"Generally, we can observe in European languages a high percentage of plant names among the words with unclear etymology." (d’après Corinna Leschber, de l’Institute for Linguistic and Cross-Cultural Studies, de Berlin, « Latin tree names and the european substratum », in 'Studia Linguistica Universitatis Iagellonicae Cracoviensis' 129, 2012). "A considerable number of PIE morphemes or arboreal units have two or more alternate names or forms, as is obvious from the ratio of eighteen units to thirty names; specifically, the oak and the willow have three each, and five trees have two each" (Paul Friedrich, ‘Proto-Indo-European Trees – The Arboreal System of a Prehistoric People’, éd. The University of Chicago Press, 1970; page 4). C'était le cas pour le chêne en celtique, et on peut se demander comment s'articulaient ses différents noms.
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Le mot français "chêne" est un nom générique qui désigne plusieurs espèces appartenant au genre "Quercus" en Europe, et plus de 550 espèces réparties sur l’ensemble de l’hémisphère nord (Gérard Tremblin et Abderrazak Marouf, 'Abrégé de biologie végétale appliquée', éd. EDP Sciences, 2021, page 187). Le nom latin et scientifique du chêne : « quercus » remonte à la racine indo-européenne « *perkʷus » qui est aussi à l'origine du nom de la Forêt Hercynienne, une antique forêt primaire qui était située en Europe centrale. Le / p / indo-européen disparaît régulièrement en celtique, d’où une forme celtique dérivée « *ercunia » (« *perkʷunia » » ˃ « *perkunia » ˃ « *herkunia » ˃ « *erkunia »). Il est peu probable que ce nom ait désigné une forêt de chênes en celtique puisque le nom désignait aussi un massif montagneux et une forêt de montagne, et donc plutôt une forêt de conifères, l'indo-européen « *perkʷus » a d'ailleurs aussi donné l'anglais "fir" (pin) et l'allemand « föhre » (pin). Concernant le nom celtique de la Forêt Hercynienne voir : https://mkjosou.wixsite.com/website/post/ercunia-for%C3%AAt-de-ch%C3%AAnes-vs-for%C3%AAt-de-conif%C3%A8res.
A - INTRODUCTION.
Les chênes figurent parmi les espèces feuillues les plus importantes en Europe tempérée, tant du point de vue écologique qu'économique, d'où son importance dans la vie et l'histoire des Européens. Le bois de chêne a été et est toujours très apprécié pour sa dureté, caractéristique recherchée comme l'indique son nom latin "robur" (dureté / solidité / force de résistance, au figuré d'après le Gaffiot) ; la durabilité de son bois est liée à la présence de tanins. De ce fait, le chêne est un symbole de force. « Le bois de chêne est le plus utile des bois indigènes, aussi bien pour les grandes constructions que comme bois de travail. Il possède réunies toutes les qualités qui en font un bon bois : il est lourd, dur, souple, nerveux ; il peut acquérir de grandes dimensions. Aussi le bois de chêne est-il le bois par excellence pour les constructions civiles et militaires, les constructions navales… les instrument agricoles, etc... Le bois de chêne est un bois de premier ordre pour la charpente. » (Jean Beauverie, ‘Le bois’, collection « Encyclopédie industrielle », éd. Gauthier-Villars, 1905 ; Fascicule II, pages 730 et 743).
La nouvelle classification botanique des chênes (qui inclut les données génomiques) distingue dans le genre Quercus deux sous-genres : le sous-genre Quercus (présent en Eurasie et Amérique du Nord) et le sous-genre Cerris (essentiellement eurasiatique).
- Le sous-genre Quercus comprend cinq sections, dont - pour ce qui nous concerne - la section Quercus (les "chênes blancs") avec : Quercus petraea (Chêne sessile), Quercus robur (Chêne pédonculé), Quercus pubescens (Chêne pubescent), Quercus pyranaica (Chêne tauzin / des Pyrénées)...
- Le sous-genre Cerris comprend trois sections, dont la section Ilex (les "chênes verts") avec Quercus ilex (Chêne vert), Quercus coccifera (Chêne kermès / des garrigues)..., et la section Cerris (les chênes chevelus") avec Quercus cerris (Chêne chevelu), Quercus suber (Chêne liège, qui reste vert aussi)... (Antoine Kremer, Christophe Plomion, Thibault Leroy, Hermine Alexandre, Laura Truffaut, et al.. « Évolution passée et contemporaine des chênes. », 'Revue forestière française', éd. AgroParisTech, 2020, Vol. 72 n° 4 ; pages 300-301
Les classifications antérieures étaient basées principalement sur des caractères morphologiques (ibid ; p. 300). Il n'est pas évident de s'y retrouver dans les caractéristiques botaniques de ces divers espèces, mais les non spécialistes peuvent distinguer aisément parmi ces espèces au moins deux grandes variétés :
- les espèces à feuillage caduc, plus ou moins marcescent : les chênes blancs,
- et les espèces à feuillage persistant : les chênes verts.
On peut aussi distinguer les chênes blancs par leur taille (Alexis Ducousso, Catherine Bodénès, Rémy Petit et Antoine Kremer, "Le point sur les chênes blancs européens", in 'Forêt entreprise', vol. n°112, 1996 ; pages 49-56), ce qui importe dans l'usage que l'on fait de leur bois (du bois d'œuvre / du bois de chauffage). Les chênes de grandes tailles (jusqu'à 40 mètres) sont :
- le Chêne pédonculé au tronc cylindrique et droit et aux ramifications désordonnées,
- le Chêne sessile au tronc souvent droit jusqu'au sommet et une ramification régulière.
Les chênes de tailles plus modestes (jusqu'à +/- 20 mètres) sont :
- le chêne pubescent au tronc souvent court et tortueux,
- le chêne tauzin au tronc de forme irrégulière se ramifiant dès la base.
B - LES CHÊNES BRETONS.
1) Les noms des espèces de chêne à feuillage caduc.
a) Les espèces présentes dans les pays celtiques.
Dans l'espace gallo-brittonique, correspondant au territoire formé par les colonies romaines de Gaule (cisalpine, narbonnaise et chevelue) et de Bretagne, et où l'on parlait avant l'invasion la même langue celtique (continuum de variétés P-celtiques), on trouve cinq espèces de chêne à feuillage caduc (classées ci-dessous en fonction de l'importance de leur distribution géographique) :
- le Chêne pédonculé / blanc (Quercus robur / pedunculata), vaste répartition sauf dans l'est de l'Occitanie.
- le Chêne sessile / rouvre (Quercus petraea), absent d'Occitanie (sauf du Massif central et des Pyrénéens).
- le Chêne pubescent (Quercus pubescens), présent dans la zone méditerranéenne et en remontant les vallées du Rhône et de la Garonne, absent dans les îles britanniques et de la Bretagne à la Belgique.
- le Chêne tauzin (Quercus toza), en Aquitaine et sporadiquement jusqu'au sud de la Bretagne.
- le chêne chevelu (Quercus cerris), uniquement dans le nord de l'Italie et la marge est de l'Occitanie.
La nomenclature scientifique est confuse puisque le latin "robur" (du nom scientifique du Chêne pédonculé) a donné le substantif français "rouvre" (en apposition), l'un des noms du Chêne sessile. Ces deux chênes sont emblématiques des forêts européennes et constituaient "le chêne ordinaire", ils ont autrefois été classés dans la même espèce. Ce chêne commun, "désigné sous le nom spécifique de Robur (Quercus robur, de Linné), a été naturellement divisé en deux sous-espèces sous les noms de : 1° Quercus robur pedunculata ; 2° Quercus robur sessiliflora. Tout le monde sait que les glands des chênes de nos forêts sont tantôt portés sur des pédoncules allongés, et tantôt au contraire immédiatement fixés sur le jeune rameau, c'est-à-dire sessiles" (Amédée Coutance, 'Histoire du chêne dans l'Antiquité & dans la nature : ses applications à l'industrie, aux constructions navales, aux sciences et aux arts, etc.', éd. J.-B. Baillière, 1873 ; page 63).
Les pays celtiques actuels appartiennent au domaine biogéographique dit 'atlantico-européen', on y trouve des forêts de type 'forêt tempérée humide' (d'étages planitiaire et collinéen : de 0 à 800 m d'altitude), et seuls les deux premières essences sont spontanés / indigènes dans cette zone ; contrairement aux autres espèces citées le Chêne pédonculé et le Chêne sessile sont non-thermophiles.
Chêne pédonculé. Chêne sessile.
Pour les non spécialistes, il n'est pas évident de différencier les deux premiers chênes qui sont souvent associés, ils sont dit : "chênes blanc", "derv gwenn" en breton (pour "chêne ordinaire" d'après François Vallée, 'Grand dictionnaire français-breton', éd. de l'Impr. commerciale de Bretagne, 1931 ; page 117), et comme pour le français "chêne" ou l'anglais "oak", ses noms dans les langues celtiques modernes peuvent désigner indifféremment ces deux variétés proches.
Mais en Cornouailles (G.B.), le Chêne sessile (Quercus petraea) est nommé "Cornish oak" ; de même en Irlande, le chêne le plus commun est le Chêne sessile, et il est différencié du Chêne pédonculé par l'ajout d'un adjectif, il est nommé « Dair ghaelach » en gaélique, « Irish oak » en anglais, par opposition au « Dair ghallda » (chêne étranger), « English oak » en anglais. Ces deux chênes ont donc pu être différenciés aussi en celtique.
Chêne pédonculé. Chêne sessile.
Les principaux caractères distinctifs sont : longs pédoncules (attache du gland) et courts pétioles (attache de la feuille) chez le Chêne pédonculé, et longs pétioles et pédoncules courts chez le Chêne sessile (Pierre Sigaud, "Ne parlons plus du chêne mais des chênes", in 'Revue forestière française', AgroParisTech, 1986, 38-4 ; page 376). Leur nom respectif (pédonculé vs. sessile) porte d'ailleurs plus particulièrement sur la présence d'un long pédoncule (pédonculé) ou au contraire sur l'absence apparente d'un pédoncule (sessile).
Chez le chêne pédonculé, un à trois glands sont portés au bout d’un long pédoncule, chez le chêne sessile, c’est deux à six glands, un peu plus petits, qui sont disposés en grappe et fixés au rameau sans pédoncule.
Glands de Chêne pédonculé. Glands de Chêne sessile.
(long pédoncule) (pédoncule court)
Ce sont de grands arbres au feuillage caducs, au tronc puissant, aux branches fortes et s’élançant vers la lumière, ce qui leur donne une silhouette majestueuse et une belle prestance en hiver (voir la carte postale ancienne supra). Le chêne a joué un rôle important dans l’histoire et les croyances, il a longtemps été vénéré pour sa taille majestueuse et sa longévité, outre son bois - le plus dur et le plus durable des bois européen (Gérard Tremblin et Abderrazak Marouf, 'Abrégé de biologie végétale appliquée', éd. EDP Sciences, 2021, page 187), ses glands ont nourri hommes et bêtes durant des siècles (d'où le nom "mesbren" en gallois : arbre à glands). Il était aussi considéré comme un arbre sacré, divinisé il était important dans les rites et les croyances des Celtes ; le chêne était le support végétal d'un symbolisme qui unissait la force et le savoir (Christian J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, 'Les Druides', éd. Ouest-France Université, 1986 ; page 152).
Dans son ‘Histoire naturelle’, Pline explique (Livre XVI traitant des arbres, paragraphe 95) : « Les druides – ils appellent ainsi leurs propres prêtres – n'ont rien de plus sacré que le gui, et l'arbre dans lequel il pousse, si du moins c’est un chêne. Alors ils choisissent eux-mêmes des bois sacrés de chênes, et ils n'accomplissent aucun rite religieux sans son feuillage, à tel point que le nom des druides peut être expliqué par le grec [« δρῦς » : chêne, même origine indo-européenne que le celtique]. En fait, ils pensent que tout ce qui en vient a été envoyé du ciel, et que c'est un signe choisi par le dieu de l'arbre lui-même. » (« nihil habent Druidae — ita suos appellant magos — visco et arbore, in qua gignatur, si modo sit robur, sacratius. iam per se roborum eligunt lucos, nec ulla sacra sine earum fronde conficiunt, ut inde appellati quoque interpretatione Graeca possint Druidae videri. enimvero quidquid adgnascatur illis e caelo missum putant signumque esse electae ab ipso deo arboris. »).
b) Les noms en celtique.
Dans les langues celtiques modernes, on n'utilise pas un mot apparenté au latin "quercus" pour nommé le chêne ; comme indiqué en introduction, le nom celtique de la Forêt Hercynienne (« Erkinia »), dérivé de la racine indo-européenne « *perkʷus », semble désigner une forêt de montagne, et donc plutôt une forêt de conifères. C’est la racine indo-européenne « *doru- » (arbre) qui a donné le nom du chêne en celtique, le chêne étant l'arbre par excellence pour les Celtes. Cette racine est aussi à l'origine de l'anglais "tree" (arbre), et du grec « δρῦς » dont le sens de "chêne" dans la langue classique est secondaire et relativement récent (Émile Benveniste, "Problèmes sémantiques de la reconstruction", in 'Problèmes de linguistique générale', éd. Gallimard, 1966 ; Vol. I, page 300). Le latin, qui a le mot "quercus" (chêne, issu de « *perkʷus »), ne semble pas avoir de traces de cette racine (Xavier Delamarre, 'Une généalogie des mots – De l’indo-européen au français : introduction à l’étymologie lointaine’, éd. Errance, 2019 ; page 58).
- On trouve en celtique commun deux noms du chêne
bien attestés dans les langues celtiques modernes :
1) L'indo-européen "*doru-" a donné le celtique "*daru-", avec un "-a-" au lieu du "-o-" qui est resté longtemps inexpliqué (James P. Mallory et Douglas Q. Adams, 'Encyclopedia of Indo-European Culture', éd. Fitzroy Dearborn Publishers, 1997 ; page 598), mais qui peut être issu (par analogie) des cas obliques (Ranko Matasović, 'Etymological Dictionary of Proto-Celtic', éd. Brill, 2009 ; page 91 : "*drwo-" > "*darwo-"). Dans les langues celtiques historiques, "*daru-" a donné "daur" (chêne) en vieil-irlandais, puis la forme refaite "dair" (< thèmes en i ; pluriel : "daracha"), "dar" puis "dâr" (chêne, pluriel : "deri") en moyen-gallois ("obsolete word" en gallois moderne, voir : Harold Meurig Evans et William Owen Thomas, 'Y Geiriadur Mawr', éd. Gwasg Gomer, 1987 ; page 162), "dar" (chêne, pluriel : ?) en vieux-cornique et "dar" (chêne, pluriel : "diri", ex : "Diri muur" = "Les grands chênes" dans le 'Cartulaire de Landévennec' au fol. 153v) en vieux-breton (sorti aussi d'usage). On voit que dans les langues brittoniques, le pluriel en "-i" est à l'origine de l'affection vocalique (un peu plus poussée en breton).
2) La forme apophonique "*deru-" a donné des formes dérivées" en celtique (Julius Pokorny, 'Indogermanisches etymologisches Wörterbuch', éd. Francke, 1959 ; Tome I, page 214). Dans l'espace gallo-brittonique, il a donné le gallois "derw" (chênes au collectif, singulatif : "derwen"), le cornique "derow" (chênes, sing. : "derwen"), le vieux-breton "daeru" (pour "*deru", chênes), le breton "derv" (chênes, sing. : "dervenn"), le vieux-français "dervée" (forêt de chêne / chênaie), le toponyme champenois : la Forêt du Der, une chênaie réputée située près de Montier-en-Der ("in foreste Dervo" dans un diplôme en latin de 673).
On trouve d'autres formes dérivées en toponyme, comme "Derueton" qui a donné Darvoy dans le Loiret (Xavier Delamarre, 'Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne (-500/+500)', éd. Errance, 2021 ; pages 141), nom avec dérivation en "-eto-" (suffixe essentiellement pour des noms d'arbre ; ibid, page 25 / donc lieu où l'on trouve tel arbre) qui a donné "Tanneton" (Tannay, Ardennes ; formé sur "tann-" : variété de chêne, voir infra), "Cassaneton" (Chénois, Moselle), formé sur "cassan-" : variété de chêne, voir infra)... ; il y a d'autres toponymes : Derwenton / Drevant (Cher), Deruillon / Dreuil (Somme), Derualon / Derval (Loire-Atlantique), Deruentiū / Derwent (Yorkshire), Derucaiton / (Avon) Dassett (Warwickshire). Il existe un autre dérivé qui montre l'importance du chêne dans la religion celtique, c'est le nom de la déesse Dervonia, génie de la chênaie (connue dans des dédicaces de Gaule cisalpine, comme "Fatis dervonibus", latin "Fāta" : déesse de la destinée) ; théonyme dérivé en "-onā" (suffixe théonymique, Pierre-Yves Lambert, 'La langue gauloise', éd. Errance, 1994 ; pages 29-30) que l'on retrouve dans le nom Nemetona (déesse des bois sacrés, nom formé sur "nemet-" : bois sacré ˃ sanctuaire), ou Ðirona (déesse des astres, nom formé sur "stir-", celtique "*ster- ˃ breton "ster" et gallois "ser" : étoiles au collectif ; avec un "Ð" dit « tau gallicum » pour /s͡t/ en position initiale)...
3) Bilan.
On a donc 4 formes :
- singulier "dar" en vieux-breton et en moyen-gallois / pluriel en "-i' : "diri" en vieux-breton et deri" en moyen-gallois
- collectif "derv" en breton (vannetais "derù") et "derw" en gallois / singulatif en "-enn" en breton : "dervenn" (pluriel : "dervennoù) et en "-en" en gallois : "derwen" (pluriel : "derweni")
En indo-européen (langue flexionnelle), le singulier était distingué du pluriel par le fait que les désinences de cas du singulier étaient différentes de celles du pluriel (Henry Lewis et Holger Pedersen, 'A Concise Comparative Celtic Grammar', éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1937 ; page 160, § 269). L'ancienne déclinaison brittonique a disparu vers le milieu du VIe siècle avec la chute des syllabes finales (Léon Fleuriot, 'Le vieux breton - Elément d'une grammaire', éd. Slatkine, 1989 ; page 227), et le suffixe pluriel "-i" serait issu (?) de "*-iyes" < "*-eyes" (ibid ; page 229).
Le collectif est différent du pluriel car il désigne une accumulation ou une collection d’éléments similaires ou homogènes considérés comme un ensemble (Britta Irslinger, « Les dérivés gallois, cornique en -yn / -en, breton en -enn et irlandais en -ne : fonction et sémantique », in ‘La Bretagne linguistique’, Vol. n° 15, éd. du C.R.B.C., 2010 ; page 47), c'est-à-dire un ensemble qui se présente à nous en un masse confuse d'unités difficilement dénombrables, comme dans les exemples bretons "blev" = cheveux, "geot" = herbe, "ster" = étoiles, "gwe(z)" = arbres.... Pour isoler une unité de cette collection et passer du général au particulier on utilise le singulatif, c'est une forme marquée alors que le collectif ne l’est pas. En vieux-breton on avait les terminaisons "-in(n)" pour le masculin (issu de "*-innos) et "-en(n)" pour le féminin (issu de "*innā), on a par exemple "collin" (un coudrier) et "iuguinen" (pour / iwiˈnεn /, un if). Contrairement au moyen-gallois (Simon Evans, 'A Grammar of Middle Welsh', éd. The Dublin Institute for Advanced Studies, page 31), l'évolution phonétique en breton ([i] ˃ / [e], à partir du IXe siècle) a été source de confusion (L. Fleuriot, ibid ; pages 234-235), ce qui a supprimé la différence de forme entre masculin et féminin (ibid ; page 190), et à partir du moyen-breton il ne reste plus que la terminaison (féminine) "-enn" (Roparz Hemon, 'A Historical Morphology and syntax of Breton', éd. The Dublin Institute for Advanced Studies, 1984 ; page 39), pour les exemples cités ci-dessus on a : "blevenn = un cheveu, "geotenn" = un brin d'herbe, "sterenn" = une étoile, "gwe(z)enn" = un arbre.
La catégorie du nombre est particulièrement complexe en breton avec des doubles pluriels (par accumulation de suffixes, suffixes sur pluriel interne), des pluriels de collectif, le duel et les pluriels de duel, pluriels de singulatif comme "dervennoù" = des chênes (correspondant au gallois "derwenni"). Les pluriels doubles sont attestés dès le vieux-breton (Léon Fleuriot, 'Le vieux-breton -Elément d'une grammaire', éd. Slatkine, 1989 ; page 237, § 96), de même qu'en moyen-gallois (Simon Evans, 'A Grammar of Middle Welsh', éd. The Dublin Institute for Advanced Studies, page 33). Les pluriels des noms à terminaison singulative sont attestés aussi dès le vieux-breton (L. Fleuriot, ibid ; page 235, § 91-1), on trouve par exemple "pirinou" (poiriers ; 'Cartulaire de Redon', fol. 8r) ; de même en moyen-gallois (John Morris Jones, 'A Welsh Grammar - Historical and Comparative', éd. The Clarendon Press, 1913 ; page 214, § 126-iii), on trouve par exemple "dail" (feuilles / feuillage, au collectif), "deilen" (feuille, au singulatif), "deilennau" (feuilles au pluriel) et double pluriel "deiliau" ('Geiriadur Pryfysgol Cymru - A Dictionary of the Welsh Language', en ligne, 2022). Parallèlement à cette diversité des pluriels, avec renforcement de l'idée de pluriel, il y a eu renforcement de l'idée du singulier par le développement du singulatif ; le bretonnant choisit inconsciemment la forme qui exprime le mieux le degré d'emphase qu'il désire. La multiplication des singulatifs a pu aboutir à la disparition de singuliers dans les langues brittoniques (Pierre Trépos, 'Le pluriel breton', éd. Emgleo Breiz, 1982 ; pages 235, 251, 262...). En gallois aussi on trouve des doubles pluriels formés par l'addition d'un suffixe de pluriel à une forme déjà plurielle Ces évolutions en brittonique doivent expliquer l'éviction du singulier "dar / dâr" et de son pluriel "diri / "deri" en breton et gallois moderne.
- On trouve aussi une forme de composition :
- L'indo-européen "*dru-" (degré zéro : sans voyelle "o/e") a donné en celtique la forme de composition "dru-".
Il y avait chez les Galates (Celtes ayant migré dans le centre de l’Anatolie) un « drunemeton » (Δρυνέμετον), « sanctuaire de l’arbre » (Xavier Delamarre, ‘Noms de lieux celtiques de l’Europe ancienne (-500/+500)’, éd. Errance, 2021 ; page 147), d'après Strabon ('Géographie', livre XII, chapitre V, section 1) « le conseil des douze tétrarques était composé de trois cents hommes, qui se réunissaient en un lieu appelé le Drunemeton » (« Ἡ δὲ τῶν δώδεκα τετραρχῶν βουλὴ ἄνδρες ἦσαν τριακόσιοι, συνήγοντο δὲ εἰς τὸν καλούμενον Δρυνέμετον. »). Cet endroit semble avoir été un sanctuaire "fédéral", au centre de la Galatie, que l'on peut comparer au « locus consecratus » des Carnutes (Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, 'Les Druides', éd. Ouest-France Université, 1886 ; page 227), « dont le territoire est considéré comme le centre de toute la Gaule » d'après César ('La guerres des Gaules', livre VI, chapitre 13 : « quae regio totius Galliae media habetur »), un centre religieux symbolique.
La notion de centre sacré, dit « omphalos » en grec (« ὀμφαλός », sens premier : « ombilic » ou « nombril »), était fondamentale chez les peuples anciens (Ch. Guyonvarc'h, ibid ; page 220).
Le mot « drunemeton » correspond au vieil-irlandais "fid-nemed" (sanctuaire de l'arbre), où "fid" (arbres, bois), issu du celtique "uidu-" (arbres) correspond au vieux-breton "guid" (arbres) puis au breton moderne "gwez" (arbres), et au gallois "gwŷdd" (arbres) ; on rencontre un collectif « uiduā » en toponymie (˃ Veuves, en Loir-et-Cher..., Xavier Delamarre, 'Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne (-500/+500)', éd. Errance, 2021 ; page 274). On retrouve l'idée d'un bois divinisé / sacralisé dans le composé vieil-irlandais "defid" (< "*dēuo-uidu-").
Mais « drunemeton » a pu avoir en Galatie le sens de « sanctuaire-du-chêne » puisque la racine indo-européenne "*doru- / *deru- / *dru-" (arbre) a pris le sens de "chêne" en celtique. Le philosophe grec Maxime de Tyr (IIe siècle) expliquait que : « Les Celtes vénèrent le dieu suprême, et la représentation celtique de la divinité est un grand chêne. » (« Κελτοὶ σέβουσιν μὲν Δία, ἄγαλμα δὲ Διὸς Κελτικὸν ὑψηλὴ δρῦς. », in 'Dissertations' VIII, 8), L’interprétation du terme grec « ἄγαλμα » est difficile, « l’objet défini comme « ἄγαλμα » est en quelque sorte le support au travers duquel se noue la relation entre les hommes et les dieux, ce qui rend sa présence indispensable dans l’espace sacré » (Nicole Lanérès, « La notion d'agalma dans les inscriptions grecques, des origines à la fin du classicisme », in ‘Dossier : Serments et paroles efficaces’, collection Mètis (n° 10), éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, 2012 ; page 137-173, dans le résumé).
Le culte des arbres est bien attesté chez les Celtes (‘Les bois sacrés’, actes du colloque internationale de Naples de 1989, publié sous la direction d’Olivier de Cazanove et John Scheid, éd. Publications du Centre Jean Bérard, 1993), le mot « nemeton » désignait le sanctuaire en celtique (Xavier Delamarre, ‘Dictionnaire de la langue gauloise’, éd. Errance, 2003 ; page 233-234), le mot a été comparé au latin « nemus » (bois consacré à une divinité, réf. : Gaffiot) et au grec « νέμος » (bois, réf. : Bailly), le sens initial devait être : « une clairière où on célébrait un culte » (Antoine Meillet et Alfred Ernout, ‘Dictionnaire étymologique de la langue latine’, rééd. Klincksieck, 2001 ; page 437). Des cultes naturalistes du chêne ont perduré jusqu'au XIXe siècle (voir : 'Le folk-Lore de la France. Tome III – La faune et la flore' de Paul Sébillot, éd. E. Guilmoto, 1906 ; livre second – La flore / chapitre premier – Les arbres, pages 367-442).
Le mot "nemeton" (sanctuaire) est attesté dans le théonyme "Nemetona" (Déesse-du-sanctuaire), dans le nom d'un peuple rhénan : les Nemètes, en toponymie (Xavier Delamarre, 'Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne (-500/+500)', éd. Errance, 2021 ; page 211) : "Medionemeton" (Sanctuaire-du-milieu) en Grande-Bretagne ('Cosmographie de Ravenne', VIIe siècle), Nonant dans le Calvados (< *Novionemeton : Temple-neuf), Senantes en Eure-et-Loire (< *Senonemeton : Vieux-temple), Vernantes en Maine-et-Loire (< *Uernemeton : Grand-sanctuaire), Nanterre dans les Hauts-de-Seine (< *Nemetoduron : Marché-du-sanctuaire). L'importance des attestations du mot montre l'importance du culte des arbres. Ces croyances païennes en des sanctuaires forestiers ont perduré jusque dans le Haut Moyen-âge. Dans l' ‘Indiculus superstitionum et paganiarum’ (Petit index des superstitions et du paganisme) est un recueil latin du VIIIe siècle identifiant et condamnant les croyances païennes trouvées dans le nord de la Gaule et chez les Saxons (Alain Dierkens, « Superstitions, christianisme et paganisme à la fin de l'époque mérovingienne - A propos de l’Indiculus superstitionum et paganiarum », in ‘Magie, sorcellerie, parapsychologie’, éd. de l'Université de Bruxelles, 1984 ; pages 9-26). Y sont citées 30 pratiques païennes », dont : « De sacris silvarum quae nimidas vocant » (« Des forêts sacrées, qu'ils appellent nimidas », c’est-à-dire « nemeton »). Dans une charte du 'Cartulaire de Quimperlé' de 1031, on trouve une mention d'une telle forêt-sanctuaire, la forêt de Nevet (commune de Plogonnec, 29) : "in silva que vocatur Nemet" (dans la forêt que l'on nomme Neved).
On retrouve le même élément "dru-" dans le nom des druides ("dru-uid-"), qui désigne tout membre de la classe sacerdotale celtique, sans distinction de spécialisation ou de hiérarchie (Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, 'Les Druides', éd. Ouest-France Université, 1886 ; page 383). Pline voyait dans le premier élément le grec « δρῦς » (chêne) par étymologie analogique. Le second élément "-uid-" (savant, qui sait) se retrouve dans le breton "ouian / ouezan"(je sais), il est issu d'une racine verbale indo-européenne "*ueid-" (savoir, voir) et presque homonyme en celtique avec le mot "uidu-" (arbres, Ch. Guyonvarc'h, ibid ; page 431), qui est issu d'un indo-européen "uidhu-"). En Irlande, "uidu-" est à l'origine du mot "feda" (pluriel de "fid" : arbre), qui désigne les lettres oghamiques (alphabet irlandais primitif du IVe au IXe siècle), une forme de savoir (l'écriture) maîtrisé de quelques initiés. Les druides étaient les détenteurs de la connaissance sacrée, où "dru-" (chêne) peut être interprété comme une métaphore du savoir (arbre du savoir), les druides seraient ceux qui avaient la "connaissance de l'univers" symbolisé par le chêne, l' "arbre cosmique".
Dans la cosmologie primitive des Celtes, l’univers semble avoir été divisé en trois espaces (Xavier Delamarre, « Cosmologie Indo-Européenne, „Rois Du Monde“ Celtiques et Le Nom Des Druides. », in ‘Historische Sprachforschung / Historical Linguistics’ 112, n° 1, 1999 ; pages 32–38) :
- un monde céleste, blanc lumineux et divin : celtique « Albios » : monde d'en-haut (+ « Albiorix » : roi du monde), gallois « elfydd » : monde.
- le monde intermédiaire des êtres vivants : celtique « Bitus » : monde intermédiaire des êtres vivants (+ « Biturix » : roi du monde), gallois « byd » : monde, breton « bed » : monde ; mots dérivés de la racine indo-européenne « *gʷei(ə)- » : vivre.
- et un monde d’en bas, sombre et infernal : celtique « Andedubnos » : monde d'en-bas (attesté en Gaule sous la forme « antumnos » du plomb du Larzac), gallois « Annwfn » : monde souterrain, autre-monde, monde des morts (enterrés), / enfer (un enfer païen froid, moyen-irlandais « ifearn fuar » : enfer glacé, moyen-gallois « uffern oer » : enfer glacé, moyen-breton « ehay neuse dan yfern yen » : « il ira alors dans l’enfer froid », « dan tnou : dan yffernou » : « en bas : aux enfers », monde souterrain effrayant lié à la froideur de la mort, moyen-breton : « gouzaff maru yen » : « souffrir la froide mort).
Un axe du monde (axis mundi), point de connexion vertical reliant ces trois mondes, a pu être symbolisé par un arbre, dit « arbre cosmique », dont le sommet atteint le ciel, le tronc, les branches et les glands servent aux hommes et les racines qui plongent dans le monde souterrain.
Cette croyance semble avoir perduré dans des textes bretons en latin jusque dans le Haut Moyen-âge :
- Dans un passage de la vie de saint Judicael on peut lire : « il vit dans un rêve la montagne le plus élevée située au milieu de son pays de Bretagne, c'est-à-dire en son point central [ombilic], sur laquelle se trouve un sentier difficile d’accès. Et là, au sommet de la montagne, il était assis lui-même dans une chaire d’ivoire. Et devant ses yeux se dressait un poteau d’une taille prodigieuse en forme de colonne ronde, implanté dans la terre par des racines, fixé au ciel par ses branches, dont le fût s’étirait tout droit de la terre jusqu’au ciel. » ('Orbituaire de Saint-Méen', BNF ms 9889 ; Fol. 121r / cité par Bernard Merdrignac, ‘D’une Bretagne à l’autre – Les migrations bretonnes entre histoire et légendes’, éd. Presses Universitaire de Rennes, coll. « Histoire », 2012 ; page 236 : « vidit in sompnis montem excelsissimum esse constitutum in medio sue regionis Britannie, id est in umbilico, per quem ambulandi callis difficilis inveniebatur. Et ibi, in cacumine montis ipsius in cathedram eburneam seipsum consedentem. Et in conspectu ejus erat stans postis mire magnitudinis in modum columpne rotunde, radicatus radicibus in terra, firmatis ramis in celo, cujus hastile rectum a terra pertigebat celo tenus. »).
- Le culte des arbres a été effacé par le christianisme comme le montre une légende concernant saint Caradoc conservé dans le ‘Bréviaire de Léon’ (‘Breviarium insignis ecclesie Leonensis nuper emaculatum... multis brevibus atque legendis adauctum’, éd. en 1516 par Y. Quilleveré, l’un des éditeurs du ‘Catholicon’), on peut y lire : « Caradoc alla ensuite en Irlande, et là, il commença à construire un monastère. On signala à Caradoc qu'il y avait dans ces contrées païennes, chez un prince nommé Dulcem, un certain arbre, honoré et aimé, qui avait appartenu à son père. Caradoc s’y rendit et chercha l’arbre : “Es-tu meilleur, dit le prince, que n’importe lequel de tous les saints qui l'ont demandé ? – Je ne le suis pas,” dit Caradoc. Le prince dit : “Appelle néanmoins ton Dieu, et s'il le fait tomber, il est à toi. ” Caradoc répondit : “– Rien n'est impossible à Dieu.”. Et disant cela il pria le Seigneur. La prière terminée, l'arbre tomba, les racines arrachées ; et les infidèles restaient stupéfaits. Le prince crut alors et se fit baptiser ; tous les siens avec lui se convertirent à la foi et reçurent le sacrement. » (« Karadocus igitur descendit in Hyberniam et ibi incepit construere monasterium. Relatum erat Karadoco in partibus illis [pour "In partibus infidelium", locution latine signifiant « dans les contrées des infidèles »] apud quemdam tyrannum, Dulcemium nomine, esse quandam arborem, ornatam ["ornatus" : orné, fig. honoré] atque caram, que patris sui fuerat. Venit Karadocus et petiit arborem : “Utrum melior es tu, dicit tyrannus, omnibus sanctis qui postulaverunt eam ? – Non sum, ” dicit Karadocus. Tyrannus dixit : “Voca tamen Deum tuum, et si ceciderit tua est.” Respondit Karadocus : “Non est impossibile Deo quicquam.” Et hec dicens oravit Dominum. Completa oratione, cecidit arbor radicibus extirpatis, et stabant attoniti infideles. Credidit ergo tirannus et baptizatus est, et omnes sui cum illo conversi sunt ad fidem et receperunt sacramentum. », texte latin tiré de : Arthur de La Borderie, ‘Etudes historiques bretonnes. , Les deux saints Caradec : légendes latines inédites’, éd. H. Champion, 1883 ; page 13-14).
Certains arbres en Irlande étaient effectivement sacrés (Anthony T. Lucas, « The sacred trees of Ireland », in ‘Journal of the Cork Historical and Archaeological Society’, 1963, Vol. 68, n° 207-208 ; pages 16-54), le nom de tels arbres était « bile », mot archaïque en irlandais moderne mais qu’on retrouve en toponymie : « alt an bhile » (hauteur de l’arbre, serait « *aod ar bilh » en breton), « cnoc an bhile » (colline de l’arbre, « *kenec’h / krec’h ar bilh » en breton), « lios an bhile » (fortin de l’arbre, « *lez ar bilh » en breton)…
Les plus anciens et les plus remarquables de ces arbres sacrés sont les cinq grands arbres légendaires de l'ancienne Irlande : « L'Arbre de Ross, l'Arbre de Mugna, le Tronc d’arbre de Dathe, l'Arbre ramifié d'Uisnech et le Tronc d’arbre ancien de Tortu – les cinq arbres sont ceux-là. » (« Eó Rossa ⁊ Eó Mugna ⁊ Bili Dathi ⁊ Craeb Uisnig ⁊ Bili Tortan, cōic crand sin. », in ‘Livre de Leinster’, daté c. 1160, Trinity College Dublin, MS 1339 ; p. 199 b 61).
Le mot « éo » désigne l’if (< celtique « *iuos »), un autre arbre sacré, mais sa signification dans les gloses était apparemment « tige / fût », mais généralement « arbre » en moyen-irlandais, tout arbre remarquable par sa taille ou son âge (electronic Dictionary of the Irish Language). Le mot « craeb » signifie « branche », mais aussi « arbre » (eDIL), avec l’idée d’une tige aussi.
Le mot « bile » signifie « grand arbre » (≈ arbre de haute-futaie), « tronc d’arbre » et « mât » (James MacKillop, ‘A dictionary of Celtic Mythology’, éd. Oxford University Press, 2004 ; sous « bile »). C’est un mot masculin issu d’un proto-celtique « *beliom », que l’on retrouve en toponymie (Xavier Delamarre, ‘Noms de lieux celtiques de l’Europe ancienne (-500/+500)’, éd. Errance, 2021) dans le nom de la commune de Billom (Puy-de-Dôme), son nom ancien est attesté par un monnayage d'époque mérovingienne où figure la forme « Billiomaco » (< gallo-brittonique « *Bilio-magos »), ainsi que dans le nom de Corbeil (Marne) dont le nom ancien est attesté dans la ‘Table de Peutinger’ sous la forme « Corobilium » (< gallo-brittonique « *Coro-bilion »). En celtique gallo-brittonique, il y avait une forme féminine « *bilia » à l’origine du français « bille » (tronc d'arbre débarrassé de toutes ses parties non utilisables comme les branches, l'écorce et l'aubier et prêt à être débitée), de l’occitan « bilha » (bille de bois) et le breton « bilh » (tronc d’un arbre coupé) ; ces mots désignent donc des pièces de bois bien droites pour une utilisation comme bois d'œuvre. La bille provient donc d'un tronc bien droit, on appelle tronc ou fût la tige principale proprement dite, du sol jusqu’à la naissance des grosses branches ; le restant de l’arbre forme la tête de l’arbre, qu’on désigne aussi sous le nom de houppier (Albert Fron, 'Sylviculture', collection "Encyclopédie agricole", éd. J.-B. Baillière & fils, 1918 ; page 18).
Albert Deshayes ('Dictionnaire étymologique du breton', éd. Chasse-marée, 2003 ; page 109) présente ce mot comme un emprunt au français, c'est une solution de facilité, le son noté "ilh" (pour [ʎ]) a trois sources en breton (Kenneth H. Jackson, 'A Historical Phonology of Breton', éd. Dublin Institute for Advanced Studies, 1986 ; page 823...) :
- les emprunts au français.
- la simplification du groupe / lj / du brittonique.
- la palatisation de / l / du brittonique en contact avec une voyelle fermée antérieure.
Le mot "dilhad" (vêtements) - qui n'est pas un emprunt au français - serait issu d'une racine celtique "*dili-"(Victor Henry, 'Lexique étymologique des termes les plus usuels du breton moderne', éd. J. Plihon, 1900 ; page 98). Il n'y a donc pas de raison de voir dans le mot "bilh" un emprunt.
Les mots latins "postis" et "columpne rotunde" de la vie de saint Judicael (voir supra) peuvent traduire le breton "bilh". Et la formule "arborem, ornatam atque caram" de la légende de saint Caradoc peut aussi rendre le sens d'arbre sacré du mot irlandais "bile".
On comprend que pour les Celtes, dont l'essentiel du territoire était situé dans l'Europe tempérée atlantique, le chêne ait été le représentant de cet arbre sacré. Le chêne était au sommet de la hiérarchie végétale (Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, 'Les Druides', éd. Ouest-France Université, 1886 ; page 153), il a d'ailleurs gardé la première place parmi les arbres dans les pays celtiques.
c) Sur la place du chêne dans les populations celtiques.
Exemples en gaélique :
Les arbres ont une grande importance dans la littérature juridique, dans la poésie de la nature et dans les noms des lettres oghamiques ( Lionel S. Joseph et Brian Drayton, « Trees and Tradition in Early Ireland », in ‘Studia Celtica Fennica’, Vol. 17, 2020-2021 ; page 54). Le chêne (c’est-à-dire « Quercus robur et Quercus petraea » en Irlande) appartient à l'aristocratie des arbres des forêts tempérées feuillues d'Europe, l'un des "seigneurs de la forêt" dit "airig fedo" ("airig", nominatif pluriel de "aire" : noble + "fedo", génitif de "fid" : forêt) selon les lois des anciens Irlandais ("Lois des Juges" dit "Brehons"), qui classaient les arbres en fonction de leur importance économique (Fergus Kelly, "Trees in early Ireland", in 'Irish Forestry : Journal of the Society of Irish Foresters', Vol. 56, n° 1, 1999 ; p. 39-57). Le texte qui contient le plus d'information s'intitule « Bretha Comaithchesa » (Jugements de voisinage) et date du huitième siècle environ, il traite des diverses infractions qu'un paysan est susceptible de commettre et comprend une section sur les dommages aux arbres. Et de toute évidence, endommager un arbre particulièrement précieux serait une infraction plus grave que pour des espèces de moindre importance (F. Kelly, ibid ; page 39).
L' ‘Auraicept na n-Éces’ est un autre texte irlandais du haut Moyen-âge (copie la plus ancienne du XIIe siècle), c est l'une des principales sources de la tradition manuscrite sur l'écriture oghamique, on peut y lire ('Auraicept na n-éces : the scholars' primer', publié par George Calder, éd. John Grant, 1917 ; page 88, 1152-1153) :
« Airigh fedha quidem .i. dur, coll, cuileand, abhull, uindsiu, ibur, gius. »
« Nobles arbres donc, c'est-à-dire : chêne, noisetier, houx, pommier, frêne, if, pin. »
Dans un poème irlandais anonyme du XIIe siècle ('A bennáin, a búiredáin' / Suibne dans les bois), on trouve ces vers où le chêne est bien distingué des autres arbres :
« A dair dosach duilledach,
at ard ós cinn chruinn »
« O chêne, buissonnant, feuillu,
tu es élevé au dessus des cimes des arbres »
Exemples en brittonique :
Le "Cat godeu" (Combat des arbres) est un poème gallois du Livre de Taliesin ("Llyfr Taliesin", manuscrit Peniarth MS 2 de la Biblothèque National du Pays de Galles, datant du XIVe siècle, et comprenant 56 poèmes). Dans ce poème, Gwydion, un fils de la déesse Dôn, dont le nom signifie "fils de la forêt" (vieux-gallois « Guidgen » > celtique « Uidugenos »), anime les arbres de la forêt pour se battre dans une bataille contre le roi de l'autre monde ("Annwyn" en gallois). On y trouve ces vers :
« Derw buanawr.
Racdaw crynei nef allawr. »
« Le chêne est rapide.
Devant lui tremblent ciel et terre. »
Dans un mystère breton sur la création du monde (publié dans la 'Revue celtique', Tome IX, éd. F. Vieweg, 1888), dont on a une copie manuscrite de 1825, après avoir cité d'autres plantes l'auteur met lui aussi le chêne à la première place parmi les arbres (page 200, vers 626-629) :
« Breman e hinvoin hoas an dero so coat mat,
Ha goude-se an til, ar fo, ar hoat sab,
Goude spern, ar beus, halec hac an evor,
Couls ar hoat greneres, hoat sab an Nord… »
« Maintenant je nommerai aussi le chêne qui est un bon bois,
Et ensuite le tilleul, le hêtre, le pin.
Puis l'aubépine, le buis, le saule, la bourdaine,
Comme le tremble, le sapin du nord... »
Dans son poème « Ann dero » (Le chêne), Auguste Brizeux dit (in 'Télen Arvor', 'Oeuvres complètes', éd. Michel Lévy, 1860 ; Tome I, page 328) :
« Kanomb holl ann dero, roué ar c'hoajou braz
Kanomb holl, tûd iaouank, ha kanomb ar gwé glaz ;
Kriz éo ann hini, a drouc'h, ann dervenned :
Allas ! kément a wé e Breiz zo diskarret ! »
« Chantons tous le chêne, roi des grandes forêts,
Chantons tous, jeunes gens, et chantons les arbres verts,
Cruel est celui qui coupe les chênes,
Hélas ! Tant d'arbres en Bretagne ont été abattus ! »
Dans les exemples brittoniques, on voit que l'on trouve une autre forme en gallois ("derw") et en breton ("dero" = "derv" en orthographe moderne).
En breton le chêne "ordinaire", aussi le Chêne pédonculé que le Chêne sessile, est nommé (au collectif) "derv" ou "derv-gwenn" (chêne-blanc), ils ne sont pas (ou plus ?) distingués l'un de l'autre, mais opposé au "chêne vert", dit "derv-du" (chêne-noir, à comprendre "vert sombre"), nommé aussi "derv-Spagn" (chêne d'Espagne) en breton vannetais (puisque le chêne vert est présent naturellement sur le littoral du sud Bretagne).
Le chêne symbolise la force, le lien entre la force et le chêne se retrouve dans le latin "rōbur" désigne le Chêne rouvre et au figuré la dureté et la solidité, de la même racine dérive le terme "rōbustus" (robuste, "solide [comme le chêne]" d'après le Gaffiot). On retrouve le mot (figé) en composition dans le breton "keniterv" (cousine) issu du vieux-breton "comnidder" (pour "comnid-deru" : cousine véritable / germaine), et dans le gallois "cyfnither/ cyfnitherw" (cousine), où "-derv / -derw" conserve le sens ancien qu'il avait aussi dans le vieil-irlandais "derb" (ferme, sûr, certain, véritable), aussi utilisé en composition dans l'irlandais "dearbhráthair" (frère véritable / frère de sang, "bráthair" : frère).
On distingue en breton les chênes blancs : "derv-gwenn", c'est-à-dire les chênes "ordinaires" (pédonculé et sessile) du chêne noir : "derv-du", c'est-à-dire l'espèce Chêne vert (François Vallée, 'Grand dictionnaire français-breton', éd. de l'Impr. commerciale de Bretagne, 1931). Le Chêne vert est aussi nommé "derv-spagn" (« Déro-spaign » dans le ‘Dictionnaire françois-celtique ou françois-breton’ de Grégoire de Rostrenen, éd. J. Vatar, 1732 et « Dêrhueenn-spaignn » au singulatif dans le ‘Dictionnaire françois-breton ou françois-celtique du dialecte de Vannes’ de Claude Cillart de Kerampoul dit « L’Armerie », éd. à Leide par la Compagnie, 1744) ; ce nom breton indique la présence de ce chêne en Bretagne (c'est le cas sur le littoral sud), et en même temps le mot "spagn" (Spagn : Espagne) rend l'idée de quelque chose d'exotique, comme dans "yar-spagn" (dinde), "klujar-spagn" (pintade), "huegan-spagn" (pistache), "pebr-spagn" (piment), ou de rare comme dans "buoc'h-spagn" (vache sans cornes) ou "maout-spagn" (bélier sans cornes).
2) Le nom des espèces de chêne à feuillage persistant.
Il existe encore un autre nom du chêne en celtique ; le thème "tanno-" est bien attesté en français (et dialectes gallo-romans), les mots "tan" (poudre d'écorce de chêne), "tannin / tanin" (substance organique), "tanner", "tannage", "tannerie" sont eux aussi issus de ce terme celtique ; de même en composition en toponymie (Xavier Delamarre, 'Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne (-500/+500)', éd. Errance, 2021 ; page 253) : Theneuil en Touraine (< "*Tannoialon" : clairière du chêne), Tannerre en Bourgogne (< "*Tannoduron" : place du chêne), Tannay dans les Ardennes (< "*Tanneton" : chênaie, forêt où prédomine le chêne)...
Le mot a aussi laissé des traces en Bretagne dans les noms de lieux, comme le vieux-breton "tannoet" qui désigne une chênaie (Claude Evans et Léon Fleuriot, 'A Dictionary of Old Breton - Historical and Comparative / Dictionnaire du vieux-breton', éd. Prepcorp, 1985 ; page 558) ; ce toponyme est devenu le nom d’une famille noble, une Marguerite de Tannoët a fait un beau mariage au milieu du XIVe siècle avec le fils du chambellan du duc Jean V de Bretagne : Philippe du Quélennec, dont le nom signifie "houssaie" ('lieu planté de houx). On trouve aussi le mot sans dérivation, comme dans "Leïn tan / Lein-tann" (Brennilis, 29 : Hauteur-du-chêne) ou "Rostan / Ros-tann" (Poullaouen, 29 : Coteau-du-chêne) cités par Francis Favereau ('Dictionnaire du breton contemporain', éd. Skol Vreizh, 2000 ; page 721), ou comme dans "parc ar vézen dan / Park ar wezenn dann" à Landéda (29), c'est-à-dire "le champ de l'arbre-chêne / du chêne" (Joseph Loth, "Notes étymologiques et lexicographiques", in 'Revue celtique', Vol. XIX, éd. Honoré Champion, 1908 ; page 71) ; "gwezenn dann" est une forme du singulatif (au lieu de "tannenn"), le collectif étant "gwez tann" (pour "tann"), le singulatif féminin "gwezenn" (arbre) entraine la mutation de la consonne initiale du nom de l'espèce, comme on dit "gwezenn ber" (poirier, avec mutation consonantique de "per"), "gwezenn gistin" (châtaigner, avec mutation de "kistin")...
Le breton moderne "tann" (chêne), synonyme du mot commun "derv" (chêne), est employé principalement dans des locutions : "c'hwil-tann" (hanneton / coléoptère-du-chêne) synonyme de "c'hwil-derv", "aval-tann" (noix de galle / pomme-de-chêne) synonyme de "aval-derv" (gallois : « afal derw »). Là aussi, on peut se demander si le nom n'est pas motivé à l'origine par des espèces de chêne distinctes des précédentes : les chênes à feuillage persistant (espèces sempervirentes).
Dans l'ancien espace gallo-brittonique, on en trouve trois espèces, une seule atteint la Bretagne, les deux autres ne sont connus que dans les marges méditerranéennes :
- le Chêne vert / Yeuse (Quercus ilex), qui se rencontre surtout en Occitanie méditerranéenne, et sporadiquement dans le domaine atlantique jusqu'au sud de la Bretagne.
- le Chêne kermès (Quercus coccifera), aussi dans l'espace méditerranéen.
- le Chêne liège (Quercus suber), en zone méditerranéenne plus restreinte et dans les Landes.
En moyen-breton (manuscrit du Catholicon de Jehan Lagadeuc de 1464 et l'incunable trilingue imprimé par Jehan Calvez en 1499), on trouve ; "Glastannenn... chesne qui porte glan... prinus... ilex", "ilex" est le nom commun du Chêne vert (yeuse) en latin, "prinus" est un emprunt au grec « πρῖνος » qui désigne le Chêne vert et le Chêne kermès. On retrouve le terme "prinus" en gallois dans le mot composé « prinwydd » (Chêne vert, avec "-(g)wŷdd" : arbre), singulatif « Prinwydden » ( = « Quercus coccifera ; Scarlet Oak » dans 'Welsh Botanology', de Hugh Davies, éd.-impr. W. Marchant, 1813 ; partie II, page 228) ; il est logique de trouver un emprunt au latin pour un arbre méditerranéen.
Dans le « Vocabularium cornicum » (glossaire de langue cornique datant du XIIe siècle), on retrouve le même terme « glastannen » (glaſtãnen) où il désigne le chêne vert (Quercus vel illex). Mais parmi les entrées de ce glossaire on ne trouve pas que du cornique, il y a aussi du vieux-gallois et du vieux-breton (ainsi que du vieil-anglais et de l’anglo-normand ), on peut parfois distinguer la cornique du breton et du gallois, mais pas toujours du fait de la grande similarité de ces trois langues à cette époque (voir : « The Vocabularium Cornicum : A Cornish vocabulary ? » de Jon Mills, in : 'Zeitschrift für celtische Philologie', éd. Walter de Gruyter, août 2013). Même si on ne peut pas distinguer par la forme du mot (forcément identique), le mot "glastannen" a plus de chance d'être breton que cornique du fait de l'absence de chêne vert en Grande-Bretagne (introduit à la Renaissance). Le « petit optimum médiéval », dit aussi « réchauffement climatique de l'an 1000 », a pu permettre une petite remontée du Chêne vert en Bretagne.
En Bretagne-Armorique, et notamment en Basse-Bretagne de langue bretonne, la répartition du chêne vert coïncide exactement avec la limite traditionnelle de la saliculture et de la viticulture, les exigences bioclimatiques du Chêne vert nécessite un minimum de 2000 heures d’ensoleillement annuel et une baisse estivale importante des pluies, il remonte sur le littoral dans la Pays de Guérande et la presqu'île de Rhuys (voir : H. des Abbayes, "Le Chêne vert [Quercus Ilex L.] et son cortège floristique méditerranéen sur le littoral Sud-Ouest du Massif Armoricain. Vegetatio, V-VI, 1-5, 1954).
Chêne vert à Arzon (Presqu'île de Rhuys, Morbihan).
Dans le 'Dictionnaire françois celtique ou françois breton' de Grégoire de Rostrenen (éd. J. Vatar, 1732), on trouve (page 977, col. a, sous « yeuse ») : « chêne verd, arbre. Glaſténnenn… déro-ſpaign [chêne-d'Espagne] », le préfixe "glas-" (vert) confirme qu'il s'agit bien du Chêne vert. "Glastannenn / glastennenn" est le singulatif de "glastann / glastenn", on a aussi la forme redondante « glastenn-derv » (chêne vert) ; la variante « glastennenn / glastenn », présente un radical "-tenn-" avec infection vocalique (réf. "gwalenn" prononcé [gwɛlɛn] en bas-vannetais).
Le Chêne vert était cultivé autrefois presque uniquement en vue de la production des écorces (Albert Fron, 'Sylviculture', collection "Encyclopédie agricole", éd. J.-B. Baillière & fils, 1918 ; page ; page 404). Parmi nos chênes indigènes, le Quercus coccifera donne une bonne écorce à tannin, le tannin du Quercus Ilex est un peu inférieur mais supérieur à celui des espèces à feuilles caduques (Aimée Camus, "Produits des chênes", in ‘Revue de Botanique & d’agriculture tropicale’, bulletin 275-276, septembre-octobre, 1944 ; page 32). C'est ce qui explique que son nom celtique soit passé dans le nom du "tan" (poudre d'écorce de chêne) et les mot dérivé : "tannin / tanin" (substance organique), "tanner", "tannage", "tannerie".
Mais il y a plus étonnant, G. de Rostrenen donne aussi (page 176, col. a, sous « cochenille ») : « un arbre que les Latins appellent Ilex glandifera, les Bretons, glaſtennen », et (page 213, col. b, sous « écarlate ») : « graine d’une espèce de chêne-verd, dont on fait la couleur d’écarlate. Tane. ». Mais ce sont des renseignements que l'on trouve dans les dictionnaires de l'époque (Furetière, Académie française). Le mot breton "tane" désigne d'après G. de Rostrenen (page 954, col. b, sous "vermillon" - p. 955 col. a) la couleur rouge vermillon et la graine d'écarlate, et cochenille (p. 962, col. b sous "violet") ; il donne l'exemple (id.) "mezer tane" pour une "étoffe précieuse". Le mot breton "tane", attesté dans le 'Catholicon' de Jehan Lagadeuc (dictionnaire breton trilingue, éd. J. Calvez, 1499 ; sous "tane"), est traduit en latin par "coccinum" (étoffe teinte en écarlate) et "coccus" (cochenille + couleur écarlate), c'est - du fait du suffixe - un emprunt au moyen-français, on trouve en effet "tannet" pour "drap brun roux" / "tanne" pour "couleur de tan"... (W. von Wartburg, 'Französisches Etymologisches Wörterbuch', Vol. 13-1, sous "*tanno-" pages 82-83).
Le Chêne kermès (Quercus coccifera), aussi nommé Chêne des garrigues, portait le même nom en latin que le Chêne vert (ilex). C'est un arbuste à feuillage persistant des régions méditerranéennes et spontané dans les terrains calcaires, qui ne pousse donc pas en Bretagne. De la cochenille ("coccum" en latin) qui parasite ce chêne arbustif on tire une teinture rouge. Dans son 'Histoire Naturelle', Pline compare plusieurs espèces de chêne, il dit (Livre XVI, § 12) sur le Chêne vert : « Omnes tamen has ejus dotes ilex solo provocat cocco. » (Le chêne vert, cependant, défie tous ces atouts avec la seule écarlate.).
L’attrait pour les rouges de kermès n’a pas été exclusivement méditerranéen, et son commerce est ancien, le kermès a été identifié sur des textiles découverts dans des tombes celtes, comme le manteau du prince inhumé au VIe siècle avant J.-C. dans la tombe à char de Hochdorf en Allemagne, ou les fragments de tissus conservés dans les tombes de Sainte-Geneviève-des-bois dans le Loiret datant du Ve siècle (d’après Dominique Cardon, « Le mystère résolu du kermès », in 'Archaelogy & History in Lebanon', n° 19, printemps 2004, pages 118-130). Le mot celtique "coccos" (rouge) est un emprunt culturel ancien au monde méditerranéen, il a donné '"coch" (rouge) en gallois et le nom gallois du Chêne écarlate ("Derwen Goch"), et "coic" (teinture rouge) en vieil-irlandais ; le nom du fleuve côtier anglais "Coquet" en Grande-Bretagne vient d'une forme attestée "Coccuveda" (Cosmographie de l'Anonyme de Ravenne, VIIe siècle) correspondant au gallois "cochwedd" (d'apparence rouge, sanglant).
La présence du Chêne vert en Bretagne peut expliquer le maintien du nom celtique. Ses feuilles sont coriaces, persistantes, luisantes sur le dessus, et feutrées de blanc au revers, dentée ou épineuse ; par allusion au fait que ses feuilles ressemblent à des petites feuilles de houx, il est parfois appelé : "Chêne faux houx" (houx : Ilex aquifolium L.).
On rapproche le vieil-irlandais "tinne" (> "*tennio-"), nom de la lettre "t" pour / t / de l'alphabet oghamique, qui est expliqué par : "Tinne dono, is o chrand rohainmniged .i. cuileann", c'est-à-dire : "Tinne, encore une fois, tire son nom d'un arbre, c'est le houx" ('Auraicept na n-éces : the scholars' primer', publié par George Calder, éd. J. Grant, 1917 ; 1180-1181). Le nom courant du houx en irlandais est "cuileann" (correspondant au breton "kelenn" : houx), mais le feuillage persistant et piquant du houx est un point commun avec le Chêne vert, le Chêne kermès et le chêne liège, on peut comprendre le transfert par analogie du nom du Chêne vert (dit aussi "Chêne faux houx") à celui du Houx.
Chêne vert, dit "Chêne faux houx". Houx.
Le Chêne vert, moins imposant que les "Chênes blancs" ("derv gwenn" en breton : pédonculé et sessile), a pu être vénéré par les Celtes, du fait de son feuillage toujours vert et de sa longévité, à la manière de l'if (conifère non résineux), un arbre sacré (Christian J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, 'Les druides', éd. Ouest-France - Université, 1986 ; pages 229, 399...) qui était un symbole d'immortalité et d'éternité (François Falc'hun, 'Les noms de lieux celtiques - première série : vallées et plaines', éd. Slatkine, 1982 ; page 40).
Le breton "tann" vient donc du celtique continental "tannos", "sorte de chêne" d'après Pierre-Yves Lambert ('La langue gauloise', éd. Errance, 1994 ; p. 199), une espèce absente des îles britanniques, i.e. "Chêne vert" d'après Xavier Delamarre ('Dictionnaire de la langue gauloise', éd. Errance, 2003 ; page 289) et Ranko Matasović ('Etymological Dictionary of Proto-Celtic', éd. Brill, 2009 ; page 369). Le terme semble même désigner l'ensemble des chênes à feuillage persistant, une variété dite aussi en breton vannetais : "dêrhueenn perpétt glafs / dervenn bepred glas", c'est-à-dire "chêne toujours vert" (Claude Cillart de Kerampoul, 'Dictionnaire françois-breton ou françois celtique du dialecte de Vannes', éd. à Leide par la Compagnie, 1744 ; page 56). On ne connait pas l'origine de ce mot celtique, mais il illustre le passage d'un nom d'une espèce végétale à une autre.
C - LE NOM D'UNE AUTRE ESPÈCE DE CHÊNE ?
Il semble assez logique d'avoir deux noms différents en breton pour distinguer les espèces de chêne à feuillage caduc des espèces à feuillage persistant, c'est une différence importante et facilement observable par tous, suffisamment évidente pour que les populations rurales les prennent pour des arbres différents.
Il existe un autre nom celtique à l'origine du mot français "chêne", un nom inconnu dans les six langues celtiques modernes, cela peut s'expliquer par le nom d'une autre espèce présente uniquement sur le continent et inconnue dans les pays celtiques modernes.
Le mot français "chêne" (ancien français "chasne", CNRTL), le francoprovençal du Val d'Aoste en Italie "tséno" (Jean-Baptiste Cerlogne, 'Dictionnaire du patois valdôtain', éd. Impr. catholique, 1907 ; page 295) et l'occitan "cassan" (Frédéric Mistral, 'Lou Tresor dóu Felibrige', éd. Remondet-Aubin, 1878 ; Tome I, page 486) sont issus du celtique "*cassanos", cette étymon est en effet considéré comme gaulois en raison de sa seule répartition géographique (Pierre-Henri Billy, "Toponymie française et dialectologie gauloise", in 'Gaulois et celtique continental', études réunies par Pierre-Yves Lambert et Georges-Jean Pinault, éd. Droz, 2007 ; page 135). Ce terme indigène n'a pas été supplanté par le latin "quercus", sans doute du fait de l'importance qu'avait le chêne.
Si l'on retire le Chêne pédonculé et le Chêne sessile, et les chênes verts, il reste la possibilité de trois autres espèces dans l'espace gallo-brittonique continental :
- le Chêne pubescent (Quercus pubescens).
- le Chêne tauzin (Quercus toza).
- le chêne chevelu (Quercus cerris).
Le Chêne tauzin et le chêne chevelu ont des aires de répartition très marginales dans l'espace gaulois, et ont donc peut de chance d'avoir transmis leur nom ancien à l'ensemble gallo-roman. Le Chêne tauzin, dit aussi Chêne des Pyrénées (Quercus pyrenaica), est une espèce surtout présente dans la péninsule ibérique et en Aquitaine mais qui remonte un peu au delà sur la façade Atlantique. Le Chêne chevelu est encore plus marginal, présent surtout dans le sud-est de l'Europe, il ne dépasse pratiquement pas les Alpes méditerranéennes.
Seul le premier de ces chênes possède une aire de répartition qui correspond à peu près à l'espace qui allait devenir la Gaule romaine (la Gaule ne préexiste pas à la conquête romaine, c'est une création des Romains, il n'existait auparavant qu'un vaste continuum dialectal gallo-brittonique du sud de l'Écosse au nord de l'Italie). Cela pourrait expliquer la présence du mot celtique "cassanos" sur le continent, son passage en français et son absence dans les langues celtiques modernes.
Le Chêne pubescent est une essence plus xéro-thermophile (qui préfère les milieux secs et chauds), et qui occupe les calcaires superficiels. Sur cette carte on constate que cette aire de répartition déborde à peine de l'espace gallo-roman où l'on trouve des descendants de "cassanos". L'une des caractéristiques botaniques de ce chêne pourrait avoir motivé le mot "cassanos".
Le Chêne pubescent est un arbre de taille moyenne qui n’atteint presque jamais les 20 mètres d’hauteur (15 à 20 m), souvent petit en milieu naturel, il a un tronc court, souvent tortueux et supporte des branches également tourmentées et très irrégulières, tout comme l’ensemble de la ramification de l’arbre (Maurice Dupérat et Jean-Marie Polese, ‘Encyclopédie visuelle des arbres & arbustes’, éd. Artémis, 2008 ; page 206 + David Richin, ‘Arbres : Observer et reconnaître 40 espèces de nos régions’, collection « Guide de poche nature », éd. Vagnon, 2021). Le Chêne pubescent a donc « aspect noueux et tortueux » et les « dimensions restreintes de cette essence, son trajet tortueux, restreignent les applications de son bois pour le travail. » (Jean Beauverie, ‘Le bois’, collection « Encyclopédie industrielle », éd. Gauthier-Villars, 1905 ; Fascicule II, page 746), « ce n'est qu'exceptionnellement que le Chêne pubescent est appelé à donner un appoint, même faible, aux matériaux de construction, demandés, dans les régions où il est commun » (Adolphe Chatin, « Sur une essence forestière très-répandue et cependant peu connue des sylviculteurs », in 'Annales de l’agriculture française', éd. Bouchard-Huzard, juillet-décembre 1873; page 231).
Par contre, il fournit un bon combustible et un excellent charbon (Auguste Mathieu, 'Flore forestière - Description et histoire des végétaux ligneux qui croissent spontanément en France', éd. Berger - Levrault et Cie, 1877 ; page 313), et de ce fait il est traditionnellement dévolu au bois de chauffage.
Ce n'est pas l'idée de chevelure qu'il faut retenir en premier, l'adjectif vieil-irlandais « cas » sert en effet à qualifier quelqu'un ayant les cheveux « frisés » ainsi que les arbres « tortueux / enchevêtrés » (electronic 'Dictionary of the Irish Language').
L’idée première n’est pas la chevelure mais le fait d’être entortillé / enchevêtré. Ranko Matasović donne un celtique « *kasso- » : frisé, tortueux (‘Etymological Dictionary of Proto-Celtic’, éd. Brill, 2009 ; page 194), que l'on retrouve associé à des noms celtiques de l'arbre : « uidu- » dans un nom de peuple et « crann » en irlandais dans une expression.
- Avec « uidu- » :
Les « Uiducasses » étaient un peuple armoricain situé dans le Bocage normand, leur nom est à l'origine du nom de la commune de Vieux (Calvados, Xavier Delamarre, 'Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne (-500/+500)', éd. Errance 2021 ; page 274). La racine « uidu- » a donné le vieil-irlandais « fid » (arbres au collectif, bois), le gallois « gwŷdd » (arbres au collectif) et le breton « gwe(z) » (arbres au collectif), si on retient le sens « enchevêtré / touffu » (Xavier Delamarre, 'Dictionnaire de la langue gauloise', éd. Errance, 2003 ; page 109, sous « cassanos »), on retrouve la racine en germanique dans l'anglais « wood » (bois < « widu » en vieil-anglais). Un ensemble d'arbres forme un bois qui était nommé « caito- ˃ cēto- » en celtique gallo-brittonique (mot absent de l'irlandais ; X. Delamarre, ibid) qui a donné « coed » (bois-forêt / bois-matériau et de chauffage) en gallois et « koed / koad » (bois-forêt / bois-matériau et de chauffage) en breton. L'ethnonyme « Uiducasses » pourrait avoir un sens équivalent au sens premier du mot « bocage » (ethnonyme à sens géographique ?). Dans un poème en moyen-irlandais (de Gilla Brighde Mac Conmidhe, XIVe siècle), on trouve mention d’un « arbre tortueux » ou d’un « bois touffu » : « caisfhidh » (in ‘Miscellany of the Celtic Society’, publié par John O’Donovan, éd. Celtic Society, 1849 ; page 160, vers 160).
- Avec « crann » :
En irlandais, on retrouve un adjectif « cas" (enchevêtré, tordu) qualifiant le mot « crann » (arbre) dans le récit « Buile Shuibhne » (La folie de Suibhne), on peut lire (‘Buile Suibhne (The frenzy of Suibhne) being : The adventures of Subhne Geilt, a Middle Irish romance’, publié par James G. O'Keeffe pour The Irish Texts Society, éd. D. Nutt, 1913 ; page 74 vers 6) : « tre chrann chas » (à travers un arbre touffu). Le mot « crann » est issu d'une forme « *kʷr̥sno- », sa variante « *kʷresno- » a donné « prenno- » (arbre) en gallo-brittonique (glossaire d'Endlicher – « De nominibus Gallicis » : prenne = « arborem grandem », probablement suffisamment grand pour fournir du bois d'œuvre), « pren » (arbre, bois) en gallois, « pren » (bois, glose le latin « lignum ») en vieux-cornique, « pren » (bois) en vieux-breton et variante « prin » (bois du sort, glose le latin « sortilegos » : prophète), le breton « prenn » (bois d'oeuvre, barre de bois). Malgré le vocalisme qui ne correspond pas, on a rapproché le grec « πρῖνος » (Chêne vert - Quercus ilex et Chêne kermès - Quercus coccifera).
On voit que ce mot avait aussi le sens particulier de « bois du sort » (Léon Fleuriot, 'Dictionnaire du vieux-breton - Historical and Comparative', éd. Prepcorp, 1985 ; part. I, page 290). Les Celtes avaient des devins spécialisés : les « vates » (Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux, ‘La civilisation celtique’, éd. Ouest-France Université, 1990 ; page 169 / ‘Les Druides’, éd. Ouest-France Université, 1986 ; page 423), « uati- » en celtique (˃ vieil-irlandais « fáith » : voyant, prophète), la prophétie – formulée par récitation poétique (Xavier Delamarre, ‘Dictionnaire de la langue gauloise’, éd. Errance 2003 ; page 308) – était nommée « uatu- » (˃ gallois « gwawd » : sorte de chant). Il y avait en Irlande un autre druide voyant le « fili » (pluriel : « filid »), nom issu d'un celtique « uelet- » (X. Delamarre, ibid ; page 311) et d'une racine indo-européenne « uel- » (voir) ; c'est lui qui écrivait en alphabet oghamique (Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux, ‘La civilisation celtique’, éd. Ouest-France Université, 1990 ; page ; page 151), avec des lettres-encoches nommées « feda » (les arbres, < celtique « uidu- » : arbres). L’existence de devins montre que la divination était un élément important de la religion celtique (comme d’autres religions primitives). Le tirage au sort est l’une des techniques divinatoires par lesquelles les Celtes obtenaient un avis des dieux, « jeter les sorts » était une expression souvent utilisée lorsque le devin se livrait à sa pratique, on la retrouve au Moyen-âge (Arnaud Sibille, « Divination et prophétie : des pratiques oraculaires à leurs représentations dans la littérature française », in ‘Questes – Revue pluridisciplinaire d’études médiévales’, n° 28, 2014, page 61). Le bois avait valeur divinatoire (Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux, ‘Les Druides’, éd. Ouest-France Université, 1986 ; page 153), c'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'expression « teulel pren » (jeter le bois) en moyen-cornique (dans « teulel pren mŷl wel vye » : tirer au sort serait mille fois mieux, in 'Passio Christi', vers 2847. Il y a aussi des mots composés comme le vieil-irlandais « crannchor » (tirage au sort < « crann + « cor » : lancer), le gallois « coelbren » (sort, bois à présage < « coel » : présage + « pren ») et le breton « prendenn » (sort, mauvais sort < « prenn » + « tenn » : tire). Cette diversité de formes dans les langues celtiques modernes montre l'ancienneté du sens « sort » attaché à ce mot en celtique, et l'importance du bois dans les croyances et la religion.
Remarque : Le breton « teurel prenn », cité - entre autres - par Ch. Guyonvarc'h dans son livre sur les druides (p. 153), semble être un emprunt au cornique, on trouve l'expression dans le 'Grand dictionnaire français-breton' de François Vallée (1931) et dans « Sketla Sigobrani », roman historique co-écrit par René Le Roux, François Vallée et Émile Ernault (éd. Prud'homme, 1923), certainement repris de l'article de Joseph Loth qui est cité (page 87) : « Le sort chez les Germains et les Celtes » ('Revue celtique XVI', éd. Bouillon, 1895 ; pages 313-134).
En partant de l'idée de chevelure (Xavier Delamarre, ‘Dictionnaire de la langue gauloise’, éd. Errance 2003 ; page 109, sous « cassi-, -casses », avec une interrogation), on pourrait penser au Chêne chevelu (Quercus cerris) dont la cupule du gland est spectaculaire et fait penser à une chevelure touffue. Mais c'est peu probable puisque c'est un chêne du sud-est de l'Europe qui dépasse à peine les Alpes méditerranéennes et donc extrêmement marginal dans l'espace celtique. Toujours avec l'idée de chevelure, mais moins convainquant, on pourrait penser aussi à une caractéristique de certains chênes : la marcescence, c’est-à-dire le fait que les feuilles sèchent et restent en place tout l’hiver, et ne tombent qu’au printemps dès la poussée des jeunes feuilles.
- Conclusion :
Le sens « tortueux » et la répartition géographique conviendrait pour le Chêne pubescent. A partir d'une dénomination motivée par une caractéristique, le nom a pu se propager dans d'autres régions et pour nommer d'autres espèces (sur la démotivation : Jan Holeš, "Démotivation et remotivation - deux grandes tendances dans la structuration du lexique en français", Studia Minora Facultatis Philosophicae Universitatis Brunensis L, p.22, 2001). La toponymie montre une implantation large et correspondant à l'aire du chêne pubescent. On retrouve le mot dans les noms des communes de Caisnes dans l'Oise, de Cassagnes (de *Cassania : chênaie) dans le Lot et les Pyrénées-Orientales, et de l'appellation Chassagne-Montrachet du vignoble de la Côte de Beaune en Bourgogne, de Chasseneuil dans l'Indre et Casseneuil dans le Lot-et-Garonne (de *Cassano-ialon : clairière du chêne), de Chassenon en Charentes (de *Cassano-magos : champ du chêne).
Christophe M. JOSSO
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