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  • Photo du rédacteurJosso

PRESQU'ILE vs PAYS DE GUERANDE


Deux notions différentes et souvent confondus, qui n'ont rien à voir avec les découpages administratifs anciens ou actuels.


A. LES PRESQU'ÎLES.


La plus grande partie de la population actuelle de la région de Guérande parle communément de cette région comme d'une presqu'île, on dit "la presqu'île". Mais cette dénomination est ambiguë puisque qu'elle couvre deux réalités différentes :


1) Presqu'île au sens large.


Il y a dans le langage courant "la presqu'île" au sens large, il s'agit d'un espace parfaitement bien délimité, compris entre les estuaires de la Loire et de la Vilaine, entre l'Océan et les marais de Brière.

Extrait de la carte du "Comté nantois" de l'ingénieur géographe J.-B. Ogée, 1768.

L'espace "presqu'île" au sens large délimité en rouge.


Cet espace correspond bien à un espace vécu, sans lien avec les découpages administratifs. Le concept d' "espace vécu" a été introduit en géographie par Armand Frémont au début des années 1970 (in : "La région, espace vécu"), l'espace vécu comprend l'espace des pratiques quotidiennes, l'espace de vie de la population, c'est l'espace social en tant qu'objet de la perception et de la représentation mentale d'un individu ou d'un groupe. Cette espace correspond bien de nos jours à une réalité pour l'ensemble des habitants de cette zone.


Beaucoup de gens extérieurs à cette zone ont du mal à comprendre que la Brière forme un véritable obstacle à la circulation et à la communication. Les citadins ignorants et/ou coupés des mentalités traditionnelles, les Nantais qui ne voient dans la presqu'île qu'un prolongement naturel de leur propre territoire, leur littoral, leurs plages. Il faut dire que les découpages administratifs, anciens comme modernes, sont ancrés dans les esprits, le découpage féodal avec le "Comté nantais", le découpage ecclésiastique avec le "Diocèse de Nantes", puis le découpage départementale depuis 1789.


2) Presqu'île au sens stricte.


Au sens géographique stricte, une presqu’île est une région côtière entourée d’eau de tous côtés, excepté un seul qui la relie au continent par une langue de terre étroite : un isthme (elle se distingue d’une péninsule par ses dimensions plus réduites).


Tiré de ‘Presqu’île guérandaise, avec quatre-vingt-dix-huit héliogravures’

de Pierre de la Condamine, éd. Horizons de France, 1952.


Il existe bien aussi une presqu'île guérandaise de Piriac à Saint-Nazaire, avec un isthme à Saint-Lyphard. Cet espace forme une authentique presqu’île isolée du continent par l’estuaire de la Loire au sud, par les marais de Brière à l’est et par le bassin marécageux du Mès et les marais salants de Saint-Molf / Assérac au nord. L’isthme de Saint-Lyphard, situé entre le Mès à l’ouest et les marais de Brière à l’est, relie la presqu’île de Guérande au nord du territoire. La route qui passait par cet isthme était contrôlée et protégée autrefois par le château de Ranrouet.


Avec les aménagements sur les bords de la Loire, l'urbanisation, le réseaux routier, le train... on ne voit plus vraiment cette presqu'île géographique, elle s'est effacée, on ne sent plus la coupure avec le continent, seuls les vrais Guérandais ont encore dans la tête une mentalité et des habitudes de presque îlien (on ne va jamais de l'autre côté de la Brière). Pour mieux illustrer la presqu'île géographique on peut utiliser les cartes interactives sur la montée des eaux, voici la carte montrant une montée de 5 mètres :


Réchauffement climatique et montée des eaux à 5 mètres. On voit l'isthme de Saint-Lyphard qui rattache la presqu'île au continent.


Le château de Ranrouët est situé à deux kilomètres à l’est d’Herbignac, il surveillait le seul axe de communication terrestre qui desservait la presqu’île guérandaise. Le premier château était au début du XIIe siècle un château à motte construit par les seigneurs d’Assérac.


Le développement de la ville de Saint-Nazaire depuis la deuxième moitié du XIXe siècle a tendance à laisser croire à ses habitants actuels que leur ville serait le centre de la région, or ce n'est pas du tout le cas du point de vue des Guérandais. Pour les non autochtones cela induit un déplacement vers le sud de la représentation que l'on se fait de la région guérandaise, avec une marginalisation de la ville de Guérande. C'est pourtant bien Guérande qui est le centre et le cœur historique de tout cet espace.



B. LE PAYS DE GUERANDE.


Le Pays de Guérande ne se définie pas par la géographie mais par sa culture et surtout par sa langue traditionnelle : le breton ; on a donc recours à l'ethnographie et à la linguistique. La langue constitue évidement le principal élément distinctif entre populations, c'est ce qui fonde son originalité et son identité, comme on dit : "Hep brezhoneg, Breizh erbet !" (Sans langue bretonne, pas de Bretagne).


1) L'histoire linguistique de la région.


L'histoire linguistique de la Bretagne est particulièrement complexe, et les études dans ce domaine ont encore de beaux jours.


Il faut d'abord remettre en cause certaines certitudes : ce que l'on appelle communément "gaulois" n'était pas la langue de la seule Gaule, cette langue était parlée bien au delà ; d'ailleurs, la Gaule n'existait pas avant la conquête romaine, la Gaule est une création romaine, l'une des colonies de Rome. Avant l'invasion il n'existait pas de peuple gaulois dont le territoire aurait correspondu à peu près à l'Hexagone, ça ça relève du roman nationale français, c'est un mythe nationaliste bien ancré dans les esprits. Avant César, il n'y avait que des Celtes, dont le territoire était immense en Europe. On parlait en effet la même langue des deux côtés de la Manche, il y avait un continuum dialectal qui allait du sud de l'Ecosse au nord de l'Italie, il s'agit du principal dialecte celtique de la fin de l'Âge du fer, que l'on appelle maintenant le "gallo-brittonique".


Après plusieurs siècle de romanisation, le gallo-brittonique avait énormément reculé sur le continent. Tout comme le breton qui a survécu à plusieurs siècles de francisation, le gallo-brittonique devait encore être parlé dans les régions reculées à la fin de l'Antiquité. On devait donc parlé en Armorique à cette époque gallo-brittonique, bas-latin et latin classique. On ne peut pas cartographier des zones linguistiques, mais on peut supposer que l'ouest de la péninsule armoricaine et les campagnes reculées étaient moins romanisés que l'est.


La situation se complique encore avec l'émigration bretonne en Armorique, les Bretons de l'île de Bretagne s'installent sur le continent dès la fin de l'Antiquité et au tout début du Moyen-âge. La proximité dialectale a dû faciliter la fusion des Bretons et des Armoricains restés celtophones. Il faudra attendre l'époque féodale pour y voir plus clair, les îlots romans seront réduits à l'ouest au profit du breton, et les îlots celtiques seront réduits à l'est au profit du gallo-roman. La frontière linguistique s'établit définitivement tout à la fin de la période du vieux-breton (500-1100), et elle va resté stable jusqu'à la fin de la période du moyen-breton (1100-1650) : c'est la limite traditionnelle de la langue bretonne. Au delà le bas-latin va donné le gallo (dialecte gallo-roman de Haute-Bretagne).


Pour la région de Guérande on peut établir la limite linguistique au XIe - XIIe siècle grâce aux toponymes en "Ker-" qui sont aussi fréquents dans la région que dans les autres régions bretonnantes. Ce toponyme indique un lieu habité (ferme, hameau) et donc la langue des populations rurales à cette époque, c'est donc un bon indicateur de la langue du peuple.

Carte extraite de "La langue bretonne au Pays de Guérande",

de Bernard Tanguy, revue ArMen n° 25.


On retrouve cette même frontière linguistique plusieurs siècles plus tard dans plusieurs cartes, comme par exemple :

'Tabula ducatus britanniae gallis' / 'Le gouvernement général de Bretagne', XVIIe siècle.



2) Raison du recul de la langue.


On peut voir plusieurs causes au recul plus précoce de la langue bretonne dans le Pays de Guérande qu'ailleurs en Bretagne bretonnante.


- Il y a d'abord la situation excentrée du Pays de Guérande, comme on peut le voir sur la carte suivante :


- Il y a aussi que le sud du Pays de Guérande est situé dans une presqu'île bilingue depuis l'époque féodale. La région nazairienne (moitié sud de la presqu'île de Guérande), qui possède une toponyme encore très bretonne (plus du 1/3 des toponymes alors que la région de Saint-Brieuc en a moins de 10 %), est passé au gallo-roman entre le XIIe et le XIVe siècle, probablement du fait du trafic sur la Loire qui lie Saint-Nazaire à Nantes.


- Et il y a encore un autre espace partagé entre deux aires linguistiques différentes : les marais de Brière. La Brière forme un ensemble, avec un mode de vie et des traditions communes, cela a dû entrainé la francisation (du français mâtiné, plus ou moins, de gallo) à partir du moment où la langue bretonne perdait de sa force et de son prestige dans la ville de Guérande, et que la bourgeoisie passait au français.



Malgré ce recul, la langue bretonne est encore bien présente dans la toponymie et les noms de famille (des gens d'origine locale), on ne peut pas y échapper, elle est toujours un marqueur d'identité.



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