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LA LOIRE-INFERIEURE DE HUET DE COETLIZAN en 1802 et 1804.


Le Nantais JEAN-BAPTISTE HUET DE COËTLIZAN (1772-1823) était secrétaire générale de l'administration du récent département de la Loire-Inférieure (Atlantique).


Deux textes à découvrir et à connaître, extraits :


Dans la "Statistique du département de la Loire-Inférieure" de Jean-Baptiste Huet de Coëtlizan (éd. Impr. des Sourds-Muets, an X – 1801/1802), on peut lire (page 3) :


« Quoi de plus délicieux que nos campagnes … ! quoi de plus imposant que nos vastes forêts ! quoi de plus majestueux que ces rochers (page 4) que frappent les tempêtes et les vagues impuissantes ! Tout est féerie, tout est enchanteur sur les bords de nos rivières : l’art, avec toute sa magie, ne pourrait rien ajouter aux sites rians de nos îles ; nos landes même ont, comme nos bocages, quelque chose qui parle à l’âme, qui la force à réfléchir en la remplissant d’une douce mélancolie… (page 8 ) Le caractère des habitans est comme la nature… leurs usages domestiques… tellement variés, que chaque bourg, chaque village ait les siens propres…


(page 9) Les habitans de nos campagnes chantent peu, et leurs se traînent en accens plaintifs ; leur conversation est aussi lente, circonspecte, sans vivacité ; leurs jeux sont sans mouvement, sans folies ; leurs danses sans grâces, peu variées, et ressemblent plutôt à des exercices de fatigue, qu’à des délassements enjoués ; ils n’emploient qu’un seul instrument, qu’on croirait plutôt appartenir aux montagnes d’Ecosse, qu’à l’un des beaux pays de la France… Trois chalumeaux sont adaptés à une peau de mouton apprêtée en forme de ballon : le plus grand se termine par un pavillon qui dépasse l’épaule gauche du joueur ; il est armé d’une grosse anche enfermée dans la peau ; l’autre a son anche également cachée, se termine en flûte, et il est percé de six trous très-rapprochés. Le premier forme un bourdon monotone qui accompagne continuellement les modulations fort peu étendues du second. Le troisième est placé à la portée de la bouche. Quand le ballon est enflé, l’art consiste à ménager l’air par une pression du coude mesurée, de (page 10) sorte que, sans interrompre le son, le coryphée puisse prendre haleine. Cette musette, demi-sauvage, suffit à toutes nos fêtes, à tous nos plaisirs… elle anime, elle exalte, elle enchante nos assemblée et nos foires ; elle seule accompagne ces noces tumultueuses où apparaissent quelques fois plusieurs centaines de convives…


(page 18) Le premier arrondissement… est arrosé par la Loire, et le Brivé qui s’y décharge… (page 19) On y cultive des fromens, le seigle, le sarrasin, les lins… Les terres, comme dans tout le département, s’y cultivent avec des bœufs… Les pâturages sont les prés naturels, les marais, les landes : on y fait peu d’élève… On y recueille des cidres d’automne, quelques vins d’assez mauvaise qualité : ceux de Couëron sont rouges, clairs, légers, et furent jadis aussi vantés à la cour des Ducs de Bretagne, que ceux de Surêne [Suresnes] àla cour des rois…


(page 20) Les cultivateurs et les journaliers s’y nourrissent principalement d’une bouillie faite avec du lait aigre et de la farine de sarrasin. Il y produit en outre du sel, des tourbes et des bois… (page 46) Assolement… et produits d’une ferme supposée de 30 hectares. Six hectares sont tenus en prairies naturelles ; les 24 autres en terre labourables, dont 8 cultivés en froment, 8 restent en jachères et 8 en repos. Quelquefois on utilise les jachères en semant des menus grains ou des légumes ; quelquefois on laisse reposer les champs plus de deux ans ; et on brûle sur place les genêts ou la bruyère dont ils sont couverts… Trente hectares sont exploités par le fermier, sa famille, un valet, deux servantes, quatre bœufs, quatre vaches, six élèves et cinquante brebis. Chaque hectare reçoit… vingt charretées d’engrais. Les écuries, les cours et les fossés de la ferme n’en donnent que 130. »


Dans les "Recherches économiques et statistiques sur le département de la Loire Inférieure" de Jean-Baptiste Huet de Coëtlizan (éd. Malassis, an XII – 1804), on peut lire (page 14) :


« La couche végétale de notre sol est mélangée, en grande partie, des débris de la roche granitique et schisteuse, et d'argile… (page 16) Les argiles à brique sont très-répandues dans ce département… Les plus belles sont les argiles micacées d'Herbignac… (page 52) Le froment, le seigle, le blé-noir, le mil sont nos principales cultures… On cultive aussi l'avoine, peu d'orge, point de chanvre. Le lin, la plupart des légumes sont parmi nous des plantes de jardin… le blé-noir ( polygonum fagopyrum )… fait la principale nourriture des habitans…


La méthode généralement usitée est de donner trois labours pleins à la terre qu'on veut ensemencer de froment. On se contente du binage dans quelques terres légères. Les deux premiers labours se divisent ordinairement en quatre demi labours. La charrue entre dans le champ à la fin de ventose ou au commencement de germinal, et ce premier demi-labour consiste à ouvrir et diviser l'ancien sillon ; on le relève à la fin de floréal ou en prairial. (page 53) On le refend encore en thermidor; en vendémiaire on achève le second demi-labour, on porte le fumier sur le champ, et en brumaire on donne un labour complet pour semer. On sème à la volée. Il faut sarcler quand le blé est en herbe… La largeur de nos sillons varie suivant le degré d'ouverture de nos charrues. Celles dont on se sert communément sont à oreille fixe; on y ajoute un coudre, et elles sont plus ouvertes quand la terre qu'on laboure a été quelques années en repos…


La récolte se met en gerbes sur le sillon, et après quelques jours d'insolation, se transporte à la ferme. On la conserve en meule près de l'aire, quand la récolte est considérable et la saison pluvieuse ; autrement on la bat presqu'aussitôt qu'on l'apporte. Nos batteurs se servent du fléau commun…


(page 54) La couche végétale de notre sol est, comme nous l'avons vu, mélangée , en grande partie, des débris de la roche granitique et schisteuse, qui ne contient aucun principe végétatif, et de l'argile, qui y est très-abondante et retient fortement l'eau. Il faut des fumiers très-chauds, très-actifs pour ces terrains que les agriculteurs appellent terres fortes et froides… nos cultivateurs emploient les engrais végétaux et animaux. Les pailles, les roseaux, les feuilles sèches forment les litières qu'ils entassent et laissent séjourner toute une année dans les étables… (page 55) Quelquefois, pour suppléer aux faibles produits des étables, ils couvrent la cour et les abords de la ferme de tous les débris des récoltes, qui se putréfient à l'air et sous le pied des passans. Quelquefois ils mêlent à ces fumiers la terre des fossés. Quelquefois ils répandent sur le champ des terres neuves enlevées sur sa ceinture, qu'il appellent ceintre ou cheintre…


(page 56) Dans le 1.er et dans le 2.e , on jette sur les landes les vaches, les chevaux, les moutons, quelquefois les bœufs. Ils y vivent à peine, et dans un tel état de maigreur, de faiblesse, de dépérissement, qu'il est impossible aujourd'hui d'en relever l'espèce… Nos meilleures prairies sont de trois espèces, les prairies hautes ou prés champeaux, les prairies basses ou prés vallées, et les marais… (page 57) Toutes nos prairies, tous nos champs sont distribués par petits enclos et enfermés de haies vives; excepté parmi les pâturages, les marais et les prés communs…


(page 58) L'épine noire, l'aubépine , le prunier sauvage, l'églantier, l'épine-vinette, la ronce, le chèvre-feuille, le houblon, le houx composent nos haies. Elles sont couronnées par le chêne et le frêne, qu'on plante de distance en distance sur la crête des fossés… Cette disposition de clôtures donne à nos campagnes un aspect enchanteur que l'art ne peut imiter. Ces chemins inégaux et sinueux, où la roche paraît quelquefois à nu, où plus souvent elle est recouverte d'un gazon épais, sont toujours verts et toujours ombragés. On peut faire plusieurs lieues sous ces berceaux impénétrables aux rayons du soleil et remplis des parfums qu'y versent à grands flots l'aubepine, l'églantier, le chèvre feuille. Quand toutes ces fleurs sont tombées, quand nous avons perdu le chèvre-feuille même qui survit au printems, la prune paraît et se colore, la mûre penche en grappes noires sur ses rameaux épineux, l'aubépine étale l'incarnat de ses baies, par tout les fruits sauvages s'offrent en tribut au peuple nombreux d'oiseaux chanteurs qui, toute la belle saison, ont égayé nos travaux et nos rêveries…


(page 62) Tout notre systême d'agriculture a pour but, ainsi qu'on l'a pu voir, la production de quelques gros grains, tels que le froment et le seigle, et de quelques menus grains, tel que le sarrasin ; il a pour base des prairies naturelles et durables… (page 65) L'étendue et les revenus de nos métairies ne sont pas constamment uniformes ; et, pour donner une idée générale de notre agriculture, j'en suppose une de trente hectares ou arpens métriques d'une terre commune. Elle sera distribuée de manière à ce que le cinquième, ou six hectares, soit tenu en prairies naturelles permanentes ; les vingt-quatre autres sont consacrés aux blés. Le cultivateur alterne sur seize hectares pendant huit ans ; c'est-à-dire, qu'il y a constamment huit hectares en repos ou jachères permanentes, huit hectares en jachères annuelles, huit hectares ensemencés de gros grains. Chaque arpent donnera ainsi quatre récoltes dans une période de douze années. Le fermier récolterait quatre fois des gros grains sur vingt quatre hectares, si son bail était de douze ans; mais, comme il n'est au plus que de neuf ans, il n'a réellement que trois récoltes.


Pour exploiter cette métairie, outre sa famille, le fermier a un domestique mâle, deux servantes, quatre bœufs, quatre vaches ; il fait chaque année trois élèves qu'il vend à l'âge de deux ans, et entretient cinquante brebis. Ses six hectares de prairies lui donneront trente milliers de foin ; ses troupeaux les consomment à l'écurie, et paissent en outre ses jachères permanentes ; mais il ne tirera point assez d'engrais de ses écuries. Chaque arpent destiné au seigle et au froment doit recevoir vingt charretées de fumier : on ne présume pas que les étables et toutes les autres ressources puissent en fournir plus de cent trente charretées… (page 66) Dans quelques endroits, on utilise les jachères annuelles, en y semant du mil, des chous, du turneps ou du sarrasin , récoltes secondaires, qu'on assure diminuer celles qui doivent leur succéder. Ainsi vingt-deux arpens sont employés à assurer la récolte de huit autres ; ainsi le fermier, sa femme, ses enfans, trois domestiques, onze têtes de gros bétail, cinquante brebis, produiront environ cinq cent douze myriagrammes de froment…


(page 67) On trouve des vignes sur toute la rive gauche de la Loire et sur les bords de la mer… la plupart des vins qu'on y récolte, et sur-tout dans le 1.er arrondissement, sont en général d’une qualité inférieure, et qu’ils se consomment au lieu même qui les produit, nous ne regardons comme pays vignobles que le 3.e arrondissement et une grande partie du 4.e. Les vignes font la principale source de nos richesses… La plupart de nos coteaux courent du nord au sud… Les vents que nos vignobles ont le plus à redouter, sont les vents humides et froids du nord-ouest. (page 68) Nos vignes se plantent à plat et au pas. Chaque plan est espacé de soixante à soixante-quinze centimètres sur le rayon, et séparé de 10 à 12 décimètres par le sillon… On confond dans deux classes différentes toutes les variétés de vignes que nous cultivons, le pinaud et le muscadet. On leur donne généralement trois façons ; la première consiste à rabaisser les terres du sillon dans la raie, autour du ceps, pour le chausser, le taupiner ; la seconde, à le déchausser et à ameublir la terre qui l'entoure ; la troisième n'est qu'une espèce de sarclage fait à la bêche. On taille la vigne entre les deux dernières façons, et on provigne alors, pour entretenir le clos. L'époque de la taille, la manière de tailler, le nombre de façons même qu'on est dans l'usage de donner, sont extrêmement variés. Les vignes se graissent tous les sept ans… On vient d'introduire la charrue dans nos vignobles… Cette méthode épargne les frais énormes de la culture à bras, et facilite l'agrandissement des entreprises : elle a l'autre avantage de faire périr ou de trancher les racines horizontales, de forcer le ceps à pivoter, et de lui donner ainsi plus de force et de solidité… (page 69) Les récoltes n'ont point d'époques fixes : elles varient dans toute l'automne, suivant l'exposition des vignes, la qualité de vin qu'on veut obtenir, le caprice des maîtres ou de la saison… Nos vins sont blancs, on n'en cueille que très-peu de rouge clair sur la rive gauche de la Loire… Quoique les frais de culture de la vigne soient très-dispendieux, que ses produits soient très-incertains, que cette exploitation exige, plus qu'aucune autre, l'œil et la présence du (page 70) maître, elles sont une propriété très-recherchée, parce que ses bénéfices sont au-dessus de tous les autres…


Nous faisons des cidres d'automne dans tout le département… (page 73) Après le pommier, c'est le châtaigner que nous cultivons davantage… Les cormiers se cultivent épars dans nos campagnes ; on en presse le fruit, et nous en faisons un cidre excellent ; plus ordinairement on jette les cormes entières dans des barriques d'eau qui devient une boisson saine et agréable. Le noyer est rare ; nous n'avons point d'amandier. On trouve quelques pêchers dans nos vignes, quelques pruniers autour des fermes, des cerisiers presque par-tout, dans nos champs, dans nos haies…


(page 74) Les vins et les blés sont ainsi les seuls produits remarquables de notre agriculture… (page 76) Nos paysans estiment qu'il faut deux fois plus de sarrasin que de froment pour la nourriture d'un homme… (page 82) Une récolte complète, ce que nous appelons une grande vinée, doit produire davantage ; mais c'est un phénomène : nous nous estimons riches quand nous avons généralement demi-vinée. Alors les vins se soutiennent à un prix convenable. Les plus fins s'exportent ou se consomment sur la table de l'aisance ; les secondes qualités se débitent ou font l'approvisionnement des familles peu fortunées ; les dernières qualités se convertissent en eaux-de-vie…


Les bœufs, les vaches, quelques élèves, quelques chevaux, les moutons, les cochons complètent notre systême d'agriculture : nous admettons aussi quelques animaux de basse-cour dans notre économie rurale… Bœufs… (page 83) On les emploie aux labours et aux charrois. L'attelage de nos charrettes et de nos charrues se compose de deux bœufs… Dans le deuxième arrondissement, on soumet aussi les vaches au joug, on ajoute même un cheval aux bœufs dans les travaux… Grasses ou maigres, nos vaches, comme les bœufs, finissent par aller aux boucheries… Elles abondent en lait dont nous faisons une grande quantité de beurre très-estimé… Chevaux… quoique d'une petite taille, ils ont d'excellentes qualités et des formes assez élégantes. Ils sont sobres, ardens, grands marcheurs. On les emploie rarement au tirage : ils portent le faix ou servent à la selle. (page 84) Nous n'employons point l'âne… Nous en comptons 270,547, et pourvu que nos cultivateurs en retirent de quoi se vêtir, pourvu qu'ils puissent les livrer au boucher, c'est tout ce qu'ils désirent. Ils n'en ont aucun soin ;ils les tiennent dans des écuries mal-propres, et sans les nourrir autrement qu'en les jetant sur les landes, ou les laissant vaguer dans les chemins… (page 85) En observant la grande consommation que nous faisons de la chair du porc, la multitude de cochons qu'on rencontre dans toutes nos campagnes, la facilité de les nourrir que donnent les forêts et nos chemins bordés de chênes, il me semble que nous devons avoir un bien plus grand nombre de ces animaux, que le tableau n° 7 n'en indique. Parmi les animaux de basse-cour, nous élevons peu de dindons ; la pintade est rare, mais les poules sont extrêmement nombreuses, ainsi que les canards et les oies, dans toutes les fermes…


(page 101) La majeure partie des cultivateurs est non propriétaire. Cette classe nombreuse se compose des fermiers et des journaliers… (page 138) J'ai dit que le lin n'était parmi nous qu'une culture de jardin ; aussi n'est-ce point l'objet d'un commerce étendu. Chaque famille le cultive, le récolte, le prépare pour son usage particulier… Toutes nos femmes de campagne, comme l'antique Caia, n'ont d'autres talens, d'autres occupations, d'autre ornement que le fuseau. Elles ne filent point au rouet, et dès que la récolte, les sarclages ou les embarras domestiques n'exigent pas leurs soins, toutes, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, sont armées d'une quenouille dans la maison, hors de la maison, pendant la saison morte et les longues soirées d'hiver, quand elles promènent ou gardent les troupeaux. Lorsqu'elles ne font pas travailler leur fil, elles le vendent aux marchés ruraux… Le fil… sert aux toiles que chaque ménage agricole fait faire chaque année ; on le mêle encore avec la laine pour les lainages secs, tels que les bélinges et les droguets… (page 147) Nous ne cultivons point le chanvre, et nous n'en consommons que pour la fabrication des cordages… (page 151) Il en est de nos laines comme de nos lins ; chaque famille agricole tond ses moutons, dégraisse sa laine, la carde, la file et la livre au tisserand pour la fabrication des serges à son usage…


(page 401) Dans les environs de Guerande, on remarque quelques villages où l'on parle également le français et le celtique vannetais. L'usage de ces deux langues leur est nécessaire pour la (page 402) troque ou le commerce d'échange qu'ils font avec les départemens d'au-delà de la Vilaine, où ils portent du sel et dont ils tirent les grains qu'ils consomment…


Ils chantent quand, le soir, ils reviennent de leurs travaux, quand ils quittent leurs assemblées, quand ils sortent des foires, et ces chants ont quelque chose de triste et de lugubre. Dans les cabarets mêmes, qui devraient être l'asile du bonheur et de la joie, les chants de l'ivresse se prolongent en accens plaintifs, comme ceux de la mélancolie… La perte d'un de leurs animaux, un accident, une intem périe les accablent de tristesse. La mort sur-tout, dont on a fait le tourment de la vie, la mort qu'accompagnent toutes les terreurs de la superstition, les frappe de douleur et d'effroi. Les parens, les amis, les voisins, tous sont en deuil… on craint encore que les mânes ne soient pas satisfaites, et qu'une ombre vengeresse ne vienne exiger le moindre des devoirs oublié…


(page 403) Les noces sont parmi nous une occasion de plaisirs, de faste et de dépenses… (page 404) la multitude des invités accompagne les futurs chez le maire et à l'église, au son des instrumens… (page 405) On compte souvent plus de cent convives à ces noces. De longues tables tendues sous des toiles ou sous les granges, sont tout le jour chargées de viandes. Le vin coule par-tout à grands flots, et le lendemain au matin on boit encore. Au reste, c'est la danse qui fait le principal plaisir de ces tumultueuses réunions.


La danse est l'exercice et l'amusement le plus ordinaire. On danse à toutes les foires ; on danse dans toutes les fermes, après les vendanges ou à la fin des batteries ; on danse par-tout où quelque travail extraordinaire réunit des jeunes gens. Nos choréographes distinguent deux principales danses en usage parmi nous, les bretonnes et les rondes. (page 406) les bretonnes se dansent sur des airs à deux reprises , chacune de deux mesures à quatre tems, et se composent ainsi de huit mesures par les doubles répliques. Chaque reprise doit, comme pour la gavotte, commencer avec le second tems et finir sur le premier… Tout le monde connaît la ronde ; mais elle reçoit plusieurs modifications. Quelquefois le cercle se rompt et les danseurs figurent sur deux lignes parallèles, se mêlent, pirouettent et reforment la chaine ; quelquefois tous passent de la droite à la gauche. Le mouvement de cette danse s'accélère, se ralentit suivant la cadence de l'air ou l'expression du chanteur… La veze est l'instrument que nous employons, et le talent d'enfler ces rustiques pipeaux appartient exclusivement à nos meuniers, qui ont seuls le tems de se livrer à cette étude…


Nous comptions autrefois beaucoup d'autres exercices ou jeux… (page 407) Les soulles étaient des courses dont le but était de saisir, au milieu d'une foule de concurrens, la balle lancée par le seigneur… Les jouteurs… courent les assemblées pour remporter les prix qui étaient autrefois par-tout proposés… Ils donnent le spectacle de la lutte, du pugilat et se battent au bâton, genre d'escrime… Les boules, les quilles, la galoche, le palet, sont en usage parmi nous…


Nos champs conservent encore quelques vestiges du régime patriarchal. La femme, les enfans, les valets, les servantes sont aveuglément et presqu'au même degré soumis aux ordres du (page 408) chef de la famille; mais cette autorité se trouve tempérée par beaucoup de circonstances. Nous avons remarqué que le fils d'un fermier entrait, sans honte, au service d'un autre.


Nos fermes ne sont point assez étendues, et leur exploitation n'exige point un domestique assez nombreux pour que les fonctions des maîtres se bornent à la surveillance de ceux qu'ils emploient: ainsi la maîtresse de la maison et ses filles partagent les occupations de la servante, comme les valets celles du maître… C'est une chose extrêmement rare qu'un cultivateur mal traite son serviteur… (page 409) dans la maison , l'homme seul dirige exclusivement ses cultures, ses marchés, ses spéculations. Il est vrai qu'il ne se réserve que la surveillance des travaux intérieurs et s'en mêle peu. Les femmes ne manient point la bêche, ne conduisent point la charrue. On les occupe aux sarclages, quelquefois aux semailles ; elles aident les hommes dans les travaux des moissons ; mais les hommes ménagent, dans toutes les occasions, la faiblesse de leur sexe, et on ne leur confie habituellement que le soin du ménage, le soin des écuries, pour le petit bétail seulement ; car nous pensons que le bœuf ne peut être soigné que par des mains viriles. Cet animal par excellence et dont on fait un cas particulier, est traité avec beaucoup de ménagement; on lui parle sans cesse, on chante même les commandemens pour adoucir sa servitude.


Dans quelques endroits, la crêche est établie dans le logis ; on pratique de larges ouvertures au mur mutuel du logis et de l'étable, et l'animal a toujours le plaisir de voir son maître, le maître aussi a du plaisir à ne pas se séparer du compagnon de ses travaux; c'est une satisfaction réciproque… à côté de la ferme, (page 410) on reserve quelques ares de terre dont on fait un jardin, un courtil où le fermier cultive quelques arbres à fruit, du lin, quelques légumes. Les fermes sont communément exposées au sud et au nord ; elles ont une porte à chacune de ces expositions, mais n'ont point de fenêtres… Ces maisons n'ont souvent qu'un appartement et qu'un étage, tout au plus un grenier au-dessus de la chambre commune qui n'est, d'ailleurs, jamais carrelée et n'a qu'une vaste cheminée. Un cellier, un toit à porc, une petite écurie pour les moutons, un angar, un four, tels sont les bâtimens dont se composent le plus ordinairement nos métairies.


Cet usage presque général de loger toute la famille dans une seule chambre, n'admet pas un grand mobilier. Un lit, un coffre, une armoire, un banc, un bassin pour les bouillies, une marmite de fer, une grande poële pour les lessives, des cuillers de bois, quelques écuelles d'argile vernissée, voilà tous les ustensiles d'un ménage. Quand on y ajoute un buffet et un vaisselier, qu'on y étale quelques pièces de faïence et des cuillers d'étain, c'est de l'aisance et du luxe. Ces meubles, ordinairement grossiers, sont de chêne ou de châtaignier ; le noyer, le cerisier sur-tout, ce bois si durable et si beau, sont réservés pour les armoires. On ne rencontre plus que rarement ces lits tout fermés dans lesquels il faut se glisser par un passage étroit…


(page 411) L'ordre et la nature des repas varient suivant la différence des saisons. L'été, on sert une soupe faite de graisse ou de beurre aux cultivateurs, sitôt leur lever et avant qu'ils aillent aux champs ; ils emportent avec eux du beurre, du pain, et, vers les huit heures, ils déjeûnent sans rentrer au logis : ils y viennent à midi, et on leur sert une bouillie faite de farine de sarrasin et de lait caillé. Ils dorment une ou deux heures après le dîner, retournent au travail, et, au coucher du soleil, ils se rassemblent de nouveau à la maison et mangent une seconde soupe aux choux, à laquelle on joint une poignée de gruau et un peu de lait doux… Dans la saison des travaux, on substitue la soupe au lard à une de celles qu'on vient d'indiquer, et ils en mangent la viande au repas du soir… Toutes les soupes se taillent, se trempent et se servent par écuelles ; les bouillies seules, soit qu'elles soient de mil ou de sarrasin, se présentent dans un bassin de cuivre et se mangent en commun : le pain est de seigle pur ou moitié seigle et froment… on ne fournit du vin qu'aux travaux de la vigne : pendant les moissons, on donne quelquefois de la boite, de l'eau passée sur les rapes, et du cidre, dans les cantons qui en fournissent. L'hiver apporte peu de changement à ce régime, si ce n'est que le repas du matin n'est plus divisé en deux parties et qu'on (page 412) ne mange plus de viande : il n'y a que dans les fermes considérables et dans les familles riches qu'on sale du cochon ; mais alors, au repas du soir, qui se fait à la chute du jour, succèdent les veillées…


A cette époque, les ménages se visitent dans les hameaux et travaillent en commun. Quand la ferme est isolée, la famille est livrée à ses propres ressources. Dans l'un et l'autre cas, les hommes, assis sur des bancs pratiqués intérieurement aux deux côtes de la cheminée, s'occupent à tailler quelques ustensiles en bois, à réparer leurs instrumens, à quelques ouvrages de vannerie ou à enjoliver des cannes et des quenouilles pour les galandes, les jeunes filles. Les femmes filent, et les enfans qui entourent le foyer écoutent attentivement la conversation…


Le plus souvent on cause ; et le sujet ordinaire de la conversation n'est pas ce qui intéresse l'agriculture, mais ce que suggère la superstition. On apprend là par quelles dévotions particulières il faut honorer le saint qui prend soin des abeilles, celui qui préserve de la grêle ou procure de la pluie ; à quel calvaire du canton il faut porter un œuf durci, un peu de pain et une pièce de monnaie ; à quelle fontaine il faut aller boire pour se guérir de la fièvre ou prévenir les maléfices; on apprend là quelle est la vieille qui prédit le mieux l'avenir, où se tient l'homme qui guérit les maux d'yeux avec un grain de froment consacré… (page 413) Celui qui prend la parole connaît un homme qui s'est donné au diable ; il a vu un revenant et s'est signé pour le chasser ; il a porté, toute une lieue, le lutin qui avait sauté sur ses épaules ; il a perdu tout son troupeau, parce qu'un sorcier déguisé en mendiant, et auquel il avait refusé l'aumône, a jeté un sort sur son étable…


(page 415) Dans quelques cantons, les hommes ne portent qu'un pourpoint croisé sur la poitrine, ayant deux plis au derrière de la taille, sans basques, mais arrondi par le bas, et une culotte de serge ou d'une grossière drapée ; ils s'enveloppent les jambes de deux morceaux de serge, de bélinge ou de toile, qui s'attachent avec des liens ; et , pour compléter ce costume du 14e siècle, ils se ceignent avec un large morceau de cuir, armé d'une grande boucle de cuivre… dans quelques endroits… ils ont conservé les cheveux longs, épars sur les épaules ; ils s'y pouillent aussi de peaux de chèvres grossièrement préparées, dont le poil est indifféremment en dehors ou en dedans… En général, nos vêtemens sont de laine noire ou brune : on ne trouve des habillemens en toile que sur les bords de la Vilaine… (page 416) La coquetterie la plus raffinée ne tirerait pas parti du plus grand nombre des costumes de nos campagnes qui sont sans graces et sans mollesse. Ces laines grossières noires ou brunes, ces coiffes qui enveloppent la tête, ces justes à manches larges et qui se croisent jusque sous le menton, ces petits fichus bien serrés, dont les pointes se cachent sous une pièce de tablier bien attachée, donnent l'air des anciennes béguines à toutes nos paysannes. »




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