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FÊTE COLLECTIVE ET BOISSON

Dernière mise à jour : 30 janv. 2022


A l'époque celtique (Âge du Fer), l'hydromel et la cervoise (ancêtre de la bière) étaient consommés lors de banquets et des grands rassemblements festifs (puis le vin importé massivement de Méditerranée, le cidre et la bière n'arrivent qu'au Moyen-Âge).


Le banquet / festin est nommé "*wlidā" en celtique, un mot ayant donné "fled" en vieil-irlandais, "guled" en vieux-gallois puis "gwledd" en gallois, "glued" en vieux-breton puis "gloé" en breton vannetais ("gloé freill" : repas [collectif de fin] de battage, qui a pour synonyme "koén freill" : dîner de battage).


Le festival / fête se disait "*litu-" en celtique (terme issu probablement d'une racine indo-européenne "*pleh₁" : plénitude de biens / abondance, avec chute régulière du / p / en celtique), un mot qui a donné le vieil-irlandais "líth" : jour de fête / festival, et le breton "lid" : fête solennel / célébration / cérémonie. Ces grandes festivités devaient avoir une fonction sociale et religieuse importante, après les rituels devait suivre la fête profane, et ses plaisirs collectifs divers.


L'héritier de ces assemblées celtiques, où se mêlaient le sacré et le profane, est ce que l'on appelle en Bretagne le "pardon". Le pardon est une manifestation pieuse et populaire où les participants cherchent à obtenir le pardon de leurs péchés et des "fautes" qu'ils auraient commis. Les pardons sont profondément enracinés en Bretagne bretonnante, ce n'est pas seulement un évènement religieux (ce qui m'intéresse moins), car le pardon était aussi un rassemblement culturel important de la vie sociale traditionnelle, c'est un fait social essentiel de la culture bretonne qui intègre l'individu dans un groupe et où s'affirmait différents niveaux identitaires (trêve / paroisse / pays / diocèse). Le pardon s'imposait comme norme sociale à tous du fait de son caractère collectif et de la dimension psychologique induite par le rassemblement. Certaines dévotions et pratiques profanes du pardon sont très anciennes, elles pourraient même avoir des origines pré-chrétiennes. (voir : "Corps, culture, religion : la dimension profane des pardons bretons", de Philippe Lacombe, in 'Ethnologie française', XXX, 2000, 1, pages 109-118)


Ces anciennes fêtes devaient ressembler aux pardons bretons. Dans le journal "Le gaulois" (n° 5240, du samedi 21 juillet 1894), on trouve un article de l’écrivain Charles Le Goffic intitulé « Au pays des pardons », où il décrit (page 1-2) le pardon breton, il dit : « Le caractère du “pardon”, c’est qu’il est d’abord une fête religieuse. On y vient pas dévotion… le reste est pour l’eau-de-vie. Mais l’ivresse même, a quelque chose de grave et de religieux chez ces hommes ; elle prolonge leur rêve intérieur et l’élargie jusqu’au mystère. Les soirs de “pardon”, en Bretagne, sont aussi les soirs d’évocations et de rencontres surnaturelles. Dans l'alanguissement des premières ombres, sur cette terre baignée de tristesse, il se lève des talus et des landes une impalpable poussière d’âmes, les “anaon”, les étranges revenants du passé. Leur murmure berce la marche titubante des pèlerins ; ils l’entendent dans le vent et dans le bruit des feuilles… Cet idéalisme orgiaque n’est pas ce qui étonne le moins les étrangers… Comment auraient-ils pu distinguer entre l’ivresse ordinaire et l’espèce de trouble sacré qui fermente, à certaines heures, dans ces cerveaux en mal d’infini ? Tous les villages, en Bretagne, ont leurs “pardon” et non point les villages seulement, mais toutes les chapelles, tous les oratoires… ».


On retrouve un écho de cet article dans un poème de Frédéric Le Guyader (1847-1926) dédié à Mme. Ange MacKay Mosher (1835-1918), une mécène américaine de la culture bretonne (elle a contribué à l’élévation du monument à la mémoire de Marc’harid Fulup, mendiante, dont de nombreux chants et contes ont été collectés par Fañch an Uhel / François-Marie Luzel), F. Le Guyader écrit (La chanson du cidre, éd. H. Caillière, 1901 ; page 229) :


« Or, ceux que vous traitez avec tant d’indulgence,

Doivent vous saluer Bretonne, désormais.

Vous êtes donc Bretonne. Et qui le fut jamais

Plus que vous, par le cœur, et par l’intelligence ?

D’ailleurs, vous nous gâtez. Vous nous poétisez.

L’Hydromel, c’est la douce et bonne liqueur blonde.

Mais la liqueur de mort qui ravage le Monde,

l’Alcool, ce mot-là, – pour nous – vous le taisez.

Mais qu’importent les mots ? Votre thèse est touchante.

Ainsi, vos grands amis, vos Bretons chevelus,

Cherchent, dans l’Hydromel, quelque chose de plus ?

C’est l’Oultre, l’Au-delà, l’Idéal qui les hante ?

Leur âme inassouvie a des ailes de feu

Pour s’élever plus haut, dans les plaines du Rêve.

L’Au-delà, l’Au-delà les harcèle sans trêves.

C’est pour cela qu’ils sont des affamés de Dieu ! »


Christophe M. JOSSO

© Tous droits réservés - 2021


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Illustrations :


  • Scène d’ivresse. Bouet Alexandre (texte), Perrin Olivier (dessins), « La fin du pardon », pp.157-160 in Breiz Izel ou vie des Bretons de l’Armorique, Paris, B. Dusillion éditeur, 2e édition, 1844, t. , 162 p


  • La deuxième journée d'un pardon breton vers 1860 (dessin d'Alfred Nettement, La Semaine des familles, n° du 17 août 1861) : les beuveries.


  • Pardon breton vers 1876 (dessin de Penguilly)

Alfred de Courcy (dessin de Penguilly) - BNF

  • Théophile Deyrolle, gravure, "Gavotte bretonne", in Die Gartenlaube (1897).

  • Théophile Deyrolle, "Le pardon en Bretagne"

  • Théophile Deyrolle, "La fête du pardon en Bretagne"


  • Théophile-Louis DEYROLLE (Paris,1844 - Concarneau, 1923) Pardon de Méros, près Concarneau Huile sur toile, MORLAIX Musée des Jacobins Exposition.

  • Carte postale ancienne.

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