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L'HISTORIEN GUERANDAIS ALAIN BOUCHART ET LA LANGUE BRETONNE.

Dernière mise à jour : 29 sept. 2023

Le territoire du Pays de Guérande correspond à la partie de l'ancien comté et évêché de Nantes où l'on parlait breton. Il ne faut pas confondre pays (linguistique / ethnographique) et évêché (religion), comme on le fait malheureusement trop souvent dans le milieu breton, le Pays de Guérande est séparé du Pays nantais par les marais de Brière, un obstacle important à la communication, les Guérandais ne se rendent jamais de l'autre côté de la Brière, dans le Pays nantais, ils n'ont rien à y faire (une 'Terra incognita' la plupart du temps). C'est cet isolement relatif, effet presqu'île, qui a permis le maintient tardif de la langue bretonne. Le breton était encore la langue des élites locales au tournant du Moyen-Âge et de la Renaissance. Voyons ce qu'en disait un éminent Guérandais de cette époque.


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L'historien breton Alain Bouchard (c. 1440-1520), secrétaire du duc de Bretagne et familier de la reine Anne, est natif de Batz en Guérande, il est l'auteur des 'Grandes croniques de Bretaigne' qui exaltent l'histoire des Bretons depuis leur origine troyenne (légende médiévale) jusqu'à la mort du duc François II (en 1488 à Couëron près de Nantes), à travers son récit, l’auteur témoigne du sentiment national breton au moment même où la province est rattachée à la Couronne.


Les 'Grandes croniques de Bretaigne' nous sont parvenues par cinq éditions du XVIe siècle ; la première, réalisé en 1514, est la seule susceptible d'avoir été revue par l'auteur, les quatre éditions étant soit des contrefaçons de l'édition de 1514, soit des éditions réalisées après la mort de l'auteur.


On peut y lire (début du livre deux, fol. 59v) :

"Le royaulme de Bretaigne qui iadis fut appelle Armoricque eft fitue es extremitez doccident vers la fin dEurope... Par le hault, deuers orient, ioignent a ce royaulme les bas pays de Normendie, le Mans, Aniou & Poitou..."

C'est-à-dire :

"Le royaume de Bretagne, qui jadis fut appelé Armorique, est situé à l'extrémité de l'Occident, vers les confins de l'Europe... Par le haut pays, vers l'Orient, ce royaume est contigu aux bas pays de Normandie, du Maine, de l'Anjou & du Poitou..."


"Un aucuns lieux, deuers loccident, on fait le fel par finguliere indudrie car a ce faire ny a que leau de la mer & la vertu du foleil & de ce fel tous les royaulmes & contrees voifines & autres font fournies & pouruues... & y croissent des fruictz blez : vins..."

C'est-à-dire :

"En aucun lieu en Occident, on fait le sel par un savoir-faire si singulier, car pour le faire il n'y a que l'eau de la mer & la vertu du soleil, & de ce sel tous les royaumes & contrées voisines & autres sont fournies & pourvues.... et y croissent des fruits, blés, vins..."


"En cette principaulte y a neuf fieges cathedraulx, dont lung eft de long & ancien temps archeuefche & les autres font euefchez ; en troys dicelles euefcliez comme Dol, Rennes & Sainct Malo, Ion ne parle que langaige francois ; en trois autres, Cornoaille, fainft Paul & Treguer, Ion ne parle que langaige breton, qui eft pour tout vray le propre langaige de Troye ; & en Nantes, Vennes & fainft Brieuc, Ion parle communément francoys & breton."

C'est-à-dire :

"En cette principauté y a neuf sièges cathédraux, dont un est de long & ancien temps archevêché & les autres sont évêchés ; en trois de ces évêchés, comme Dol, Rennes & Saint-Malo, on ne parle que la langue française ; en trois autres, Cornouaille, Saint-Paul & Tréguier, on ne parle que la langue bretonne, qui est assurément le propre langage de la ville antique de Troie ; & en Nantes, Vannes & Saint-Brieuc, on parle communément français & breton."


Au XIXe siècle, on aurait pu dire, en transposant la dernière partie en départements : *"En cette région il y a cinq départements ; en un de ces départements, l'Ille-et-Vilaine, on ne parle que le patois gallo ; dans un autre, le Finistère, on ne parle que la langue bretonne ; dans les trois autres, les Côtes-du-Nord, le Morbihan & la Loire-Inférieure, on parle communément patois gallo & breton.". Amusant je trouve !


Et Alain Bouchart dit aussi (début ouvrage, fol. 16v) :

"ie... fuis Breton natif du pays de Bretaigne"

C'est-à-dire :

"Je suis Breton natif du pays de Bretagne."


Concernant la langue bretonne, parlée en son temps dans le Pays de Guérande, Alain Bouchart "invoquait, pour excuser les prétendues imperfections de son style, les difficultés éprouvées par un bretonnant de naissance à s'adapter au langage français, atteste que le breton n'était pas au XVe siècle en pays guérandais l'apanage des seules couches populaires, mais qu'on le pratiquait aussi dans l'aristocratie." (Jean Kerhervé, 'L'Etat breton aux 14e et 15e siècle', éd. Maloine, 1987; Tome I, page 36).

Il écrit (fin du quatrième livre, fol. 333v) :

"Et supplie... s'ilz y treuvent quelque langaige mal aorné par deffaulte d'elegance ou plaisant stille, qu'ilz l'aient pour excusé, attandu qu'il est natif de Bretaigne et que françois et breton sont deux langaiges moult difficiles à disertement pronuncer par une mesme bouche."

C'est-à-dire :

"Et supplie... s'ils y trouvent quelques tournures de langue mal ornées, par défaut d'élégance ou d'un style plaisant, qu'ils le tiennent pour excusé, attendu qu'il est natif de Bretagne et que français et breton sont deux langages très difficiles à prononcer de manière intelligible par une même bouche."


Conclusion : Alain Bouchart ne dénigre absolument pas la situation linguistique du Pays de Guérande en son temps, il semble même en être fier, cela le rattache à l'histoire prestigieuse des origines de la Bretagne (émigration bretonne en Armorique), cette situation est présentée seulement comme un fait. C'est très intéressant d'un point de vue sociolinguistique, on avait certainement une "élite" (noble ou bourgeoise) qui était plus ou moins bilingue, et qui devait utiliser - comme tout le monde - le breton dans la vie quotidienne. Cette situation de bilinguisme (plus ou moins bien maîtrisé) a dû durer jusqu'à la fin de la période du moyen-breton (1650), ce n'était pas encore une situation de diglossie (français pour les nobles et les bourgeois, breton dialectal et populaire pour le peuple). C'est une situation similaire à ce que l'on trouve au Maroc de nos jours, où la connaissance du français est très variable (de plus ou moins bonne qualité en fonction du niveau social et d'étude) et où tous les arabophones vivent et communiquent normalement en arabe dialectale (darija), sans le moindre sentiment de gène ou de honte, avec des emprunts massifs au français plus ou moins bien compris et assimilés (à comparer avec le moyen-breton et le "brezhoneg beleg"). C'est le renforcement du pouvoir du roi et la centralisation de son Etat, dans un régime de pouvoir absolu, qui a imposé le français comme langue des "élites" au cours du XVIIe siècle. On peut supposer que le breton ne devient une langue uniquement populaire qu'à partir du XVIIIe siècle.


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(source : Marie- Louise Auger et Gustave Jeanneau, 'Alain Bouchart : grandes croniques de Bretaigne', 2. vol., éd. C.N.R.S., 1986 ; vol. 2, page 505).



Le Duc de Bretagne en son Parlement.


Saint Yves et le pauvre.


La bataille d'Auray, on voit un navire à l'arrière plan, Nicolas Bouchart de Batz, un membre de sa famille, était amiral de Bretagne à partir de 1357 ; on peut lire (fol. 170v) : " Messire Jehan conte de monfort... avoit ung bon nombre de navires du havre de croisic que avoit amenez messire Nicolas bouchart qui lors estoit soubz le dict de monfort admiral de bretaigne lequel avecques les navires tenoit le siege devant la place contre les gens de Charles de bloys."


Alain Bouchart à son pupitre de travail.


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