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INGRANDES LA BIEN NOMMÉE


Nous ne connaissons pas Ingrandes (Maine-et-Loire) ou « Ingrande » (sans -s) en Bretagne, je n'y ai jamais mis les pieds et je doute que j'y aille un jour. C’est la première commune sur la route Nantes / Angers lorsque l’on quitte la Bretagne. On trouve de bons vins dans les pays de la Loire, d’Angers, Saumur, Tours, Blois, Orléans, Sancerre, jusqu’à la région de Roanne dans le département de la Loire. Mais pourquoi aller chercher du vin d’Anjou-Coteaux-de-la-Loire, alors qu’en Bretagne, dans les Coteaux d’Ancenis, on trouve aussi de très bons vins blancs secs vinifiés à partir du Chenin. Ce cépage est cultivé depuis très longtemps en Bretagne comme l’atteste le nom local : Pineau Nantais.


Un rapprochement a été fait entre le nom de Guérande et celui d’Ingrandes, alors que les formes anciennes et attestées de Guérande sont uniquement bretonnes. Même si le celtique gallo-brittonique insulaire (île de Bretagne) et le celtique gallo-brittonique continental étaient une et même langue à la fin de l’Âge du Fer (avec de nombreux dialectes, évidemment, comme pour toute langue), le nom de Guérande ne peut pas s’expliquer autrement que par le breton, et les mots bretons « uuenn > gwenn » et « rann ».


L’étymologie de Ingrandes est autrement plus complexe, et ne me concerne que pour écarter un rapprochement avec Guérande. Les spécialistes ne s’entendent que sur un point : ce toponyme énigmatique semble indiquer une limite territoriale, un poste frontière de civitates dans l’Antiquité, le sens de limite / frontière semble bien assuré. Situé aux portes de la Bretagne, la ville porte donc bien son nom (à l’origine c’était la frontière les Andécaves et les Namnètes). Les formes reconstruites ( = non attestées) sont « *equo-randa » (le plus souvent) ou « *ico-randa ». La liste des toponymes français issus de ce nom restitué est longue : Aigurande, Eygurande, Éguérande, Eurande, Iguerande, Ingrande(s), Ingrannes, Ygrande, Yvrandes...


On peut parler d’un « toponyme gaulois », car c’est un toponyme que l’on ne rencontre qu’en Gaule (absent en Bretagne [l’île], en Rhénanie et en Gaule cisalpine). La Gaule ne peut être que romaine puisque avant la conquête il n’existait pas de « nation » gauloise distincte des autres Celtes (P-celtique / gallo-brittonique). C’est le roman national français qui a besoin du mythe d’une Gaule, distincte de la [Grande-] Bretagne, de la Germanie et de l'Italie. Les habitants de ce qui allait devenir la Gaule, colonie romaine, ne se distinguaient pas par la langue (et la culture) des habitants de l’île de Bretagne au-delà de variations dialectales propres à toute langue, et rien ne permet de penser que les Armoricains auraient eu plus de difficultés à comprendre les Bretons de l’île, que les Belges, les Helvètes, les Bituriges, les Gaulois cisalpins…


Le mot « equo- » pose problème en celtique du fait de l’évolution régulière en gallo-brittonique de l’indo-europen « -kʷ- » en « p » (d’où le nom « P-celtique » par opposition au celtique gaélique, périphérique et plus conservateur). Le spécialiste du « gaulois » Xavier Delamarre, qui a le don de rendre clair les étymologies compliquées, a proposé d’y voir le latin « aequus » (juste, égal).


Pour le mot « -randa », on peut penser au celtique « *rannā » (part / partie, idée de partage), issu d’un indo-européen « *pṝsnā » (sans « -d- »), le vieil-irlandais "rann" (part) a aussi une variante "rand". Le terme pourrait convenir pour le sens (juste partage, limite établie équitablement), « le sens de ‘limite’ existe bel et bien (ne serait-ce que ‘rann’ en breton qui signifie la ‘raie des cheveux, tec., ou une fente entre rochers, par exemple » (Francis Favereau, « Celticismes – Les Gaulois et nous », éd. Skol Vreizh, 2017 ; page 159). Plutôt que le celtique, X. Delamarre trouve plus convaincant un rapprochement avec le germanique (allemand « rand » : bord / anglais dialectal « rand » : bord…). « Il s’agirait donc d’un composé gallo-romain tardif dont l’extension est récente » dont le distribution « rend douteuse son attribution au stock gaulois ancien (X. Delamarre, « Dictionnaire de la langue gauloise », éd. Errance, 2003 ; page 164-165). Donc celticité incertaine, laissons les toponymistes chercher. En tout cas, le rapprochement avec Guérande n’est pas possible.

Après 1532, le Duché de Bretagne conserve son Parlement et ses privilèges (sens juridique), la frontière fiscale de la France reste à Ingrandes, au bord de la plus importante voie de communication du Royaume : la Loire. Situé à la frontière entre Bretagne (province « réputée étrangère ») et Anjou, on trouvait donc dans cette ville une barrière douanière et fiscale très importante. L’Anjou et le Maine appartenant aux pays de grande gabelle alors qu’on ne payait pas cette taxe sur le sel en Bretagne, il y avait une importante activité de contrebande le long de cette frontière (faux saunage), cette situation frontalière est resté en vigueur jusqu’à la Révolution. Une ancienne borne dite « Pierre de Bretagne », disparue, marquait la frontière ; son souvenir se perpétue dans le nom d’une « rue de la Pierre de Bretagne » (voir google map).


Christophe M. JOSSO.

© Tous droits réservés - 2021


Ci-dessous photo de la plaque (du site BCD.BZH)


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