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DESCRIPTION DE LA REGION DE GUERANDE EN 1829.


Dans le « Dictionnaire géographique de toutes les communes du département de la Loire-Inférieure » de Girault de Saint-Fargeau (éd. Mellinet Malassis, 1829), on peut lire (page 6) sur les « Mœurs, usages et coutumes » :

« L'arrondissement de Savenay se divise en deux parties distinctes ; les contours sont cultivés et fertiles ; l'intérieur inculte et désert. Les landes… n'offrent qu'une vaste plaine inculte et déserte, où l'on trouve, à des distances fort éloignées des chênes robustes et solitaires, dont la tète séculaire frappe au loin les regards, et sur lesquels la vue du voyageur qui parcourt en silence cette espèce de désert, se repose avec plaisir. Des restes de clotures, des vestiges de sillons font présumer que cette plaine a jadis été cultivée…


On trouve dans cet arrondissement des marais d'une étendue immense, coupés par une multitude de ruisseaux et de canaux. Les terrains et les prairies que ces canaux renferment entre eux, sont appelés des îles, dont quelques-unes sont couvertes de villages très-populeux, qui communiquent les uns aux autres par des chaussées ferrées ou pavées et par des canaux, et chacun d'eux est un petit port d'où sortent des challans ou bateaux plats, chargés des mottes de la Brière ou des produits des terres cultivées. Des croix de fer indiquent la direction des chemins. Des maisons couvertes de chaume sont dispersées sur toutes les pentes, sur tous les sommets, et ce' chaume, qui disparaît quelquefois sous, la mousse ou les graminées qui s'y sont implantées, se confond de loin avec les roches qui l'avoisinent.


La Brière, y compris les marais qui l'environnent, est une tourbière d'environ 25 lieues de circonférence qui occupe le centre de l'arrondissement. Chaque année l'on en extrait une grande quantité de tourbe qui, façonnée en petits parallélipipédes, se vend dans le canton sous le nom de mottes, qui servent au chauffage de la classe indigente. Malgré les travaux entrepris pour le dessèchement des marais de la Brière, cette contrée singulière a conservé un aspect extrêmement remarquable, et, en quelque saison qu'on la parcourt, elle mérite de fixer l'attention du voyageur. Pendant l'hiver, lorsque la Loire, grossie par des pluies continuelles, inonde les campagnes, elle couvre la Brière, et cette vaste plaine, transformée en un lac immense, n'offre plus à la vue qu'une large nappe d'eau.


Seulement on découvre çà et là quelques amas de tourbe, et les hameaux des Briérons qui, bâtis sur de petites éminences, et semblables aux villes de la basse Egypte, lorsque le Nil a inondé la plaine, s'élèvent du sein des eaux. Emprisonnés ainsi dans leur demeure, les Briérons ne peuvent en sortir qu'à l'aide de leurs toues, petites embarcations que l'on voit attachées à la porte de chaque maison, et qui, si elles n'ont pas l'élégance des gondoles vénitiennes, en offrent du moins la commodité. Au (page 7) printemps, lorsque les eaux se retirent, le lac devient une belle prairie qui, fecondée par les débordemens de la Loire et le limon qu'elle dépose, produit des herbages abondans. L'on y conduit alors de nombreux troupeaux ; des moutons d'une petite espèce, mais excellens, y paissent par milliers.

Cet arrondissement produit du froment, du seigle, du lin, du cidre d'automne et des vins de mauvaise qualité. On y compte 29,236 œillets de marais salans… (page 8) les campagnes conservent encore quelques vestiges du régime patriarcal : la femme, les enfans, les valets, les servantes, sont aveuglement soumis aux ordres du chef de la famille… dans la maison , l'homme seul dirige exclusivement ses cultures , ses marchés , ses spéculations ; les femmes ne manient jamais la bêche , ne conduisent jamais la charrue. On ne leur confie que le soin du ménage et des écuries pour le petit bétail.


Les fermes sont communément exposées au sud et au nord, elles ont une porte à chacune de ces expositions, mais n'ont point de fenêtres : un cellier, un toit à porcs, une étable, un hangar, un four, composent tous les bâtimens d'une ferme. A côté, on réserve quelques ares de terre pour faire un courtil ou jardin; le fermier y cultive du lin, des arbres à fruits et quelques légumes. L'usage presque général de loger toute la famille dans une seule chambre, n'admet pas un grand mobilier : un ou deux lits, quelques mauvais meubles et ustensiles à l'usage du ménage, voila tous les objets accoutumés ; quand on y ajoute un buffet ou un vaissellier, quelques pièces de faïence, c'est de l'aisance ou du luxe. L'ordre et la nature des repas varient suivant la différence des saisons : les soupes aux choux, les bouillies de mil ou de sarrazin, un pain de seigle pur, le lait et le beurre, composent leur principale nourriture…


Chaque canton offre quelques variétés dans le costume ; mais celui des paludiers, nommé costume guerandais, est le plus singulier, parce qu'il ne se rencontre dans aucun autre endroit de la France. Le bleu est la couleur favorite. Le costume des femmes, comme dans presque toutes les campagnes de l'ancienne Bretagne, est éclatant par l'emploi fréquent des galons et des rubans brochés d'or… Un peuple particulier habite les tourbières si tristes de l'arrondissement de Savenay : c'est le Briéron qui, habillé de la bure brune qu'il tond sur ses brebis noires, coiffé de longs cheveux, la barbe hérissée, la figure eufumée et sauvage, semble être sorti de la tourbe bretonne.


Dans le canton de Guerande, les habitans d'Escoublac, de Saint-André-des-Eaux, de Saint-Lyphar, de Saint-Molf et autres lieux voisins, se font remarquer par un costume singulier et bizarre, composé d'une veste et d'un gilet d'étoffe de laine brune , d'un haut de chausse, nommé houssines, et de guêtres faites d'une étoffe nommée belinge, mélangée de laine brune et de fil croisé : au lieu du large chapeau que portent les paludiers de Batz, ils portent un chapeau de forme ronde et basse, dont les bords n'ont au plus que trois doigts de largeur. Rien n'est plus gai que de voir le laboureur de ce pays se rendre à son travail, avec son attelage composé ordinairement de deux bœufs et de deux petits chevaux.


Dans les campagnes, presque toutes les femmes se servent d'une espèce de voile taillé en coiffe, qui prend la forme de la tête, s'étend sur les épaules, se retrousse par devant ou se baisse de manière à ne pas cacher la figure ; il porte le nom de caline, et est fait, le plus souvent, de flanelle blanche ou de coton blanc ; on l'orne quelquefois avec des rubans de couleur. Les femmes portent ces calines le jour pour se garantir de la pluie ou de l'ardeur du soleil, la nuit pour être plus chaudement.


Les paludiers qui habitent le bourg de Batz et les villages environnans, forment une peuplade que (page 9) ses usages antiques, son costume, son langage et la singularité de ses mœurs rendent extrêmement remarquable. Etrangers à tout ce qui les entoure, les habitans de quelques villages diffèrent de leurs voisins autant par l'extérieur que par le caractère. Environnés d'une population agricole, ils négligent la culture des terres ; nés sur les bords de la mer, ils ne sont ni pêcheurs ni marins ; au sein d'une contrée toute française, ils parlent celtique. Leur haute stature, la beauté de leurs traits, contraste avec là peau noire et basanée des paysans qui demeurent autour d'eux ; enfin, différais en tout, ne s'alliant qu'entre eux , ils forment un peuple à part, et, de même que les juifs, conservent sans mélange leur type originel…


Les paludiers, d'un naturel doux et timide, redoutent également l'Océan et les combats ; mais, quelle que soit leur origine, des traits caractéristiques les distinguent de leurs voisins, et font assez connaître qu'ils ne descendent pas de la même source. Leurs usages, leur costume, leur langage, tout leur est propre ; leur nourriture même est différente… des paysans de ce canton. Ceux-ci sont grossiers, ignorans ; le paludier sait lire, écrire et compter ; son intelligence semble supérieure à sa condition, et, dans ses manières, il règne une certaine urbanité.


Casanier, apathique, ennemi du mouvement, le paysan n'ose perdre de vue le clocher de son village ; le paludier passe en voyage la moitié de l'année ; ses voisins, sales dans leurs demeures comme dans leurs vètemens, habitent pêle-mêle avec les plus vils animaux : le paludier conserve les habitudes de propreté, trop rares en Bretagne. L'étable est éloignée de sa demeure, sa mise est soignée, sa maison toujours propre, ses meubles frottés et cirés. Une toiture en ardoise remplace le chaume qui couvre les cabanes des paysans, et au lieu de l'étroite ouverture qui, même en plein midi, laisse pénétrer à peine dans celles-ci un jour douteux, sa demeure est éclairée par des fenêtres vitrées, et quelquefois peintes.


Les paysans sont petits, noirs et trapus, leur visage est sombre et soucieux : le paludier est grand, bien fait, sa physionomie est franche et ouverte, ses cheveux blonds, son teint coloré. Les femmes, fraîches et jolies, conservent, malgré l'ardeur du soleil qui les brûle durant leurs travaux, une peau blanche et vermeille qui contraste avec le visage basané et la couleur terreuse des paysannes du canton. Le paludier est actif et intelligent, sobre et laborieux ; au logis, un peu de blé noir et quelques pommes de terre suffisent à sa nourriture, et l'eau est sa seule boisson. Endurci par les travaux, il n'est point de fatigue qu'il redoute. Il brave l'intempérie des saisons, et souvent, au milieu des hivers les plus rigoureux, lorsque ses marais ne réclament plus ses soins, on le voit, pour un modique salaire, entreprendre avec ses mules les plus longs voyages. Estimés de tous ceux qui les connaissent, les paludiers jouissent d'une réputation de probité aussi ancienne que justement établie…


Les paludiers se livrent exclusivement à la culture des marais salans ; isolés par leur profession, ils ne s'allient qu'entre eux, et voilà ce qui perpétue sans altération et sans mélange leur singularité de langage, de mœurs et de costume. Attachés à leurs anciens usages avec une ténacité qui, apanage ordinaire de l'isolement et de l'ignorance, est unie chez eux à une certaine instruction et à l'habitude des voyages, les paludiers n'ont rien changé depuis des siècles, ni dans leur costume ni dans leurs mœurs. Au milieu de la civilisation moderne, l'on aime à retrouver cette image vivante des temps passés. L'habit de travail des paludiers rappelle celui des gaulois ; c'est encore la souquenille de toile de nos ancêtres, et leurs larges braies. Les jours de fêtes ils remplacent la blouse par trois ou quatre gilets de drap, disposés en étage, et de couleurs différentes, tandis qu'en toute saison leurs cuisses ne sont couvertes que d'un léger caleçon de toile. Lorsqu'ils assistent à une cérémonie funèbre, ils jettent sur leurs épaules un petit manteau noir à l'espagnol, et les femmes s'enveloppent la tête d'une demi-cape d'une étoffe à long poil. Mais le costume le plus digne de fixer l'attention est celui des jeunes mariées : leurs (page 10) cheveux , séparés avec art , sont retenus par un ruban sous une petite coiffe de batiste , aussi remarquable par sa blancheur que par sa finesse ; une collerette de dentelle annonce une recherche de toilette et une élégance peu communes en Bretagne, parmi les villageoises ; un corset de drap blanc, bordé de velour noir, fait ressortir l'éclat des manchettes écarlates, et sur la poitrine l'on voit briller un ruban broché d'or qui sert à lacer le corset. Ce corset, soutenu par d'épaisses baleines, larges de trois doigts, ne ressemble pas mal aux cuirasses des anciens chevaliers, et pour compléter cette espèce d'armure, les femmes portent trois ou quatre jupons fort épais, qui semblent destinés à les protéger contre toute entreprise téméraire ; ces jupons sont assez courts, et laissent à découvert un bas de laine rouge à fourchette bleue.


Chez les paludiers la cérémonie du mariage est accompagnée d'usages assez singuliers, et vraiment dignes de remarque. Le jour de la noce, l'époux se rend à la demeure de la fiancée afin de la conduire à l'église; mais avant de pénétrer chez elle, il rencontre bien des obstacles. On lui refuse d'abord la porte de sa belle ; puis, lorsqu'à force d'instances il a obtenu que la porte soit entr'ouverte, on lui présente successivement plusieurs jeunes filles, en lui disant que c'est celle qu'il demande. Il entre enfin ; mais avant de trouver sa future, il est souvent obligé de parcourir toute la maison, afin de découvrir le lieu où elle a pris soin de se cacher. Devenu maître de son trésor, l'amant n'en est pas long-temps possesseur ; après la cérémonie, les époux se séparent à la sortie de l'église, les gens du marié le suivent à sa demeure, les parens de la mariée la conduisent chez elle, et chacun dîne de son côté. Après le repas, les deux familles se réunissent de nouveau, et l'on danse toute la soirée au son de la vèse. La nuit venue, on conduit les époux à leur demeure, et de jeunes garçons présentent à la mariée un bouquet et un gâteau, en chantant une chanson morale, destinée à lui rappeler ses devoirs de mère de famille. A la fin de chaque couplet on boit aux époux ; l'un des parens donne le signal en criant : « A la santé de madame la mariée ! » et tous les assistans levant le pied et la main, répondent Honneur ! Enfin, chacun se retire, et les nouveaux époux prennent possession de la couche nuptiale. Il existe à Guerande et aux environs, un usage assez remarquable. Les noces se font à l'auberge, et chacun paie son écot. Les époux seuls n'ont rien à débourser ; au contraire, le maître d'hôtel fait présent d'un chapeau à la mariée. Les conviés, de leur côté, font aussi leur offrande. Les femmes chargées d'aller dans les campagnes inviter au festin nuptial, reçoivent dans chaque maison de la filasse, de la laine, ou quelque ustensile de ménage. Ainsi, au lieu de se ruiner le jour de leur mariage, les époux reçoivent force présent de noces… On compte souvent plus de cent convives à ces noces. De longues tables tendues sous des toiles ou sous les granges sont tout le jour chargées de viandes. Le vin coule toujours ! Le vin coule partout à grands flots, et le lendemain au matin on boit encore.


La danse fait le principal plaisir de ces réunions tumultueuses. C'est d'ailleurs l'exercice et l'amusement le plus ordinaire. On danse à toutes les foires ; on danse dans toutes les fermes ; on danse partout où quelque travail extraordinaire réunit les jeunes gens. Le village de Saille, dépendant de la commune de Guerande, est entièrement habité par les paludiers. C'est là qu'ils célèbrent leurs noces ; et comme ils sont fort éloignés de l'église, ils s'y rendent à cheval. On les voit arriver au galop, montés deux à deux, le marié et la mariée en tête. Chaque paludier à cheval sur sa mule couverte d'un large bât, est placé sur le devant, portant en croupe une jeune fille qui, assise de côté, se tient fortement à son cavalier en lui passant un bras autour du corps.


Un indomptable amour du sol natal est la base du caractère des paludiers, comme il forme celui de tous les peuples qui habitent une nature peu fertile qui les oblige à des craintes et à des travaux continuels. Le désir de s'instruire est commun à toutes les classes. Le paludier a besoin de savoir lire et écrire pour faire la troque sans être trompé…


Toute la richesse des habitans de ce pays consiste dans les marais salans. Le sel, pour eux, est la seule branche de commerce; ils transportent eux-mêmes cette denrée sur des mulets, dans l'intérieur des terres et souvent très-loin de leur pays. C'est ce commerce d'échange qu'ils appellent la troque. Munis d'un permis de la douane, les habitans de Batz prennent telle quantité de sel qu'ils désirent, en remplissent des sacs, les chargent sur leurs mules, se rendent au bureau de la douane où, le sel (page 11) ayant été pesé, on leur délivre un acquit à caution, portant la quantité du poids et la somme exigée pour le droit, qu'ils paient de suite. Après ces longues formalités, après avoir été visités de nouveau et leur sel pesé plusieurs fois jusqu'à ce qu'ils aient franchi la ligne importune des douanes , ils pénètrent, avec des troupes quelquefois de 50 ou 60 mules, dans les communes les plus éloignées de la côte. Là, ils échangent leur sel pour du blé ; quelques-uns en touchent le montant en argent et se rendent dans les villes de commerce, où ils chargent leurs mules de ballots de marchandises qu'il rapportent aux négocians du Croisic et de tout le marais. Les femmes elles-mêmes accompagnent souvent leurs maris dans ces courses. Ces habitudes errantes ; les fréquents rapports qu'elles supposent, rendent les babitans de Batz très-intelligens et surtout très-prévenans envers les étrangers…


(page 12) La langue française est la seule usitée dans le département ; mais on y traîne un peu les finales des mots et des phrases : dans les campagnes, chaque commune a, en quelque sorte, son idiome… Dans les environs de Guerande, quelques villages parlent également le français et le celtique vannetais. L'usage de ces deux langues leur est nécessaire pour le commerce d'échange qu'ils font avec les départemens d'au-delà de la Vilaine ».


REMARQUES :


1 – Comme tout voyageur en Bretagne, comme la plupart des agronomes du XIXe siècle, le plus souvent des agronomes de salon, il remarque en premier l’étendue des landes. C’est le cliché du « désert inculte », et de l’ignorance, de la négligence, et de a fainéantise des Bretons qui abandonneraient ces terres. Elles n’étaient pourtant pas abandonnée mais faisaient partie du système agraire breton, indispensable à son fonctionnement à une époque où la chimie ne produisait pas encore d’engrais et où l’état des routes limitait leur transport.

2 – Il y a aussi le mythe du paludier « grand blond » opposé aux paysans des alentours « petits et noirs ». En réalité, rien ne permet de différencier par le physique les paludiers de l’ensemble de la population bretonne. La légende d’une origine saxonne des paludiers circulait au XIXe siècle, avec son pendant : l’origine espagnole des gens portant des noms en « -o » comme le mien.

3 – Le texte étant intéressant, on aurait aimé que l’auteur s’attarde tout autant sur les populations rurales des alentours.

4 – On aurait aimé avoir plus de renseignements sur la langue bretonne locale, la langue a reculé puis disparu dans l’indifférence générale. L’étude la mieux documentée est celle de Gustave Blanchard (« Le dialecte breton de Vannes au pays de Guérande », éd. impr. Forest et Grimaud, 1879).


Christophe M. JOSSO

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Carte du département de la Loire-Inférieure (Atlantique), par Louis Brion de la Tour, 1790, eau-forte, Musée Carnavalet, n° G.28031

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