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LES « KRAZINOÙ » DU PAYS DE GUERANDE.

Dernière mise à jour : 16 nov. 2024


« On croustille le temps d’une buvette, le temps où, après la tuaison du cochon, on recueille les grillons dans la grande bassine où fond le saindoux. »

Madeleine Ferrières ('Nourritures canailles', éd. Seuil, 2009 ; page 412)


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Ethnologie du proche.



Les « krazinoù » (en orthographe bretonne moderne) sont un produit de terroir qui est resté dans la mémoire des anciens du Pays de Guérande jusqu'à nos jours, c’est d’ailleurs intéressant en soi sur les limites de la mémoire collective [1]. C’est l’exemple d’une pratique rurale traditionnelle qui a perduré jusqu’à nous, mais c’est la fin (comme pour la tradition viticole dans la région), et il est grand temps de faire du collectage, les mémoires s'embrouillent.


Dans le cas des « krazinoù », on peut encore trouver des personnes dont ce n'est pas qu'un souvenir de jeunesse, puisqu'on en prépare toujours à la ferme. J'ai peu en effet faire de l'observation participante chez un agriculteur en retraite lors de cette enquête.



J’ai eu l’occasion d’entendre et d’apprendre à Assérac, dans le village où est né mon grand-père d’abord puis aux alentours [2], le nom local et la recette d’une ancienne préparation à base de gras de porc, prononcé : [dε kʁazi'new] (des "krazinoù") [3]. Ce n'est pas la préparation elle-même qui est remarquable, on la trouve en français sous divers noms (fritons, grattons, graisserons, grillons, crètons...), c’est son nom breton.



Lors de la tuaison du cochon, on utilisait tous ce que l'on pouvait afin de ne rien gaspiller, la panne (masse graisseuse des rognons) et le gras des boyaux servaient à produire du saindoux [4]. Le gras, coupées en petits morceaux, était assaisonné (sel, poivre), on ajoutait de l’oignon, puis on versait un peu d’eau pour démarrer la cuisson. Une fois la matière grasse suffisamment fondu, le restant reste à frire longuement (≈ deux heures) à feu doux [5] afin d’extraire le maximum de saindoux (sans le faire roussir), on surveille alors la cuisson en prélevant avec une louche, les morceaux racornis flottent dans le saindoux liquide et transparent et remontent à la surface quand ils sont bien cuits. On retire en fin de cuisson le saindoux liquide, et ce qui reste c’est les « krazinoù » (tissu adipeux vidé du saindoux), qui doivent être bien rissolés [6]. On peut les conserver en pots, confits dans leur graisse (moulés en bloc), ça se rapproche alors des rillettes, des rillettes rustiques, ou pour en mettre dans un bouillon (soupe, port-au-feu). On peut aussi les consommer égoutés et croustillants, c'était considéré comme une friandise (le souvenir qui reste chez la plupart des personnes qui l'on connu dans leur jeunesse).



C’est un mot employé au pluriel [7] (on dit « des “crasinéo” » selon l’orthographe que l’on m’a épelée), il est dérivé de l’adjectif breton « kras » (desséché, grillé) [8] qui est suivi d’un ancien suffixe « -in » [9] ; le suffixe de pluriel, noté « -où » en breton moderne, est diphtongué en [-ew] comme c’est bien le cas dans le breton de Guérande [10]. Le sens de « kras » (desséché, grillé) est confirmé par le synonyme « krazlard » (« friton de saindoux / sorte de saindoux cuit et desséché », mot-à-mot « lard-grillé ») [11]. On retrouve le mot en gallois : « cras » (sec, desséché, roussi, cuit, grillé), mais pas en gaélique. Le breton et le gallois sont issu d'un celtique gallo-brittonique « *kraso- » [12].


Après avoir commencé à enquêter auprès des anciens que je connaissais, je me suis aperçu que le mot avait déjà été collecté à La Madeleine de Guérande avec une prononciation retranscrite « crasinéôw » [13]. On m’a signalé un mot proche avec le même sens dans le Pays vannetais voisin, collecté à Sulniac près de Vannes, mais je n'ai pas pu vérifier dans cette commune (difficile d'y trouver des bretonnants maintenant).


Tout près de là, à La Trinité-Surzur, j'ai pu collecté personnellement la forme [kʁazi'njεn] pour « krazinenn » [14] au singulier [15] (auprès d'une dame très âgée, agricultrice, puis de sa fille plus tard et séparément après le décès de la dame), traduit par « le gras de porc » (au singulier). On peut faire le parallèle avec le mot « blonegenn » (un pain de saindoux / de graisse de porc) [16] , et « masse… de cette graisse » dans un dictionnaire du XVIIIe siècle [17]. Le suffixe (très productif) « -enn » est un morphème de singulatif qui s’attache à un radical nominal ou adjectival, mais son usage est plus large que celui d’un singulatif, il peut aussi opérer d'autres changements sémantiques sur sa base que l'individuation ; sur un nom massique on obtient une entité singulière [18]. La forme [kʁazi'njεn] ne vaut pas pour « *krazinienn », avec un suffixe « -ienn » (allomorphe rare), c’est la prononciation normal du suffixe « -enn » dans le haut-vannetais maritime (breton de Quiberon à Sarzeau) ; j’ai collecté par exemple à la Trinité-Surzur auprès de deux autres personnes âgées le mot « kanevedenn » (arc-en-ciel) qui n’est pas répertorié dans les dictionnaires de breton vannetais, avec les prononciations : [kanavə'ɾjɛn] et [kanavə'ɾjan].  


Le terme « krazinenn » est donc un sous-produit de la production du saindoux, à comprendre comme le résidu de la fusion da la matière grasse, qui, une fois extraite de ces morceaux qui ne fondent plus, puis refroidi, donne une masse de « blonegenn » pure. Ce sous-produit se présente sous forme de petits « rillons » (petits morceaux pressés, égouttés et croustillants), à distinguer des véritables rillons de charcuterie (morceaux de poitrine de porc de quelques centimètres de côté, rissolés et confits dans la graisse).


On trouve un autre mot avec un autre suffixe en Pays vannetais : « krazinell » [19], un mot féminin. J'ai pu collecter à Theix bourg, près de Vannes, la forme [kʁezi'njøl], et dans l'est de la commune [kʁezi'njεl], soit la variante « krezinell / ar grezinell » (avec hésitation entre « krezinell » et la forme mutée « grezinell » chez l'un de ces locuteurs terminaux), un terme qui désigne le grillon égoutté et sec d'après mes informateurs qui ont plus de 90 ans (et non les rillettes que l'ai vu faire dans ma région) [20] ; avec ici assimilation vocalique du / a / initial sous l'influence du / i / de la deuxième syllabe. On sait que les suffixes « -enn » et « -ell » (tous deux de genre féminin) peuvent alterner parfois [21].


Il semble donc bien qu'il y ait deux mots différents en breton vannetais, « krazinenn » et « krazinell », pour désigner le même produit : les résidus croustillants de la préparation du saindoux (bloneg). Difficile d'aller plus loin dans la vérification, étant donné la rareté des derniers bretonnants dans cette partie du Pays vannetais ; le mot « krazinoù » ([kʁazi'new]) est lui mieux conservé dans la mémoire des anciens Guérandais (ce n'est pas le seul archaïsme du nord du Pays de Guérande, la tradition viticole n'y a pas encore disparu des mémoires, comme c'est le cas en presqu'île de Rhuys, il y a une génération de décalage probablement).


Les Gallos [22] disent « grilleaux » [23] au nord de la Haute-Bretagne et « grillons » au sud [24] (le sud de la Haute-Bretagne, c'est le Pays nantais, évidement), ce qui renvoie bien, étymologiquement, à l’idée de « griller » [25] ; le mot « guerzillons » est aussi attestée [26], à rapprocher du verbe « grésiller » [27]. Ces mots gallo-romans renvoient peut-être aussi aux deux façons de préparer les résidus de la fonte de la graisse de porc (?), je n'ai pas enquêté en pays gallo (je ne suis pas gallo, le Pays de Guérande appartient à la Bretagne bretonnante).


On peut comparer le mot breton guérandais « krazinoù » ([kʁazi'new]), qui est un pluriel, avec le mot français « rillettes » (même champ lexical et sémantique que « rillons »), qui est lui aussi au pluriel.


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Le mot « krazinoù » est attesté au Pays de Guérande et les variantes « krazinenn / krazinell » au sud-est du Pays vannetais bretonnant, on est bien dans un même espace culturel et linguistique : le sud-est de la Bretagne bretonnante. Le Pays de Guérande est comme un prolongement du Pays vannetais en Loire-Atlantique.













Dégustation à la maison le lendemain, ici sous forme de rillettes.


Enquête provisoire à poursuivre dans les deux terroirs limitrophes du Pays de Guérande : en Pays vannetais (pour les mots bretons) et en Bretagne nantaise (pour les mots gallos).


Christophe M. Josso

© Tout droits réservés.



______________________________________ Notes :

[1] Les limites concernent l’espace (le Pays de Guérande), le milieu (uniquement rural, avec des gens ayant vécu à la ferme), l’âge (des personnes suffisamment âgées pour avoir connu l’abattage à la ferme), l’origine (des gens portant des noms bretons du coin, et dont les grands-parents sont eux aussi d’origine locale). La mémoire est activée alors qu’elle est le plus souvent enfouie, « comme les pages d’un livre qu’on pourrait ouvrir alors qu’on ne les ouvre plus » (HALBWACHS Maurice, La mémoire collective, 1950, rééd. Albin Michel, 1997 ; page 126), en effet plus personne ne parle spontanément des « krazinoù », il faut enquêter.

[2] Marais salants et littoral d’Assérac surtout dans mon collectage. Mais le mot est aussi connu à Pénestin, Camoël, Mesquer, Guérande (Bouzaire), Saint-Lyphard, il faudrait enquêter dans les autres communes ; il est encore bien connu des anciens, transmis dans les familles : Leheudé, Halgand, Yviquel, Legal, Josso, Cadro, Lescop, Tobie…

[3] Ou parfois [kʁaz'new] avec un [e] très fermé qui fait hésiter avec un [i] dans le deuxième syllabe. Plusieurs personnes ont des variantes relâchées [kʁazi'no] > [kʁaz'no], moins « patoisantes » à leurs yeux. Une dame de Pénestin, mariée à un agriculteur en retraite d’Assérac, m’a dit qu’on prononce [kʁazi'no] dans le bourg alors qu’on prononce [kʁazi'new] en campagne à Assérac, mais les gens connaissent ces deux prononciations à Assérac ; une autre personne de Pénestin m’a donné aussi la forme [kʁazi'no] en m’expliquant que les gens du bourg et du Haut-Pénestin étaient plus « avancés / modernes » que les habitants du sud de la commune (Kerfalher / Kerséguin, ancienne frairie de Larmor), près d’Assérac, qui prononçaient eux [kʁazi'new] (la forme ancienne donc).

[4] La panne est l’amas graisse situé autour des reins du porc, elle fournit un saindoux blanc, ferme avec une saveur très neutre, considéré comme la plus haute qualité.

[5] Afin d’obtenir un saindoux bien blanc et ne pas brûler les graisses.

[6] On surveille à la fin et on vérifie la cuisson avec une louche, on voit les « krazinoù » en transparence qui flottent dans le saindoux liquide, il faut que le gras soit bien fondu, les morceaux bien colorés, jusqu’à ce qu’ils soient plus fermes, un peu secs et grillés.

[7] Comme les « rillettes » justement.

[8] Il y a aussi en breton le verbe « kraziñ » : dessécher, griller. L’idée est bien de vider les morceaux de gras de tout leur saindoux, puis de les faire rissoler. Le côté « krazet » (grillé) est important dans la réussite des « krazinoù », cela donne de la couleur, du goût et de la texture, sinon on est dans une masse graisseuse peu agréable et un peu fade.

[9] Le suffixe breton « -in » n’est plus productif dans la langue moderne, il reste visible sur certains noms, comme dans « glizin » (bleuets au collectif) qui est dérivé de l’adjectif « glas » (bleu) ; ce suffixe peut être doublé avec le suffixe « -ell » (https://arbres.iker.cnrs.fr/index.php?title=-in), d’où le mot dérivé « krazinell » pour « rillons » (lard frit dans le saindoux).

[10] ERNAULT Émile, Étude sur le dialecte breton de la presqu’île de Batz, éd. Prud’homme, 1883 ; pages 3 et 20, transcrit « -eo ». + LE ROUX P., A.L.B.B. : carte 317 (chemins), carte 428 (livres), carte 435 (veaux), carte 582 (langues), carte 597 (œufs).


[11] PLOURIN Jean-Yves, Description phonologique et morphologique comparée des parlers bretons de Langonnet (Morbihan) et de Saint-Servais (Côte-du-Nord), thèse de doctorat, Université de Rennes 2, 1982 ; page 139 / FAVEREAU Francis, Langue quotidienne, langue technique et langue littéraire dans le parler et la tradition orale de Poullaouen, thèse de doctorat, Université de Rennes 2, 1984 ; page 690.


[12] DESHAYES Albert, Dictionnaire étymologique du breton, éd. du Chasse-Marée, 2003 ; page 428.

[13] Parler et patois de La Madeleine… en Brière, Parole de métais n° 5, éd. Association La Madeleine d’hier et d’aujourd’hui, 2008 ; page 13.

[14] Avec ici un suffixe de singulatif « -enn ». Il y a d'autres dérivés de l’adjectif breton « kras » (desséché, grillé) avec le suffixe de singulatif « -enn ». Dans le Léon, on a « krazenn » pour « tranche de pain grillée » (TROUDE Amable-E., Nouveau dictionnaire pratique français & breton du dialecte de Léon, éd. Le fournier, 1869 ; page 794). Dans le Trégor, « krazenn » désigne la dernière crêpe qu’on laisse sur la galettière, toute sèche et grillée, et plus petite car faite avec le reste de la pâte (LE CALVEZ G., « Les lutins dans le Pays de Tréguier », in Revue des traditions populaires, n° 5, 25 mai 1886 ; page 143). Il y a aussi « krazadenn » (suffixe « -adenn ») pour « morceau de viande grillé » (LE GONIDEC Jean-François, Dictionnaire celto-breton, ou breton-français, éd. F. Trémeau et Cie, 1821 ; page 114b). A Douarnenez, il y a « krazigenn » (suffixe « -igenn) pour « petit morceau de viande desséché » avec introduction du diminutif « -ig- » au milieu du mot (DENEZ Per, Étude structurale d’un parler breton – Douarnenez, thèse doctorat, Université de Rennes 2, 1977 ; page 706).

[15] Avec ce singulatif, on pourait penser à un morceau, que l’on mange croustillant (un par un), et non pas dans le saindoux sous forme de rillettes.


[16] MÉNARD Matial, DEVRI – Le Dictionnaire Diachronique du Breton, 2023, sous « blonegenn ».


[17] LE PELLETIER Louis, Dictionnaire de la langue bretonne, éd. Fr. Delaguette, 1752.


[18] JOUITTEAU Mélanie, ARBRES : le site de la grammaire du breton. En ligne :


[19] ER BORGN Guillam a Seglian, Soñnenneu bourabl eit deverral, éd. Galles, 1924 ; page 76, dans le chant « Fest en hoh » : la fête du cochon, vers : « get er lard é hrér krazinel » : avec le lard on fait des grillons), avec ici le suffixe rallongé « -inell » ; « -ell » sert a formé des noms concrets (https://arbres.iker.cnrs.fr/index.php?title=-ell), souvent à valeur diminutive et féminin (KERVELLA Frañsez, Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947, éd. Al Liamm, 1976 ; page 435, § 834). Il y a une variante transcrite « krazunell » avec une prononciation [krazən-] et [krayn-] des deux premières syllabes (AR MENTEG Turiaw, Dastumad gerioù a rannyezhoù ar gevred - Dictionnaire de vannetais breton-français, éd. Hiziv An Deiz, 2007 ; page 157).


[20] Avec une évolution de la finale comme pour « pouponell » prononcé [pupõ'njœl] sur l’île d’Arz, [pœpõ'njal] à Saint-Gildas de Rhuys, [pepuni'εl] à Plœren et [popo'njal] à Locqueltas (A.L.B.B., carte 532 pour « poupée ») et la variante « poupinell » transcrite « poupineêll » dans le dictionnaire de Claude Cillart de Kerampoul (Dictionnaire françois-breton ou françois-celtique, éd. par la Compagnie, 1744 ; p. 297b sous « poupée »). Le premier informateur, du bourg, et en EHPAD maintenant, m'a aussi donné une formule traditionnelle grivoise :


« Job a lâre da (v-)Mari, « Joseph disait à Marie,

Troñs ah roch(i)ed e yamp da c'hoari, Retrousse ta chemise de nuit, on va "jouer",

Mari 'deus troñset, Marie l'a retroussé,

Ha Job 'neus c'hoariet ! » Et Joseph a "joué" »


[22] Habitants de la Haute-Bretagne (moitié orientale de la Bretagne) qui ne parlent pas breton mais des dialectes gallo-romans.

[23] LECOMTE Charles, Le parler dolois, éd. H. Champion, 1910 ; page 123.

[24] VIVANT Georges, « N’en v’la t’i’ des rapiamus ! » – Patois du pays nantais, éd. Reflet du passé, 1980 ; page 165 : « grillons (des) : sorte de charcuterie, morceaux de lard frits très longtemps dans leur graisse ».

[25] Les mots « grilleaux / grillons » et le verbe français « griller » sont les formes dérivées d’un mot issu du latin « crāticula » (> bas-latin « *graticula ») signifiant « petit gril » (VON WARTBURG Walther, Französisches Etymologisches Wörterbuch, 1922-1967 ; Vol. II, pages 1287-1289, sous « crāticula »). Il y a eu confusion avec les mots « rillaux / rillôts » (COULABIN Henri, Dictionnaire des locutions populaires du bon pays de Rennes-en-Bretagne, éd. H. Caillère, 1891 ; page 327 / VERRIER A.-J. et ONILLON R., Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l’Anjou, éd. Germain & G. Grassin, 1908 ; Tome II, pages 212-213) et « rillons » que l’on trouve en charcuterie (morceau de poitrine de porc, rissolé et confit dans sa graisse), ces mots sont dérivés du latin « rēgula » (barre) qui évoque une tranche de lard (RÉZEAU Pierre, Dictionnaire des régionalismes de France – Géographie et histoire d’un patrimoine linguistique, éd. De Boeck – Duculot, 2001 ; sous : « rille », « rillaud ou rillot », « rillon », « grillon »), et le moyen-français « rille » désigne bien une « bande de lard » (VON WARTBURG Walther, Französisches Etymologisches Wörterbuch, 1922-1967 ; Vol. 10, page 217, sous « rēgula »). Un charcutier de L’Immaculée en Saint-Nazaire (44) distingue bien « grillons » (fait à partir de gras, sans viande) et « rillons » (fait à partir de lard de poitrine), ses « grillons » sont nommés « crasinéo » par certains clients originaires du Pays de Guérande.


[26] Avec le recul de la langue bretonne, le Pays de Guérande – traditionnellement bretonnant – a été gagné par un français régional plus ou moins mâtiné de gallo (parler gallo-roman de Haute-Bretagne) ; lors de l’acculturation, les paludiers guérandais et les paysans de l’arrière-pays n’ont probablement pas adopté tel quel le parler de leurs voisins gallos (il ne faut pas oublier l’influence du substrat breton local qui ne peut pas avoir été complètement effacé par le gallo), ils ont certainement suivi la langue des élites locales, des bourgeois de Guérande, des propriétaires terriens, qui ne parlaient certainement pas patois mais français. Le mot « guerzillons » (résidu grillé de la fonte du gras de porc) est attesté dans le parler qui a remplacé le breton local dans les marais salants guérandais (« gueursillons » in PÉRÉON Joseph, Nous les avions oubliés… j’cré pas maill’ – Patois du marais salant de la région de Guérande, éd. des Paludiers, 1981 ; page 31 / mieux transcrit « guerzillons » in Bulletin de l’Association Préhistorique et Historique de Saint-Nazaire, monographie sur La Turballe, partie 3/3, 1977 ; page 16 / et effectivement je l’ai entendu prononcé [gœʁzi'jõ] à Trescalan en La Turballe) ; il est cité dans la rubrique « Propos de Terroir » du journal La Presqu’île Guérandaise du dimanche 17 juillet 1932 ; page 4. C’est certainement du gallo nantais de la région nazairienne qui est remonté au XVIIIe-XIXe siècle dans le sud du Pays de Guérande aux dépens du mot local « krazinéo ». Ce mot vient du moyen-français « grezillons » signifiant « petits morceaux de graisse (ou de viande) salée et grillée » (COTGRAVE Randle, A Dictionary of the French and English Tongues, impr. Adam Islip, 1611 : « little gobbets of fat, or salt meat broyled »). En occitan, on trouve « grecilhoûs » pour « fritons qui restent après avoir fait fondre la graisse ; rillettes » (PALAY Simin, Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes, impr. Marrimpouey jeune, 1932, Tome II, page 76b) / « graissilhou » pour « morceau rissolé de panne de porc d’où l’on a tiré le saindoux en le faisant bouillir » (AZAÏS Gabriel, Dictionnaire des idiomes romans du midi de la France, éd. Société pour l’étude des langues romanes, 1878 ; Tome II, page 361b).

[27] Le verbe « grésiller » (lié à « guerzillons) a un sens qui rend bien ce qui arrive à la matière grasse lors de la cuisson : « faire que quelque chose se fronce, se rétrécisse, se racornisse (sous l’effet du feu, d’une chaleur vive) » (C.N.R.T.L., étymologie ?).




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