partie de la liste des plantes dont la culture est préconisée dans le Capitulaire de Villis (acte législatif carolingien), sa culture est expliqué dans Le ménagier de Paris (traité de morale et d'économie domestique) composé vers 1393 [6] :

« Courges. Les pepins sont la semence et les convient tremper deux jours, puis semer, et sans les moullier laisser croistre jusques à ce qu'elles appairent dehors, et lors mouillier le pié seulement et la terre sans moullier les feuilles, et en Avril les arrouser courtoisement et les planter d'un lieu en autre un dour ou demy pié en terre, et à demy-pié l'une courge de l'autre, et moullier le pié continuelment et pendre à un eschalat un pot percié, un festu et de l'eaue etc., ou une lesche de drap neuf ou pot. »


Dans ce texte, le mot « courge » vaut pour « gourde », les courges américaines n'étaient pas encore connues au Moyen-Âge (citrouille, potiron, potimarron, courgette, pâtisson, courge butternut, courge de Nice, courge spaghetti, courge musquée de Provence...). Le mot « gourde » est issu du latin « cucurbita », qui a donné l'ancien français « coorde », et avec sonorisation du / c- / initial, sa forme dialectale « courge » est due à une substitution de suffixe (« -ica » pour « -ita ») [7]. La gourde à boire, récipient / bidon portatif destiné à transporter une boisson, a la même origine, faite anciennement avec une calebasse (coque séchée de la gourde). Une variante « cohourde / cougourde... » est à l'origine du breton « koulourdr » (au collectif) [8], « koulourdrenn » (au singulatif) et « koulourdrennoù » (au pluriel).


Le terme est attesté en moyen-breton dans le Catholicon [9] sous la forme « coulourdn » [10], il apparait même dans le manuscrit du Catholicon, qui est daté de 1464, c'est-à-dire avant la découverte de l'Amérique et des courges américaines. L'identification à la gourde est confirmée par Grégoire de Rostrenen qui donne : « Calebasse, courge vuidée & sechée. Coulourdren. p. coulourdrennou. Plein une calebasse de vin. Ur goulourdrennad güin » [11].


Comme le haricot qui a remplacé la fève, les diverses courges d'Amérique, plus gouteuses, ont dû remplacer la gourde à partir de l'Époque moderne. On doit la classer parmi les légumes oubliés, ces légumes que l'on consommait autrefois (à une époque très reculée ou plus récente), qui sont tombés en désuétude et qui ont disparu de nos mémoires. C'est pourtant un légume très intéressant.

La gourde est une plante rustique, facile à cultiver, qui ne tombe pas malade (jusqu'à présent) ; comme c'est une plante des pays chauds, elle craint le gel, il faut donc attendre que le printemps soit suffisament chaud pour la semer (même technique que les courges). C’est une cucurbitacée africaine, et contrairement aux celles originaires d’Amérique elle a l’avantage de ne pas se croiser avec les courges, la graine ne dégénère donc pas.


Pour avoir des graines, il faut mettre de côté une grosse gourde bien mûre durant l'hiver, la chair se désagrège à l’intérieur et on récupères ainsi facilement les graines, sinon elles sont assez dures à retirer dans la chair encore ferme, il faut donc casser la coque lignifiée. Pour la récolte des graines, je sélectionne les premiers fruits, afin de tenter de les rendre plus précoces.



On peut garder les enveloppes sèches, pour en faire des récipients (calebasses).

Graines de deux gourdes.














On mange les fruits jeunes en entier si les graines molles ne sont pas trop formées, et on retire le coeur de la gourde si on trouve que les graines sont trop visibles.


Ça n’a pas un goût très marqué, il faut donc les cuisiner, oignons, tomates, épices…


Cette variété vient du pays de ma femme (Amazighe du Souss), je sélectionne les pieds les plus précoces pour la production de graines, comme je l'ai introduit en Bretagne et que je suis guérandais, je me suis permis de la nommer :

- « Gourde de Guérande » en français.

- « Koulourdrenn Gwerrann » en breton.


Christophe M. Josso



________________________________ Notes :


[1] GUIGNARD Michel et GUIGNARD Véronique, « Adaptation des techniques culturales aux plantes importées en période galloromaine en fonction de leur origine écologique. », in Plantes et animaux voyageurs. Actes du 130e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, « Voyages et voyageurs », La Rochelle, 2005, éd. du CTHS, 2010. ; page 71.


[2] PALLADIUS, in Les agronomes latins : Caton, Varron, Columelle, Palladius, liv. 4, § 9 ; COLUMELLE, liv. 10, v. 230 à 235, liv. 11, p. 442 et 447.


[3] C'est-à-dire à l'époque romaine, la Gaule ne préexiste pas à la conquête romaine, c'est une création des Romains, une colonie ; il n'existait pas de peuple gaulois (ou de langue gauloise) distinct des autres Celtes, mais seulement un continuum celtique qui occupait un vaste espace en Europe.


[4] MARINVAL Philippe, MARÉCHAL Denis et LABADIE David, « Arbres fruitiers et cultures jardinées gallo-romains à Longueil-Sainte-Marie (Oise)», in Gallia - Archéologie de la France antique, 2002, 59 ; page 265.


[5] EXCOFFON Pierre (dir.), Ville et campagne de Fréjus romaine : La fouille préventive de « Villa Romana », Publications du Centre Camille Jullian, 2011 ; Chapitre 3, Analyse archéobotanique, par L. Bouby, I. Figueiral et C. Schaal, page 229.


[6] B.N.F., manuscrit français 12477, Fol. 107r.


[7] C.N.R.T.L. sous « gourde » et « courge ».


[8] DESHAYES Albert, Dictionnaire étymologique du breton, éd. Le Chasse-Marée, 2003 ; page 421. Pour les formes anciennes en français voir VON WARTBURG Walther, Französisches Etymologisches Wörterbuch, 1922-1967 ; Vol. 2, pages 1458-1461, sous « cucurbita » ; en ligne : https://lecteur-few.atilf.fr/lire/20/1458?DMF.


[9]


[10] Tilde sur le / e / pour double / nn / (abréviation médiévale).


[11] DE ROSTRENEN Grégoire, Dictionnaire françois celtique ou françois breton, éd. Julien Vatar, 1732 ; page 130b.



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