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LES CRÊPES ET LES GALETTES.

Dernière mise à jour : 21 févr. 2022

En Bretagne, le terme "galette" désigne différents produits, notamment selon que l'on se trouve en Bretagne celtique (Basse-Bretagne) ou en Bretagne gallo-romane (Haute-Bretagne).


Pour nous, dans le Pays de Guérande, la "galette" c'est d'abord un biscuit breton ! Les galettes de Batz sont des biscuits sablés au beurre salé de Guérande (comme ailleurs en Bretagne) non pas des crêpes ! On en mangeait souvent dans la région quand j'étais petit, ainsi que celles de Saint-Michel-Chef-Chef du Pays de Retz. Ned eus ket "traoù mat" namet e Kernev !


Vieille affiche publicitaire.

Une galette (gâteau) se dit "gwastell" en breton (Francis Favereau, 'Dictionnaire du breton contemporain', éd. Skol Vreizh, 2000 ; page 1020), dans le breton de Batz en Guérande c'est le singulatif (en "-enn") "gwastellenn" qui est attesté (Gildas Buron, "Paulin Benoist (20 avril 1857-24 novembre 1917) notaire, collectionneur de « vieilles choses », érudit, bibliophile et collecteur du breton de Batz", in 'Les Cahier du pays de Guérande', n° 52, 2011 ; page 63). En breton vannetais, on distinguait bien la galette nommée "gwastell" ("goastel" dans 'Le Breton Usuel (dialecte de Vannes)' de Loeiz Herrieu, éd. Dihunamb, 1934 ; page 228) de la crêpe nommée "krampouezhenn" ("ur grampoèhen", ibid ; page 227).


La "galette" fait référence à une préparation culinaire épaisse. Féminin de "galet" (caillou arrondi par le frottement, ) en raison de la forme de cette pâtisserie (C.N.R.T.L.), c'était anciennement un biscuit dur et plat fait de farine, de beurre et d'œufs que l'on mangeait sur les navires (d'après Walther von Wartburg, 'Französisches Etymologisches Wörterbuch' , Tome 4, p. 43a : https://lecteur-few.atilf.fr/index.php/page/lire/e/123033.), c'est un mot dérivé de l'ancien dialecte gallo-roman de Normandie : "gale" qui désignait un "gâteau plat" au XIIIe siècle (F.E.W., ibid).


Galette de la Bretagne gallo-romane vs crêpe de la Bretagne bretonnante :


En Haute-Bretagne gallèse, le mot "galette" en est venu à désigner une crêpe épaisse de blé noir (sarrazin), la fameuse "galette-saucisse" est bien connue ; la galette se distingue donc dans la partie orientale de la Bretagne de la crêpe (de froment).


Si l'on s'est aligné de nos jours, dans les zones touristiques du littoral breton, sur le vocabulaire gallo de la Haute-Bretagne, et sur celui des estivants qui fréquentent nos crêperies, en distinguant par un nom différent la crêpe de froment de la crêpe de blé noir, ce n'était pas le cas autrefois. Il n'y a traditionnellement en breton qu'un seul et unique mot pour parler de la crêpe, qu'elle soit de froment ou de blé noir, il s'agit du mot "Krampouezh" (= crêpes au collectif, "krampouezhenn" au singulatif), la raison en est simple, il s'agit toujours d'une pâte que l'on étale sur une plaque à crêpe pour la cuire, d'où le même nom en breton pour les deux variétés de la crêpe.


Le mot "galette" a été emprunté en breton aux patois gallo-romans de Haute-Bretagne, on dit "galetez" au collectif et "galetezenn" au singulatif ('Dictionnaire breton - Breton-Français / Français-Breton', publié sous la direction de Per Jakez Helias, éd. Garnier, 1986 ; page 129 et 523. + 'Dictionnaire Breton-Français du dialecte de Vannes', d'Émile Ernault, éd. Lafolye frère, 1904 ; page 86). Au XVIIIe siècle, il semble que l'on distinguait en Bretagne bretonnante - selon Grégoire de Rostrenen - les "crampoës"/ crêpes (qui étaient fines) et les "galetès"/ galettes ("sorte de crêpe épaisse"), les deux pouvant être indifféremment de froment ou de blé noir (Grégoire de Rostrenen, 'Dictionnaire françois celtique ou françois breton', éd. Julien Vatar, 1732).


Grégoire de Rostrenen, 'Dictionnaire françois-celtique ou françois-breton',

éd. Julien Vatar, 1732 ; page 446, col. b.


Le mot "galetez" (variante "kaletez") est utilisé parfois pour distinguer les crêpes faites dans une poêle (où il est donc plus difficile d'étaler finement la pâte), des "krampouezh" cuites sur une "plaque à crêpe" posée sur un trépied dans le foyer (Francis Favereau, 'Dictionnaire du breton contemporain', éd. Skol Vreizh, 2000 ; page 366).


Mais avant l'emprunt linguistique, la distinction par l'épaisseur en Bretagne bretonnante, se faisait pas l'ajout d'un adjectif qualificatif, une "crêpe épaisse" se dit "krampouezhenn dev" (ex : "krampouezenn deo" dans le 'Grand dictionnaire français-breton' de François Vallée, éd. Association Bretonne de Culture, 1980 ; page 328), c'est-à-dire "crêpe épaisse". C'était bien ce que l'on disait autrefois aussi dans la zone maintenant touristique du Pays vannetais ("crampoaheenn tihuë" dans le 'Dictionnaire françois-breton ou françois-celtique du dialecte de Vannes' de Claude Cillart de Kerampoul dit 'L'A***", éd. à Leide par la Compagnie, 1744 ; page 169. + "kranpoehen tiù" dans le 'Vocabulaire Breton-Français et Français-Breton - Dialecte de Vannes" de A. Guillevic et Pierre Le Goff, éd. Lafolye frères et Cie, 1924. + "krampoéhenn tiù" dans le 'Dictionnaire français-breton - Vannetais' de Mériodeg Herrieu, éd. Bleun-Brug Bro-Gwened, 1981 ; page 100).


"Galettes" et "krampouezh" partagent un procédé de fabrication similaire, ce sont deux produits et deux appellations différentes qui se distinguaient à l'origine par l'épaisseur. Pour étaler la pâte sur la plaque, on utilise un ustensile nommé "rozell" en Bretagne bretonnante et ""rouable" en Bretagne gallèse. En Basse-Bretagne il s'agit d'obtenir un produit uniformément fin, alors qu'en Haute-Bretagne il s'agit d'obtenir un produit uniformément épais (in 'Quand les Bretons passent à table - Manières de boire et de manger en Bretagne 19e-20e siècle', publié par l'association "Buhez", éd. Apogée, 1994 ; page 153, texte de Catherine Simon).


La finesse du produit permet d'obtenir une crêpe plus sèche qui peut se conserver plusieurs jours, alors que l'épaisseur donnent une galette plus humide qui se conserve moins longtemps (in 'Quand les Bretons passent à table - Manières de boire et de manger en Bretagne 19e-20e siècle', ibid ; page 156, texte de Catherine Simon).


Dans le Pays de Pontivy, on appelle "galetez" (galettes), une préparation originale faite à partir de pommes de terre en purée et de farine de blé noir (moitié / moitié), le résultat est évidement plus épais qu'une crêpe de blé noir, d'où ce nom.


"Krampouezh" est un mot autochtone et ancien, bien plus ancien en breton que "galetez".

Grégoire de Rostrenen, 'Dictionnaire françois-celtique ou françois-breton',

éd. Julien Vatar, 1732 ; page 233, col. a.


On trouve la forme "crampoez" en moyen-breton dans le 'Catholicon' de Jehan Lagadeuc, le premier dictionnaire breton (manuscrit de 1464 / imprimé 'incunable' de 1499, éd. par Jehan Calvez), le cornique "krampeth" (William Pryce, ‘Archaeologia Cornu-Britannica ; Or, An Essay to Preserve the Ancient Cornish Language’, éd. W. Cruttwell, 1790 ; sous le sing. « krampothan ») et "crampwyth" en gallois (Geiriadur Pryfysgol Cymru : https://geiriadur.ac.uk/gpc/gpc.html.), ce qui signifie que la crêpe bretonne remonte au moins à l'époque de la communauté de langue entre Bretons, Cornouaillais et Gallois (le celtique brittonique médiéval : Ve siècle / IXe siècle).


'Catholicon' manuscrit de Jehan Lagadeuc (1464),

"crampoezeñ" à l'avant dernière ligne ("eñ" pour "enn" au singulatif).


'Catholicon' imprimé de Jehan Lagadeuc, incunable de 1499,

deuxième mot de la colonne a après "C ante R".

Ce terme est attesté dans le breton du Pays de Guérande, à Batz justement, sous la forme retranscrite "kranpoerh" (Émile Ernault, 'Étude sur le dialecte breton de la presqu'île de Batz', éd. L. Prud'homme, 1883 ; page 17).


Lien vers l'étude d'Émile Ernault :



Le terme "krampouezh" est un mot composé : "kram-" + "-pouezh" (pâte cuite).


Le premier élément a donné aussi le mot "kramm(enn)" qui signifie "croute de pain" (A.L.B.B. carte 416 point 23 pour Bréhat) et "a passé dans l’usage à un sens péjoratif" (Victor Henry, ‘Lexique étymologique des termes les plus usuels du breton moderne’, éd. J. Plihon et L. Hervé, 1900 ; page 79 sous « krampoez »), puisque le mot dérivé "krammenn" signifie ordinairement "(couche de) crasse" (variante "cremmen" d'après Louis Le Pelletier, 'Dictionnaire de la langue bretonne', éd. F. Delaguette, 1752 ; col. 179 ; et "cremenn" d'après Grégoire de Rotrenen, '; page 231, col. b) ; en gallois on a "cramen" (croûte).


On trouve en latin tardif un mot « crama » (crème de lait), attesté seulement au VIe siècle chez le poète et évêque de Poitiers Venance Fortunat ('Poésies', livre XI, 14-2. / Alfred Ernout et Alfred Meillet, ‘Dictionnaire étymologique de la langue latine’, rééd. Klincksieck, 2001 ; page 147, col. a), et qui est probablement un emprunt d’origine celtique (Pierre-Yves Lambert, ‘La langue gauloise’, éd. Errance, 1994 ; page 193).


Le second élément "-pouezh" est pour "poezh" (cuit) en breton vannetais, "poazh" en breton dit K.L.T., "poeth" (chaud) en gallois.


On trouve en anglais un mot "crumpet" qui désigne "un gâteau rond épais fait d'une pâte molle et légère, mangé grillé et beurré" ("a thick round cake made of soft light dough, eaten toasted and buttered", in 'Chambers 21st Century Dictionary'). Le mot a été traduit par "sorte de galette" en français (Abel Boyer, Louis Chambaud et al., ‘Dictionnaire anglais-français et français-anglais’, éd. Ledentu, 1829 ; Tome I, page 175, col. a). Ce mot n'a pas d'étymologie certaine, mais on peut - de toute évidence - le rapprocher des mots celtiques "krampeth" en cornique et "crampwyth" en gallois.


Les crumpets ne sont pas l'équivalant des crêpes fines de Bretagne et des plus épais pancakes de Grande-Bretagne, puisque leur pâte contient de la levure de boulanger (et qui donc lève), ils cuisent dans un cercle de métal (moule) qui en délimite les bords (assez épais), la recette serait originaire du Pays de Galles. En Écosse "crumpet" désigne une variété qui est cuite sans moule et qui est donc plus fine (la pâte molle s'étale d'elle même), elle n'est donc pas aussi spongieuse que les crumpets anglais. Un côté est lisse et brun, l'autre parsemé de trous, la chaleur a tendance à faire "bouillonner" la pâte et à produire des trous (comme les crêpes nommées "baghrir" au Maroc). Les crumpets écossais sont donc très similaires aux "kuignoù" du Pays bigouden. Cette technique culinaire devait être plus répandue autrefois en Bretagne, elle est attestée au XIXe siècle dans le nord-ouest du Pays Nantais, du côté de Saint-Dolay (56) et de Plessé (44), où l'on faisait des "galettes levées" à partir d'une pâte épaisse qu'on laissait monter près du feu de la cheminée (in 'Quand les Bretons passent à table - Manières de boire et de manger en Bretagne 19e-20e siècle', publié par l'association "Buhez", éd. Apogée, 1994 ; page 143, texte de Pierre Prat).



'El e-ti ma sud-kozh, namet e oe simant àr an douar, tremen a rae ma mamm-gozh he amzer e-tal an tan ha pa oe an tiegezh a-bezh doc'h taol !

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