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POT-AU-FEU DE MOUTON AU GROU.

Dernière mise à jour : 5 févr. 2023

Curieux des traditions locales, j'ai eu l'occasion d'interroger dans les années 1990 et 2000 plusieurs personnes en Brière sur l'ancien mouton qui a survécu sur une île du marais (La Butte aux Pierres, face à Saint-Lyphard) : le petit mouton noir et cornu des landes de Bretagne. Et notamment sur la manière de le préparer, on m'a parlé entre autres du pot-au-feu.


Le pot-au-feu de mouton local semble avoir été courant dans la région autrefois et apprécié. Alphonse Daudet, l’auteur des 'Lettres de mon moulin', a amené sa femme Julia et leur fils Léon en vacances en Bretagne en 1874, puis en 1875, il jeta son dévolu sur Piriac, un petit port de pêche traditionnel du Pays de Guérande. Piriac est décrit dans 'Les Contes du lundi / La moisson au bord de la mer' (1873, éd. Charpentier et Cie, 1876). Léon Daudet, devenu écrivain aux idées plus que nauséabondes (monarchiste, antisémite, nationaliste et clérical…) a écrit quelques uns de ses souvenirs à Piriac dans 'Quand vivait mon père' (éd. B. Grasset, 1940), on peut lire (page 25) : « je fis la connaissance du monde des pêcheurs, du pot-au-feu de mouton et du beurre salé. ».


La mémoire collective commence à s'effacer, les personnes qui ont connu l'ancienne société rurale traditionnelle ne sont plus très nombreux, mais il y a eu heureusement du collectage de fait auprès des anciens dans les années 1970. L'historienne Claude Gracineau-Alasseur, spécialiste des sciences économique et sociales, s'est intéressée à la manière de vivre des Briérons, elle y consacre un chapitre dans un ouvrage important sur la Brière : 'Briérons naguère...' du géographe Augustin Vince (1981, rééd. Coop Breizh, 2006). Ce que l'on appelle le "grou" dans le Pays de Guérande et en Brière, c'est de la bouillie de blé noir, un mot gallo qui a remplacé le mot breton "youd" faute de mot français équivalent. Ma mère en mangeait souvent étant jeune, et elle nous en faisait de temps en temps à la maison ; la bouillie se prépare de façon classique, on y faisait un puits au centre pour y mettre du beurre à fondre et tremper dedans une cuillerée de grou, les restes étaient frit à la poêle le lendemain et manger avec du lait ribot. Claude Gracineau-Alasseur mentionne (page 144) une troisième manière de préparer le grou en Brière, il s'agit de cuire la bouillie dans un sac placé dans le bouillon d'un pot-au-feu, ce qui en fait l'exact équivalent du "Kig-ha-farz" du Léon.


J'avais ça en mémoire chaque fois que j'ai mangé du "Kig-ha-farz" dans le Léon. La cuisson en sac n'était pas particulière au Léon, puisqu'elle est attestée en Brière, elle devait être connue et pratiquée ailleurs en Bretagne, c'est probablement un [heureux] archaïsme dans les méthodes culinaires, que l'on retrouve aussi en Grande-Bretagne.


Dans 'Covntrey Contentments, or The Englifh Hufvvife' de Gervase Markham (1615, rééd. R. Jackson, 1623), on peut lire (page 223) : « the bigger kind of Oate-meale, wich is called Gerts, or Corne Oate-meale, it is of no leffe vfe then the former… of thefe Gerts are made the good Friday pudding, which is mixt with egs, milk, fuet, peniroyall, & boild firft in a linnen bag, & then ftript and butterd with fweet butter. » (la plus grande sorte de farine d'avoine, qu'on appelle le gruau ou la flocon d'avoine, n'est pas moins utilisée que l'autre ... de ces gruaux sont fait le pudding du Vendredi saint, qui est mélangé avec des oeufs, du lait, du suif, de la menthe pouillot, et bouilli d’abord dans un sac en lin, puis dépouillé et beurré au beurre doux.). Dans 'A New Universal English Dictionary : or, a Compleat treasure of the English' de William Rider (éd. W. Griffin / I. Pottinger, 1759), on peut lire (sous « pudding ») : « a kind of food boiled in a bag or ftuffed in the guts of fome animal. » (sorte d’aliment bouilli dans un sac ou fourré dans l’intestin d’un animal.). La préparation en intestin rappelle le Haggis (panse de brebis farcie), plat traditionnel écossais. Le sac a l’avantage de permettre d’en préparer à toute période de l’année (pour plus de renseignements voir : 'The Oxford Companion to Food' d’Alan Davidson, éd. Oxford University Press, 2014 ; page 656).


Comme ma femme est marocaine et ne mange pas de porc, et que j'adore le "Kig-ha-farz", nous avons tenté l'expérience d'un "Kig-ha-grou" de mouton, à partir de la recette classique du pot-au-feu de ma mère ; ma femme y a ajouté sa touche en y ajoutant du cumin. C'est un délice, le grou de blé noir se marie à merveille avec la viande de mouton, un peu plus de gras et d'épices améliorent aussi grandement le plat, nous avons servi le grou en tranche et émietté façon "farz bruzunok", ce qui donne une sorte de couscous breton.


A tester, succès garanti, bon appétit !


Christophe M. JOSSO

© Tous droits réservés - 2021




Remarque sur le patrimoine breton : La noblesse bretonne a été francisée dès l'époque féodale, la bourgeoisie à partir du XVIIe siècle, cela fait que l'identité bretonne nous vient d'une culture rurale et populaire. Or, ce n'est pas parce que c'est une humble culture de paysans qu'elle serait bonne à jeter dans les poubelles de l'histoire. On sent bien le mépris pour les traditions populaires dans l'évolution sémantique du joli mot anglais "folklore" (le savoir du peuple) en français. La tradition n'est pas faite pour se perpétuer fidèlement et indéfiniment, à la manière des conservateurs passéistes et réactionnaires, la tradition est faite pour évoluer et s'adapter à son temps, à chaque génération on oublie et on garde une part de la tradition, on élimine ce qui est obsolète et on conserve la meilleure part de la tradition. Ce qui est beau, ou bon, ne se démode jamais. Il faut aussi faire vivre notre patrimoine culinaire, et l'enrichir.

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